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Les plantes sont-elles frigides?

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Les plantes sont-elles frigides?

La plante évoque l’apathie. On dit «végéter» pour «stagner». Mais il y a quelques siècles encore, «végéter» signifiait le contraire. En latin, ce mot désigne la surabondance d’énergie qui pousse une plante à jaillir.

Plus on la coupe, plus elle reverdit : la plante, c’est l’énergie sexuelle incarnée. Sur le plan étymologique en tout cas. Les termes latins dont le mot «végétal» dérive désignent à l’origine «force et croissance». Le mot silva (forêt) est attesté dès Cicéron dans le sens de «grande quantité» et d’«abondance de matière». Le mode d’être de la plante est celui d’une prolifération virtuellement infinie, en constante expansion. Quel plus beau modèle prendre pour l’humain que celui du lierre ou du lichen? A la différence des végétaux dont la vie se confond avec la croissance, la plupart des bêtes, une fois adultes atteignent leurs dimensions définitives, explique Dominique Brancher, ce qui explique peut-être pourquoi les plantes font si peur. Elles ne connaissent pas de limites. Elles ne respectent pas l’ordre. Est-ce la cause du stigmate qui les frappe en Occident?

Les plantes sont-elles victimes de spécisme, de sexisme ou de racisme?

Chercheuse à l’Université de Bâle, Dominique Brancher est l’auteure d’un livre qui entend rendre justice au règne végétal : on en a fait un règne dormant, voué à l’immobilité, à l’absence de pensée, de sentiments, de sensations… Quel dommage d’avoir ainsi perverti ce qui – à l’origine de notre culture – était considéré comme une forme de débordement vital. Trop vital. «Eclipsé par l’attention exclusive donnée au vaste débat sur la distinction entre l’animal et l’homme, […] le végétal s’est vu relégué au rang de tiers-exclu», dit-elle, regrettant que le mot végéter soit devenu synonyme d’inertie. Mais pourquoi un tel revirement? Pour quelle raison notre culture a-t-elle ainsi châtré la plante? Dans un livre au titre explicite Quand l’esprit vient aux plantes (allusion ironique au poème de La Fontaine «Comment l’esprit vient aux filles»), Dominique Brancher retrace l’histoire de ce qu’elle désigne comme l’invention d’un sexisme anti-flore. Nous avons discriminé les végétaux comme l’ont été les femmes : en leur déniant tout désir. Comme l’ont été les «sauvages» : en leur déniant toute intelligence. Comme le sont encore les animaux : en les parquant dans des réserves. C’est pourquoi il faut lire son enquête sur la sexualité des plantes comme un révélateur de nos choix de vie.

Quand les plantes étaient humaines…

Aux origines présocratiques de notre culture, les cosmogonies imaginées par Thalès (né en 640 av. J.-C.), Héraclite (504 av. J.-C.) ou Empédocle (492 av. J.-C.) reposent sur un principe d’équation : nous sommes faits de la même matière que tout ce qui existe, fleur ou astres. Cette règle d’analogie poétique «dit la trame vitale qui tisse les êtres et confond leurs attributs et leurs formes. Les arbres “pondent“ leurs fruits et les êtres humains se développent comme des plantes.» Pour Empédocle, qui rédige sa théorie en vers fabuleux face au paysage volcanique de sa Sicile natale, il n’y a ni naissance ni mort. Tout chose se renouvelle sous l’effet d’une ardeur brûlante qui traverse la matière. «Toute chose pense», dit-il. Toute chose aime et hait. «Dans ses transmigrations, l’âme humaine épouse les métamorphoses de la matière car elle a “déjà été autrefois garçon et fille, buisson, oiseau ou poisson cheminant à la surface de l’eau» (Empédocle, VIII).». Dans cet univers foisonnant, les plantes ont du plaisir et souffrent comme les humains qui, eux-mêmes, viennent au monde mouillés par la rosée de leur larmes. Empédocle résume ainsi leur première apparition : «Or donc voici comment des hommes et des femmes trempés de pleurs, Feu, se séparant, fit jaillir les pousses dans la nuit» (Empédocle III, Les Origines).

Avec la « raison » vient l’inégalité

Mais cette vision-là du monde est trop poétique sans doute. Dès le 1er siècle avant J.-C., Nicolas de Damas écrit dans son ouvrage De Plantis : «Il faut rejeter ces idées grossières et nous mettre à dire la vérité». Platon (427 av. J.-C.), deux siècles avant lui, n’accorde aux plantes qu’une âme inférieure et en fait des animaux immobiles. Mais c’est Aristote (384 av. J.-C.) qui «réduit encore plus considérablement la dignité du végétal en lui laissant seulement“une sorte d’âme“ (De Anima, A5, 411)». La classification qu’Aristote met en place devient le modèle dominant d’une pensée occidentale qui place l’homme au sommet de la hiérarchie. Dans ce nouvel ordre moral, «les plantes jouissent seulement d’une âme végétative», désormais privées d’entendement. Avec le christianisme, leur statut ne s’améliore pas, au contraire. «Selon l’agenda cloisonné de la Genèse, Dieu créa les plantes le troisième jour, les animaux le cinquième et l’homme le sixième». Dans l’échelle des êtres, le végétal est en bas. Deux attitudes prévalent à son égard. La première repousse les plantes du côté du péché. Le seconde, guère plus enviable, du côté du paradis. Dans les deux cas, la plante est vue comme une créature frigide.

La plante comme symbole du péché de gourmandise

Bien qu’ils lui dénient toute capacité de percevoir et donc de jouir, les théologiens estiment en effet que la plante est gourmande. Ne passe-t-elle pas son temps à sucer la terre? Voilà pourquoi elle est au bas de cette Scala Naturae («échelle de la nature») que de nombreux ouvrages du XVIe siècle décrivent en termes de menace : attention de ne pas tomber ! Chaque échelon figure un degré de déchéance. Quand l’homme commet le péché de luxure (sensualis), il est ravalé au rang d’animal. Quand il a trop d’appétit (vitalis), le voilà végétal. Quand il sombre dans la tristesse (acédie), il rétrograde en minéral. Le christianisme «est une religion qui déconsidère la vie organique au profit de la pensée rationnelle», rappelle Dominique Brancher. Aux yeux des chrétiens, l’homme ne peut prétendre à son statut supérieur qu’à la condition de ne rien avoir en commun avec la (vile) matière. Les bêtes qui forniquent, les rivières qui ondoient et les plantes qui têtent la glaise sans penser, avec une gloutonnerie «stupide et insensible» (Jean Pic de la Mirandole) sont des choses détestables, qui renvoient à la chute.

La plante comme symbole de l’asexualité

Mais il existe une autre attitude vis à vis des plantes : pour certains chrétiens, elles présentent cet avantage sur les animaux d’être «pures». Cela commence au XIIIe siècle, avec Innocent III : dans un texte intitulé De Contemptu mundi, le pape attribue aux plantes la «candeur de l’âme végétative». La plante n’est pas sexuée, dit-il (ignorant qu’il existe des espèces végétales où les mâles et les femelles sont distincts). «Dégagés des ardeurs charnelles qui abêtissent et abrutissent, les végétaux offrent ainsi la rédemption d’un nouvel Eden. Combien d’auteurs de la Contre-Réforme ne célèbrent-ils pas la pureté de la reproduction végétale?». Dominique Brancher cite par exemple Thomas Browne qui, dans les années 1630, déclare : «Je serais heureux, si nous pouvions procréer comme les arbres sans union et s’il existait un moyen de perpétuer le monde sans passer par le coït vulgaire et trivial. C’est l’acte le plus sot qu’un homme sage puisse commettre dans sa vie». Edifiant. La chercheuse enfonce le clou : «Aux yeux de la mystique flamande, la perfection végétale figure une complétude originelle que la Faute, en modifiant le corps physique des premiers hommes, a définitivement dérobé à l’humanité : “Au lieu d’hommes qu’ils devaient être, ils sont devenus des monstres divisés en deux sexes imparfaits, impuissants à produire leurs semblables seuls, comme se produisent les arbres et les plantes“».

Savez-vous planter des choux?

Dans la tradition ouverte par Innocent III, tout un imaginaire puritain se cristallise aux XVIe et XVIe siècles autour des plantes. La botanique devient «une technique de maîtrise des instincts, explique Dominique Brancher. On en trouve les répercussions jusque chez Rousseau,“persuadé qu’à tout âge l’étude de la nature émousse le goût des amusements frivoles, prévient le tumulte des passions“. “La campagne a toujours été considérée comme le séjour de l’innocence“, renchérit Trembley». L’herborisation devient l’activité favorite des puritains. On associe le curé de campagne à un brave jardinier, expert en sirops pour la gorge. «La méconnaissance concertée de la sexualité des plantes, depuis Aristote jusqu’aux naturalistes de la Renaissance, entretient cette vision angélique.» Heureusement, il existe à toute époque des empêcheurs de tourner en rond. Au XVIe siècle, en particulier, des voix dissidentes s’élèvent : non, la plante n’est pas sage. Nous ferions bien d’en prendre de la graine.

La suite lundi prochain

A LIRE : Quand l’esprit vient aux plantes. Botanique sensible et subversion libertine (XVI-XVIIe siècles), de Dominique Brancher, éditions Droz.

ILLUSTRATION : Hosoe Eikô, photo de Mishima Yukio, album Ordalie par les roses.


Fellation : un vrai cauchemar ?

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Au XIXe siècle, la fellation fait son apparition dans la littérature française. Un noir imaginaire se développe autour de cette caresse que les hommes associent aux délices funèbres d’une exécution. Victor Hugo lui-même… succombe ?

En 1876, Victor Hugo écrit : «Ce qu’on appelle passion, volupté, libertinage, débauche, n’est pas autre chose qu’une violence que nous fait la vie». Dans les années 1880, Huysmans décrit dans un article (1) consacré à Félicien Rops la fameuse estampe d’Hokusai «Pêcheuse et pieuvre» qu’il décrit ainsi: «une Japonaise couverte par une pieuvre ; de ses tentacules, l’horrible bête pompe la pointe des seins, et fouille la bouche, tandis que la tête même boit les parties basses. L’expression presque surhumaine d’angoisse et de douleur qui convulse cette longue figure de pierrot au nez busqué et la joie hystérique qui filtre en même temps de ce front de ces yeux fermés de morte, sont admirables.» Jouit-elle ? Rêve-t-elle ? Meurt-elle ? Edmont Goncourt lui-même ne sait comment interpréter cette vision «de femme évanouie dans le plaisir, sicut cadaver [comme un cadavre]à tel point qu’on ne sait si c’est une noyée ou une vivante, et dont une immense pieuvre, avec ses effrayantes prunelles aspire le bas du corps, tandis qu’une petite pieuvre lui mange goulûment la bouche».

Crise d’apoplexie au sommet de l’état

Le 16 février 1899, Félix Faure meurt accidentellement dans les bras de sa maîtresse, Marguerite Stenheil. Mais de quoi précisément meurt-il ? Ian Geay, spécialiste de la littérature fin de siècle, qui consacre à cet «accident» un article lumineux, raconte : «Selon Hugues Le Roux, journaliste et ami du président, ce dernier est mort d’un arrêt cardiaque. L’un des médecins chargés d’expliquer sa mort confirme le diagnostique en concluant au“surmenage, professionnel, alimentaire ou quelconque“. Mais Maurice Paléologue, chargé des affaires réservées au Quai d’Orsay, offre, à travers quelques détails relatifs à la découverte du cadavre, une version différente du récit officiel :

“Et que voit-il ? Le président évanoui, foudroyé, dans le dévêtement le plus significatif ; près de lui, toute nue, Mme Steinheil, hurlante, délirante, convulsée par une crise de nerfs. Avant d’appeler au secours, il veut rétablir un peu d’ordre. Mais outre que Mme Steinheil se débat dans les spasmes et les contorsions, le président lui tient les cheveux entre ses doigts crispés“.

Le rôle criminel de la fellation

Ian Geay commente : «Nous ne savons pas quelle caution apporter à ce témoignage, mais la charge imaginaire est indéniable : la position, décrite par Paléologue, indique que Félix Faure s’est éteint entre les lèvres de sa maîtresse, révélant, en cette queue de siècle, le rôle symbolique et criminel de la fellation. Et Clémenceau d’accréditer le pouvoir dissolvant de la caresse en déclarant à propos de l’heureux défunt : “Il voulait être César, il ne fut que Pompée“. Le caractère grivois de l’attaque n’aura échappé à personne si l’on se souvient qu’à l’époque, le tout-Paris avait surnommé Marguerite Steinheil la “Pompe Funèbre“ »… A la même époque, beaucoup des clients de bordels demandent aux prostituées l’option «pompoir» et Huysmans se plait à décrire la «bouche spoliatrice» de ces «gouges» qui attendent le client avec des yeux de mourante galvanisée. Elles font peur. Elles fascinent.

Cannibalisme sexuel : prise de pouvoir au féminin

S’il faut en croire Ian Geay, qui publie sur le sujet vingt pages de haute voltige, dans la très érudite et décadente «revue finissante» Amer(qu’il a lui-même créée), la fellation mortelle du Président condense toutes les angoisses viriles de ce XIXe siècle finissant… «La crise d’apoplexie, qui frappe Félix Faure, illustre, pour ses contemporains, le rôle destructeur de la femme dans le champ de la politique», dit-il. Pour Ian Geay, le plaisir oral va en effet bien au-delà de ce que l’on appelle maintenant, vulgairement, une mise en bouche. C’est tout le contraire d’un «préliminaire ». C’est le début de la fin. Pourquoi ? Parce que la bouche est un orifice stérile. Lorsqu’une femme suce, elle se soustrait à l’ordre qui veut que sexe = reproduction. La fellation, c’est le plaisir sans procréation. Pire encore : le plaisir pris entre les dents d’un carnassier. «L’oralité, en d’autres termes l’accès des femmes à la parole, est accusée d’encourager l’Anarchie au détriment de la hiérarchie et de l’ordre patriarcal représentés par la République et son chef d’état, explique Ian Geay. Mais la fellation est aussi devenue, au cours du dix-neuvième siècle, un thème littéraire à part entière, à travers notamment la dérivation cannibalique de l’oralité».

Victor Hugo avait-il la phobie du poulpe ?

Il est à cet égard très éclairant d’aller voir l’exposition Eros Hugo, à la maison de Victor Hugo, qui consacre jusqu’au 21 février 2016 une exposition aux fantasmes de l’écrivain. Victor Hugo a probablement vu l’estampe de Hokusai. Et peut-être même a-t-il vu la gravure de Rops (2) – La Pieuvre – qui montre une femme aux prises avec un octopode dont les tentacules phalliques pénètrent ses orifices et dont le bec perce son flanc… Le sang jaillit, métaphore de l’éjaculation. La mort est au rendez-vous de cette pénétration hideuse. Victor Hugo semble avoir été sensible à la charge mortifère de l’irrumation. Lui aussi représente une pieuvre… une pieuvre morte. Ses lavis détaillent avec un soin cauchemardesque ses suçoirs inertes. Victor Hugo – ainsi que l’explique Vincent Gilles (le Commissaire de l’exposition) – n’a jamais parlé de sexualité dans ses livres : ses héros ne font pas l’amour. «Hugo ne s’est jamais placé sur ce terrain-là». Mais dès que Hugo parle de fauves ou de prédateurs sous-marins, les textes de l’écrivain deviennent si violents qu’il semble presque impossible de ne pas y voir des viols.

Le baiser de la femme pieuvre

Le plus célèbre (le plus érotique ?) de ces textes est justement celui qui décrit – dans Les Travailleurs de la mer– le corps à corps d’un homme avec une pieuvre… Vincent Gilles parle d’une «étreinte, car c’est bien d’une étreinte dont il s’agit, mortelle, avec une créature qui n’est que bouches, baisers, succions, qui n’est que peau, viscosité, et qui n’est pourvue que d’un orifice dont on ne peut savoir s’il est bouche ou anus…». La scène est à glacer d’horreur, tout en enlacements voraces et visqueux, aspiration immonde, liquéfaction semblable à celle que provoque par exemple le venin de l’araignée lorsqu’elle suce ses proies «encore vives»… Faut-il s’en étonner ? Lorsque Hugo décrit des scènes de violence, au centre de l’horreur il y a toujours une créature à huit pattes… ou autre chose, de pire : «Au centre de la toile, à l’endroit où est d’ordinaire l’araignée, Gwynplaine aperçut une chose formidable, une femme nue».

prenez garde aux suceuses d’homme

«Toutes ces évocations violentes, féroces, constituant les rares scènes amoureuses de l’oeuvre de Hugo, sont évidemment à prendre au pied de la lettre : le désir exprime la passion et relève du monstrueux», explique Vincent Gilles, confirmant l’analyse de Ian Geay lorsque celui-ci établit le lien intime entre fellatrice et tueuse. La femme qui suce est une goule inquiétante. Par elle, l’homme perd ses fluides. Ce qui explique peut-être pourquoi le thème du vampire en littérature prend si souvent la forme à peine déguisée d’une caresse buccale délétère… Ian Geay souligne à cette époque «le succès du thème vampirique qui n’aura trompé personne quant à sa dimension sexuelle. Révélatrice des angoisses de castration des artistes et des littérateurs de l’époque, la fellation n’est pourtant pas seulement un avatar de ce que la psychanalyse appellera quelques années plus tard le premier stade du sadisme infantile, le sadisme oral». Pour Ian Geay, c’est aussi «une atteinte au système de reproduction sur lequel se fige la dichotomie des sexes». La menace est tangible : elle prend la forme d’un être libéré du cycle mort-vie. «Ce rêve est sur vous», dit Victor Hugo.

EXTRAIT DES TRAVAILLEURS DE LA MER

«C’est la machine pneumatique qui vous attaque. Vous avez affaire au vide ayant des pattes. Ni coups d’ongles, ni coups de dents ; une scarification indicible. Une morsure est redoutable ; moins qu’une succion. La griffe n’est rien près de la ventouse. La griffe, c’est la bête qui entre dans votre chair ; la ventouse, c’est vous-même qui entrez dans la bête. Vos muscles s’enflent, vos fibres se tordent, votre peau éclate sous une pesée immonde, votre sang jaillit et se mêle affreusement à la lymphe du mollusque. La bête se superpose à vous par mille bouches infâmes ; l’hydre s’incorpore à l’homme ; l’homme s’amalgame à l’hydre. Vous ne faites qu’un. Ce rêve est sur vous. Le tigre ne peut que vous dévorer ; le poulpe, horreur ! vous aspire. Il vous tire à lui et en lui, et, lié, englué, impuissant, vous vous sentez lentement vidé dans cet épouvantable sac, qui est un monstre. Au-delà du terrible, être mangé vivant, il y a l’inexprimable, être bu vivant».

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EXPOSITION Eros Hugo, Entre pudeur et excès. (19 novembre 2015 – 21 février 2016). A la Maison de Victor Hugo : 6 Place des Vosges, 75004 Paris.

A LIRE : Amer n°1 (« revue finissante »), publié par Les Ames d’Atala, en 2006.

Catalogue de l’exposition Eros Hugo, publié par la maison de Victor Hugo et Paris Musées, 2015.

NOTES

(1) L’article de Huysmans s’intitule : Félicien Rops. Il a été publié dans le recueil L’art moderne (1883).

(2) La gravure de Rops « La Pieuvre » (réalisée avant 1887), est exposée au Musée Victor Hugo, à côté de l’estampe japonaise d’Hokusai, dans une pièce spécialement consacrée aux pieuvres…

ILLUSTRATION : Calvaire, de Félicien Rops.

Sexe anal : que signifie «chevillage» ?

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Le chevillage (pegging, en anglais) est une pratique sexuelle durant laquelle une femme pénètre l’anus d’un homme à l’aide d’un gode ceinture. Cette appellation, qui vient d’apparaître, comble-t-elle… une lacune du français ?

Il n’existait jusqu’ici aucun mot pour désigner le fait de procurer du plaisir anal à un homme en le pénétrant à l’aide d’un gode. En 2005, dans une «fantaisie littéraire» remplie de citations vraies et fausses («Le Siège de l’âme. Éloge de la sodomie»), Claude Guillon avait proposé qu’on nomme cette pratique «à l’imparfaite», affirmant l’avoir trouvée dans Le Dictionnaire de droit canonique de Raoul Naz (1965, tome VII) :«La sodomie est dite imparfaite lorsqu’elle intervient entre deux personnes de sexes différents […]. Elle est gravement peccamineuse mais moins que la sodomie parfaite (entre personnes de même sexe)». Claude Guillon aurait volontiers souhaité que cette invention lexicale se répande.L’expression «mettre à l’imparfaite» ne s’est malheureusement jamais popularisée. Les adeptes du plaisir anal en étaient donc, jusqu’ici, réduits à utiliser des expressions allusives («Je me suis fait monter»), à parler technique et prostate («Je me suis fait stimuler le point P») ou à utiliser l’anglais. Le mot anglais le plus courant est pegging. «C’est Dan Savage, journaliste américain qui «invente» ce terme dans sa chroniqueSavage Lovepour le journal The Stranger», explique Miguel, responsable de la boutique Demonia à Paris, où il se vend près de 40 modèles de gode ceintures. Miguel connaît le sujet. «Le pegging est «né» le 21 juin 2001», dit-il. L’histoire, ainsi que Miguel la retrace, commence le jour où Dan Savage s’amuse à faire une liste.

Les 13 mots d’argot pour le dire

En anglais, il y a l’embarras du choix. Le 24 mai 2001, dans un article consacré à la difficile question de la terminologie, le journaliste Dan Savage répertorie au moins 13 expressions pour dire «Je me suis fait sodomiser par une femme, à l’aide d’un accessoire».

1/ Bitch-poking : «se faire fourrer par une salope» (le verbe to poke signifie à la fois «donner une petite tape amicale», l’équivalent du «coup de fil» ou du «clin d’œil» mais il renvoie aussi aux coups de rein plus brutaux)

2/ Strap-on sex : «sexe au gode ceinture» (strap-on signifie «harnais» et renvoie au strap-on dildoe, «gode monté sur un harnais», qu’on traduit en français «gode ceinture»)

3/ Doing SOS : «pratiquer le sexe au gode ceinture» (SOS est l’acronyme de strap-on sex)

4/ Chick-dicking : «se faire pénétrer par une fille» (mot formé à partir de dick«queue» et chick«poule»)

5/ Chick-banging : «se faire défoncer par une fille» (une autre version du gang-banging)

6/ Lass-fucking : «se faire baiser par une chérie» (le mot lass désigne une jolie jeune fille ou une petite copine, par allusion peut-être à Lassie)

7/ She-lunking : «se faire bourrer par une femme» (le mot lunk désigne un «bourrin» ou un bellâtre adepte de musculation. Il s’agirait également d’un jeu de mots sur le terme «spelunking», qui désigne la spéléologie, donc «l’art de s’introduire dans les anfractuosités naturelles», ainsi que le précise un lecteur du blogue. Qu’il soit remercié !).

8/ Soafing : «se faire prendre le cul au gode ceinture» (verbe formé à partir de l’acronyme SOAF, Strap-On Ass Fucking)

9/ Womandriver : «laisser la femme conduire»

10/ Strapping : «faire l’amour avec un harnais»

11/ Femboning : «se faire ramoner par une femme» (le mot bone, «os», désigne le pénis)

12/ Womucking : «se faire baiser par une femme» (mot-valise formé à partir de woman et fucking).

13/ Shebanging : «se faire défoncer par une femme» (une autre version du chick-banging)

En quête du néologisme idéal

Après avoir dressé cette liste, Dan Savage émet cependant une réserve : la plupart de ces expressions viennent du milieu lesbien, dit-il. Elles évoquent trop l’image de filles qui baisent d’autres filles avec un gode ceinture. Par ailleurs, elles sont vulgaires ou trop explicites. Il faut trouver une solution, enchaîne-t-il, appelant ses lecteurs au secours de la langue anglaise. Trois propositions retiennent son attention : bobbing, punting et pegging. Dan Savage demande aux lecteurs de choisir. Laquelle aura leur préférence ? Il en expose tout d’abord le sens.

1/ Bobbing : «se faire prendre à l’envers par une femme». Le verbe bobbing est formé à partir de l’acronyme BOB, qui désigne les Bend over boyfriends («petits copains qui se penchent»). L’expression Bend Over Boyfriend vient d’une vidéo d’éducation sexuelle réalisée en 1998 par un couple de lesbiennes (Jackie Strano et Shar Rednour) dans le but de démontrer que «baiser son copain par le cul, c’est amusant». La vidéo, réalisée avec la sexologue Carol Queen et son compagnon, a tellement de succès qu’une seconde vidéo sort en 1999, avec un autre «vrai» couple en gueststar. A la fin des années 1990 qui voient se populariser les harnais, l’initiation d’un homme au gode ceinture prend la valeur d’un acte de foi queer : les femmes aussi peuvent «tringler». Qu’on se le dise. Les hétéros aussi peuvent jouir par l’anus. C’est la fin des monopoles.

2/ Punting : «se faire botter par une femme» (verbe emprunté au vocabulaire du football et qui désigne le fait de donner un coup dans le ballon pour l’éloigner du but). Ce terme sous-entend que la femme «sauve» l’homme qui était sur le point de tomber dans le camp adverse (celui des homos ?), en l’envoyant, d’un très vigoureux coup de pied, le plus loin possible de la zone de danger. Le punter («botteur de dégagement»)«devient parfois le dernier rideau défensif et donc la dernière personne à pouvoir arrêter la ballon avant la zone d’en-but» (Wikipedia). Ce mot possède une connotation nettement homophobe. Bizarrement, Dan Savage ne le relève pas.

3/ Pegging : littéralement «se faire cheviller par une femme» (verbe formé à partir du mot peg qui signifie «cheville», mais aussi «piquet», «fiche», «patère» ou «clou». Le verbe to peg, quant à lui, signifie : «cheviller», «enfoncer» ou «planter»). L’origine de ce mot est plutôt sinistre : elle désignerait une pratique de dilatation anale, propre aux milieux de la prostitution masculine, qui consisterait – pour les débutants – à porter une cheville de bois dans l’anus afin de se l’élargir. D’où vient cette légende ? Impossible de savoir. Dans les recueils d’épigrammes japonais du XVIIIe siècle, il est courant de lire ce genre d’histoires. Mais aux Etats-Unis ? Il faudrait sur ce point mener l’enquête. Dan Savage, là encore, reste silencieux. Il ne s’émeut guère du contenu latent que le mot charrie, mélange de rumeur stigmatisante et de frayeur larvée. Pour lui, les trois termes sont aussi porteurs les uns que les autres.

Et le grand vainqueur…

Quel terme emporte l’adhésion ? Deux semaines après cet appel au vote, le 7 juin 2001, Dans Savage annonce qu’il a reçu tellement de réponses qu’il lui faudra deux semaines de travail pour dépouiller les résultats. Deux semaines plus tard, le 21 juin 2001, il publie enfin un article : «Le grand vainqueur est…». Il a reçu 12103 réponses. Certaines d’entre elles sont étayées par de longues argumentations : «Bobbing ne convient pas, plaide un lecteur, parce que ce verbe – employé pour désigner le mouvement d’une tête qui va et vient – évoque trop l’idée de la fellation». Punting, non plus, car ce verbe évoque l’idée d’un coup de pied. Pegging, ne convient pas mieux, parce qu’on peut facilement l’entendre Begging («supplier»)… «Ma copine m’a supplié le cul hier soir», ça fait tout de même bizarre. Une femme informe Dan Savage que Bobbing ne va pas parce que, dit-elle, «Beaucoup de femmes baptisent, avec ironie, leur vibromasseur «petit copain sur batterie» (Battery Operated Boyfriend)» et quand elles disent «Hier, Bob m’a fait jouir 4 fois de suite» cela n’a rien à voir avec un gode ceinture. Le débat fait rage. Mais qu’importe. Dan Savage se contente de répondre : les arguments ne comptent pas. Faites votre choix. Une voix, un vote.

… pegging remporte la victoire

Après avoir compilé les réponses les plus intéressantes parmi les 12103 reçues en deux semaines, Dan Savage finit par dévoiler le résultat : 22,5% des lecteurs (soit 2721 personnes) ont opté pour Bobbing. 34,5% (4166) pour Punting. 43% (5216) pour Pegging. «Peg is the winner !, conclut-il. C’est un grand jour pour la démocratie». Depuis le 21 juin 2001, aux Etats-Unis, on dit donc pegger pour «femme pénétrant un homme au gode ceinture», peggee pour «homme pénétré par une femme au gode ceinture» et «I want to be pegged» pour «S’il te plaît pénètre-moi au gode ceinture». Simple, bref, précis. On pourrait bien sûr s’émouvoir du fait que ce mot repose sur une vision négative de la pénétration anale, entendue comme «dilatation forcée à l’aide d’une cheville de bois». Miguel, de la boutique Demonia, a une autre interprétation des faits : «Dan Savage étant connu pour être un activiste gay, je pense mais sans source sûre, qu’il a plutôt utilisé le terme par allusion à l’expression To be taken down a peg : être remis à sa place, se faire rabattre le caquet». S’il faut en croire Miguel, peggingà la valeur ironique d’un renversement des rôles mâle-femelle. «A ton tour de mordre l’oreiller» ? Pourquoi pas. Il serait angélique de voir la sexualité «entre adultes consentants» comme un simple échange de bons procédés. Pour être excitante, la relation doit comporter une zone d’ombre ou de trouble, que les mots cristallisent. A cet égard, le mot «chevillage» manque certainement de force obscure. Depuis quelques mois à peine on le voit circuler dans des dossiers de presse pour sextoys. Est-il adéquat ? Le problème avec les traductions littérales, c’est qu’elles ne réveillent aucun écho dans l’imaginaire collectif. «Tu me chevilles, ce soir, chérie ?». Ça ne marche pas très bien. Au final, la façon la plus virile de le dire reste la plus… frontale. «Encule-moi».

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LA SUITE de ce dossier mercredi prochain, le 20 janvier, avec un article sur LES STRATEGIES INVASIVES DES FABRICANTS DE GODE-CEINTURES.

DEMONIA : 22, avenue Jean Aicard, 75011, Paris. OUvert du lundi au samedi, de 11h30 à 19h30. Tel. : 01 43 14 82 70.

PLUS DE RENSEIGNEMENTS SUR LE PLAISIR ANAL : «Aimez votre boyfriend à l’envers» ; «La sodomie au service de la dictature» ; «Le fist et les débuts du christianisme»

Merci à Fabrice C. de Toronto

Sodomie hétéro : est-ce possible ?

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Sodomie hétéro : est-ce possible ?

Dans le domaine des objets, comme dans celui des mots, les stratégies d’invasion anale se ressemblent : il s’agit de faire entrer dans la tête des hétéros que, non, la pénétration par l’arrière n’est pas dégradante. Entendez par là : n’est pas gay (sic).

En juin 2001, lorsque le journaliste américain Dan Savage lance un appelà la population pour rebaptiser la «sodomie hétérosexuelle», une femme lui écrit : «Quand vous avez suggéré qu’il était nécessaire de trouver un mot pour désigner un acte spécifiquement accompli par une femme sur un homme, cela m’a d’abord choqué. Après tout, «baiser», «embrasser», «fister» sont des termes neutres et je trouve cela très bien ainsi. Puis j’ai compris l’intérêt. Mon époux (comme beaucoup d’hétéro-straights) ne parvient pas à dissocier la sodomie de l’homosexualité. Si je dis que j’aimerais l’enculer, il pense que cela remet en cause son identité sexuelle. Alors je dois employer un autre mot, différent, qui désigne un acte réalisé par une femme dans le cadre d’une sexualité hétéroMerci d’avoir lancé cet appel au vote pour qu’on puisse enfin sodomiser son mari sans qu’il panique».

L’angoisse du mâle

Depuis 2001, les mœurs n’ont guère évolué. Il est toujours aussi difficile de faire admettre aux gens que le plaisir anal n’a rien à voir avec une «tendance» à l’homosexualité. D’autant plus difficile qu’on n’y croit pas soi-même : les catégories sont-elles si étanches ? Tout homme ne possède-t-il pas une part d’ombre et d’ambiguïté ? Pourquoi faudrait-il défendre l’idée (illusoire) selon laquelle un hétéro l’est toujours à 100% ? Les catégories standards de la virilité – d’un côté les mâles, de l’autre les «lopettes» – ne sont bonnes qu’à rassurer les pleutres. Mais voilà. Pour que les hétéros cessent d’avoir peur, il faut leur tenir un discours rassurant. «Ce que je t’introduis dans le cul, mon chéri, n’a strictement rien à voir avec un pénis».

Des godes non-phalliques pour hommes

Dans la boutique Demonia, véritable supermarché du sexe, Miguel, le responsable, a l’habitude de rassurer : «Le plaisir anal chez l’homme n’est pas du tout lié à une attirance pour le sexe masculin ou à un fantasme homosexuel», dit-il. Traduction : tous les mâles ont une prostate. Il serait dommage de ne pas en profiter et de laisser aux gays ce plaisir, sous prétexte qu’un homme, «un vrai», ne jouit qu’en pénétrant. Pour un nombre croissant d’hommes, cela relève de l’évidence, mais… il y a des résistances ainsi que le relève Miguel : «De plus en plus d’hommes pratiquent le sexe anal, mais peuvent être dérangés par l’aspect réaliste du gode ceinture classique.» Si le jouet est trop réaliste, il réveille la hantise d’être «pris pour» un gay. Depuis quelques années, toutes sortes de produits se concurrencent sur le fructueux marché de l’angoisse hétérosexuelle. Les godes ceintures aux formes non-phalliques se disputent la place sur les têtes de gondole.

Petite nomenclature des godes ceintures

L’histoire des godes ceintures est celle d’une progressive démasculinisation de l’instrument. Au départ, il s’agit pour les lesbiennes d’un outil d’appropriation du pénis. Mais lorsque les couples hétéros envahissent le marché, la forme de l’outil évolue. Sa couleur noire ou chair fait place à de jolis verts ou violets (avec pour objectif de «dédramatiser» le gode). Aux sangles de cuir noir se substituent des culottes de caoutchouc, puis d’élégantes gaines en forme de corset. Parfois même, le harnais disparaît : Fun Factory, au milieu des années 2000, invente le gode share, une double gode dont la femme introduit une extrémité en elle afin qu’à l’autre bout les sensations se répercutent. Il s’agit d’un «partage», ainsi que l’expliquent les responsables de Fun factory qui lancent des share de toutes tailles, y compris minuscules pour apprivoiser les inquiets.

La peur que ce soit trop gros

«Je suis toujours étonné de vendre le share XS, note Miguel. Il est aussi fin qu’un petit doigt. L’intérêt en termes de plaisir est vraiment limité, ce qui montre à quel point l’aspect psychologique est important pour l’homme. Commencer par des sextoy fins. Quand je tombe sur un client qui a de l’humour, et qu’il me demande «c’est pas trop gros ça ?» en me montrant ce qu’on a de plus fin, je réponds de temps en temps «Oh vous savez, on fait tous des cacas plus gros que ça». C’est tellement pas glamour que j’évite de trop le dire. Mais ça désacralise le truc. Il y a aussi beaucoup de femmes qui fantasment là-dessus : «avoir un pénis». Cela fait peur : beaucoup d’hommes imaginent qu’elles vont se «venger» ou prendre le pouvoir de manière excessive. Du coup, ils s’en achètent un, en secret, pour apprendre à se découvrir. Un peu comme la masturbation à l’adolescence. C’est toujours agréable de découvrir une nouvelle façon de prendre du plaisir, ça renvoie à la découverte de son corps… une seconde adolescence.» Quand les hommes sont seuls avec leur anus, tout va bien. Puis vient le moment d’en parler… Beaucoup, alors, éprouvent une appréhension.

Quand les femmes font les dégoûtées

«La question pour certains hommes aujourd’hui c’est de réussir à trouver un juste milieu entre virilité, plaisir, nouvelles sensations… Le fait d’en parler est un excellent début. Mais pour que le plaisir anal ne soit pas qu’une affaire d’homme, il faut aussi éduquer les femmes. Quand les hommes apprennent la sexualité, ils apprennent à connaître le corps de leur partenaire : on leur a dit qu’il était important de donner du plaisir à l’autre.» Le problème avec les femmes, c’est qu’elles n’ont pas été éduquées dans ce sens. Lorsque l’homme leur demande «Pénètre moi, fais-moi jouir», beaucoup d’entre elles réagissent mal. Par le mépris, le dédain, le refus. Comme si l’homme tombait de son piédestal en quittant la posture «dominante». Aux yeux de ces femmes (qu’on pourrait qualifier de sexistes), la pratique du gode ceinture relève d’une forme insupportable de concurrence. Elles veulent être les seules dont on s’occupe.

L’anus représente, symboliquement, un rapport de symétrie parfait entre l’homme et la femme. Ce trou, le même pour tous, annule la différence sur laquelle repose l’inégalité entre les sexes. La violence avec laquelle certaines personnes rejettent la sexualité anale reflète peut-être leur peur d’affronter une société dans laquelle chaque individu serait aussi bien passif qu’actif. Une société dans laquelle la domination relèverait non plus d’un privilège de mâle (donné à la naissance) mais serait fonction du désir et des aptitudes individuelles ?

Ton clito, ma prostate : donnant, donnant

Miguel insiste : au-delà du plaisir, l’anus amène à notre société une vision réellement égalitaire du plaisir. «C’est maintenant aux femmes de se poser des questions», dit-il. Seront-elles capables de faire jouir leur partenaire ? Auront-elles «les couilles» de s’intéresser à la prostate ? Les hommes sont tous tenus, maintenant, de savoir où se trouve le clitoris. A elles de faire un effort. A leur tour de chercher les zones érogènes mâles. «Le bon moment, la bonne façon, le bon sextoy, résume Miguel. Ce n’est pas parce qu’un homme dit non un jour qu’il n’aura pas envie de dire oui plus tard. Il a même souvent envie de dire oui mais n’ose pas.» Miguel cite pour exemple un produit qui se vend bien à Demonia : un gode ceinture creux. Officiellement, les hommes l’achètent pour faire jouir leur épouse plus fort. Il peut en effet s’utiliser un épaississeur de pénis. Mais, secrètement, les hommes ne rêvent-ils pas d’un autre emploi de ce gode ceinture creux ? Il peut s’utiliser dans les deux sens.

DEMONIA : 22, avenue Jean Aicard, 75011, Paris. OUvert du lundi au samedi, de 11h30 à 19h30. Tel. : 01 43 14 82 70.

UN EXCELLENT ARTICLE DE MAIA MAZAURETTE sur le sujet : «Faut-il sodomiser ses hommes de compagnie?»

PLUS DE RENSEIGNEMENTS SUR LE PLAISIR ANAL : «Fist : un doigt de douceur» ; «Sexe anal : que signifie chevillage ?» ; «Aimez votre boyfriend à l’envers» ; «La sodomie au service de la dictature» ; «Le fist et les débuts du christianisme»

Le SpeedDating : un concept religieux ?

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Le SpeedDating : un concept religieux ?

C’est un spécialiste du Talmud qui invente le SpeedDating, fin 1998, pour aider les jeunes célibataires juifs de Los Angeles à trouver l’âme-soeur. 7 hommes, 7 femmes, 7 minutes. Mais au moment-même où sa méthode se popularise… elle est trahie.

Diplômé de l’université d’Harvard, Yaacov Deyo est ordonné rabbin en 1996. En 1998, il enseigne dans un centre d’éducation judaïque de Los Angeles. Avec ses étudiants, il réfléchit à un moyen de faciliter et promouvoir le mariage au sein de la communauté. C’est de cette réflexion qu’émerge «le concept du SpeedDating : une forme unique de rencontre par tournante, au cours de laquelle chaque personne effectue sept rencontres de chacune sept minutes en une soirée.» La première réunion, expérimentale, de Speed Dating a lieu en 1998 au Pete’s Café de Beverly Hills. Elle est exclusivement réservée aux membres de la communauté juive. En moins d’un an, la méthode de «Rabbi Deyo» se répand à une cadence hebdomadaire dans vingt-cinq capitales du monde. Elle est plébiscitée par les médias américains : Le New York Times, People Magazine, le Early Morning Showde la chaîne CBS… Comment expliquer cet engouement ?

Une méthode inspirée d’un texte sacré

En 2001, dans le livre qu’il coécrit avec sa femme Sue Deyo, Yaacov affirme que le succès de sa méthode vient de ce qu’elle repose sur des «principes enracinés dans la tradition juive […] depuis des milliers d’années.» Et pour cause : Yaacov se serait inspiré du Talmud : «En fait,le Talmud, un antique livre de droit juif, suggère une manière de sortir ensemble qui permet aux deux parties d’éliminer les candidats les moins faits pour eux.» Yaacov et sa femme n’auraient fait qu’adapter au monde contemporain une méthode traditionnelle. Mais l’anthropologue Pierre-Yves Wauthier – qui consacre au SpeedDating un ouvrage passionnant, Mon partenaire en un éclair– émet de sérieux doutes sur le succès réel du concept : combien de personnes sont réellement concernées ? Et parmi celles qui sautent le pas, combien sont réellement célibataires ou désireuses de trouver l’amour ?

Sur des millions de célibataires… quel pourcentage de speed dateurs ?

Méthodique, Pierre-Yves Wauthier procède par étapes. Pour enquêter, il fait 6 expériences en tant que participant lambda, 7 en tant que «stewart» (membre du staff), 2 en tant qu’observateur. Parallèlement, il rencontre et interroge plus d’une dizaine de speed dateurs, plus ou moins expérimentés, avec lesquels il reste en contact plusieurs années de suite. Ses conclusions sont sans appel : «Bien que mondialement célèbre, le speed dating reste une pratique relativement marginale. Comparé aux centaines de milliers d’utilisateurs de sites de rencontre en ligne ou aux millions de personnes qui pourraient se sentir concernées par la quête d’un partenaire, le speed dating touche peu de personnes.» Le succès de la méthode est donc avant tout médiatique. Tout le monde la connaît. Tous les journaux en ont parlé. Malgré un taux de participation très bas, cette méthode «captive les esprits.» Pourquoi ? Parce que les gens trichent, répond Wauthier.

Les speeds dateurs aiment parler boulot. Quid du sexe ?

Cette méthode repose en effet sur 10 règles qui sont rarement respectées par les organisateurs de «rencontres rapides». La première règle est la suivante : «Interdiction de demander où habite la personne rencontrée ni quelle est sa profession». N’étant autorisés à demander ni «Que fais-tu dans la vie ?», ni «Où habites-tu ?», les participants sont censés aller au cœur du sujet. Il s’agit d’éviter la tendance spontanée à parler boulot et de s’intéresser à l’autre, au-delà de ses raisons sociales. Mais cette règle, qui est la règle numéro 1, personne n’en tient compte lors des soirées. Pourquoi ? Pierre-Yves Wauthier note que la plupart des speed dateurs qu’il rencontre (en Belgique) «osent rarement les questions directes et personnelles.» Certains organisateurs interdisent même que les participants abordent des questions sexuelles. Trop intime. Dans la plupart des soirées organisées à travers le monde, les gens «font banalement connaissance» ou, pire, s’inventent des identités fictives pour se mettre en valeur.

Sommes-nous les papous de la méthode Deyo ?

«Dans l’esprit des Deyo, le SpeedDating est destiné à identifier un partenaire pour une union pérenne». Il s’agit de fonder un foyer, ce qui implique d’aller au cœur des choses lorsqu’on fait une rencontre. Dans la réalité, les speed dateurs ne veulent pas forcément se marier. Certains même le sont déjà et se font passer pour célibataires parce qu’il s’agit avant tout d’une expérience amusante ou d’un exercice de séduction. Lorsque Pierre-Yves Wauthier découvre à quel point la méthode mise au point par le couple Deyo a été trahie et détournée de son sens original, il s’interroge : n’est-ce pas la raison même de son succès médiatique ? Si ce n’est pas l’éthique judaïque qui la porte, «quelle force essaime le phénomène à travers les grandes villes du monde ?». Citant Claude Lévi-Strauss (La Pensée sauvage), il parle de ces papous qui, en Nouvelle-Guinée, ont réinventé le football pour l’adapter à leurs besoins.

SpeedDating version yaourt allégé

Chez les Gahuku-Gama, «les règles du football sont identiques aux nôtres à l’exception près que le match dure suffisamment longtemps [plusieurs jours, au besoin] pour que les deux équipes terminent à égalité.» En Europe, les règles du SpeedDating ont elles aussi été changées. «Faut-il comprendre que, dans les sociétés à speed dating, les gens auraient plus envie de «passer une soirée agréable» ou«un moment de séduction» que de«trouver l’âme sœur?». Wauthier insiste sur le fait que les médias ont rarement fait écho «à la pleine dimension du concept de Yaccov Deyo». Voilà pourquoi le SpeedDating s’est répandu sous cette forme «allégée», dit-il. A force de mettre l’emphase sur les côtés sympathiques, attrayants et pratiques du concept original, ils ont fini par en faire une méthode fantasmatique pour draguer-malin. Et des petites entreprises commerciales cherchant à produire du bénéfice ont emboîté le pas aux médias en annonçant des soirées où l’on pourrait rencontrer non plus 7 personnes en 7 minutes, mais 8, 10, 20 personnes en une soirée, au rythme parfois stakhanoviste d’un.e inconnu.e toutes les trois minutes. Pourquoi se limiter au chiffre sacré ?

«Au final, sur les 10 règles, une seule est généralement respectée. La règle n°3 : «Les hommes bougent et les femmes restent assises». Pourquoi ? Tentative de réponse : mercredi.

A LIRE : Mon partenaire en un éclair. Un anthropologue en Speed Dating, de Pierre-Yves Wauthier, Academia L’Harmattan.

Pourquoi c'est à l'homme de bouger ?

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Pourquoi c'est à l'homme de bouger ?

Les SpeedDating sont des soirées au cours desquelles des femmes et des hommes jouent aux chaises musicales. Toutes les 7 minutes, le gong retentit. L’homme se lève et la femme reste assise. Mais pourquoi doit-elle rester assise ?

Lorsque Yaacov Deyo et sa femme Sue mettent au point ce qu’ils appellent la «rencontre par tournante» qu’ils font breveter comme service mark (1) sous le nom de SpeedDating, ils énoncent 10 règles sur le modèle d’une Table des Lois. Leur méthode s’inspire du Talmud (disent-ils) et a pour but de promouvoir des couples pérennes partageant des valeurs culturelles communes. Leur formule fait mouche. Mais elle est si librement «adaptée» qu’on pourrait presque parler de trahison. Partout dans le monde, des agences lancent leurs propres versions des soirées SpeedDating, sous des formes parfois rocambolesques : SpeedDating d’entreprise, SpeedDating par webcam, SpeedDating sur télésiège dans les stations de ski… Les 10 règles sont rarement respectées. Parfois même elles sont sérieusement mises à mal.

Se rencontrer pour s’insulter

En 2010, à Londres, une agence invente le Speed Hating, qui consiste non pas à trouver le Prince charmant (ou le coup du soir) en 7 minute mais à lâcher en 7 minutes tout ce qu’on déteste en général dans le monde, en particulier dans son vis-à-vis, avant de passer à quelqu’un d’autre. L’idée est lancée en réaction aux soirées «pour célibataires», afin d’en dénoncer la ringardise. Il semblerait que cette formule de rencontre fonctionne aussi très bien pour initier des relations de couples. L’essentiel, semble-t-il, c’est que des inconnu.e.s soient rassemblé.e.s dans un espace clos et forcé.e.s d’échanger à tour de rôle pendant un temps donné. Quid du concept originel ? Les organisateurs s’en fichent. Pourvu que ce soit fun.

Les hommes proposent, les femmes disposent

Sur les 10 règles du jeu mises au point le couple Deyo, une seule est à peu près respectée partout dans le monde : la numéro 3. «Les hommes bougent et les femmes restent assises». Cela a-t-il à voir avec la spiritualité ou avec un préjugé tenace ? Dans leur livre Speed Dating, le couple Deyo suggère qu’il s’agit d’un «principe» immuable. «Le Talmud affirme que c’est la façon dont les hommes courent après les femmes», se justifient Yaacov et sa femme. Loin d’être remise en cause, cette règle ultra-normative est adoptée par presque toutes les agences de rencontre. A quoi bon questionner les conventions ? Dans le monde occidental, il semble «normal» que les mâles – actifs, debouts et dynamiques – passent d’une fille à l’autre. C’est donc aux hommes de se déplacer.

«Rencontre par tournante», mode d’emploi

Dans son livre Mon partenaire en un éclair, l’anthropologue Pierre-Yves Wauthier décrit ainsi le système : «Lorsque tous les participants inscrits sont arrivés dans l’établissement où a lieu l’événement, chacun reçoit un numéro de table. Ensuite, il est demandé aux femmes d’aller s’asseoir à la table correspondant à leur numéro, où elles resteront assises jusqu’à la fin de la soirée. Lorsque retentit la cloche, chaque homme s’assoit à la table correspondant au numéro qu’il a reçu à son arrivée et rencontre la femme qui y est assise. Au bout de sept minutes, la cloche sonne à nouveau et il est demandé […] aux hommes de passer à la table qui se situe deux numéros plus hauts». Au cours de sa pratique de terrain, Pierre-Yves Wauthier affirme qu’il n’a jamais vu de femmes se déplacer, ni d’hommes rester assis (2), ce qui est étrange, dit-il. La règle 3 pose en effet deux problèmes.

Comment connaître une femme qu’on ne voit pas marcher ?

Le premier problème, c’est que les hommes se sentent lésés. Ils ont été matés en gros plan, en pied, de face, de côté et de dos. Les femmes se sont bien régalées. Mais eux ? Pierre-Yves Wauthier rapporte que pour éviter toute frustration, beaucoup d’agences proposent «quasi systématiquement aux participants de rester prendre un verre en fin de soirée. Cela “pour que les hommes puissent voir les femmes bouger“, me souffle confidentiellement un directeur d’agence ; car les femmes étant la plupart du temps assises, les hommes ont peu d’occasions de voir autre chose que leur buste». C’est justice. Après tout, comment juger la personnalité d’une femme qu’on ne voit pas marcher et dont une table vous sépare à la façon d’une paroi vitrée ? Autant faire des rencontres dans un parloir de prison.

Les personnes assises sont les plus sélectives

Le second problème avec la règle 3, c’est que les hommes en tirent la désagréable impression d’être livrés comme aux jeux du cirque. Lorsque les femmes sont maintenues en position assise («passive») elles ont tout loisir de scanner les prétendants, de les jauger, de les juger et de les… rejeter. La règle 3, paradoxalement, place les femmes en position de force, celle du Roi devant qui les courtisans défilent si possible en tremblant. Il est à cet égard très instructif d’apprendre que cette sensation de toute puissance n’est pas le propre des femmes mais des personnes assises, quel que soit leur sexe : «Aux USA, dans le cadre d’expérimentations en psychologie sociale au sujet de la formation du couple, les chercheurs P.W. Eastwick & E.J. Finkel (2008) organisèrent des speed datings inversés. Cela permit entre autres de déterminer que ce sont ceux qui restent assis qui sont les plus sélectifs.» Sachant cela, vous ferez attention de ne pas donner rendez-vous dans un café : si la personne arrive avant vous, si elle reste immobile dans son siège à votre arrivée, peut-être sera-t-elle deux fois difficile à conquérir ?

A LIRE : Mon partenaire en un éclair. Un anthropologue en Speed Dating, de Pierre-Yves Wauthier, Academia L’Harmattan.

(1) Dans le système anglosaxon, le service mark est un brevet qui protège non pas un produit mais un service.

(2) Ce cas de figure (l’homme assis, la femme passamt de table en table) aurait cependant existé mais de façon très exceptionnelle, précise l’anthropologue Pierre-Yves Wauthier qui cite le blogue d’un speed dateur racontant une expérience de ce type.

Illustration : publicité pour un sextoy Lelo, le Tiani 24k.

Hochet phallique pour bébé : est-ce sexuel ?

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Hochet phallique pour bébé : est-ce sexuel ?

Il a existé jusqu’au XIXe siècle des hochets d’enfant en forme de personnage aux testicules hypertrophié. Bébé pouvait sucer le manche, sans que nul n’y trouve à redire. C’était un sexe. Mais ce n’était pas sexuel.

Enfant, la petite Mary Shelley maniait un hochet en forme de pénis canin turgescent, en corail rouge, monté sur un manche orné de gros grelots dorés (sic). L’objet, conservé à la Bodleian Library (Oxford), suscite l’étonnement parfois scandalisé des visiteurs. Ils y voient une forme d’outrage à l’enfant, une effroyable perversion, alors qu’il s’agit au contraire d’un objet protecteur, chargé d’éloigner les influences malignes du berceau… Cela prouve «le bouleversement presque complet de notre rapport aux images de sexe», expliquent Gil Bartholeyns, Pierre-Olivier Dittmar et Vincent Jolivet : depuis le XVIe siècle, nous, les Occidentaux, sommes devenus presque aveugles à la dimension sacrée des verges et des vulves. Quand nous en voyons, qu’elles soient graffitées sur un mur de WC ou sculptées à l’angle d’une Eglise gothique, nous trouvons cela choquant. Sans plus. C’est-à-dire que l’image n’évoque plus qu’une plate obscénité.

Des livres de prière autrefois illustrés de sodomites ?

Dans un ouvrage intitulé Image et transgression au Moyen-Age, les trois spécialistes posent la question : qu’est-ce qui est transgressif ? Pourquoi la transgression, autrefois indissociable des pratiques religieuses, est-elle tombée aux mains des pornographes ? De quand date le premier texte pornographique ? Pourquoi sommes-nous devenus incapables de voir une image de sexe sans l’associer à l’idée du plaisir (coupable)? «Dans le livre de prière médiéval, en marge des psaumes, s’ébattent des sodomites, des singes moqueurs, des évêques déguisés en chien. Dans la nef de l’église, une femme sculptée ouvre son sexe avec les mains. Dans le chœur, des petits monstres de bois, les mamelles pendantes, regardent les moines chanter. Plus bas, sur le même mobilier, un homme baisse ses braies et chie. Sur le chapeau du pèlerin, à côté des coquilles Saint-Jacques, une vulve couronnée est portée en triomphe par des jeunes phallus. Toutes ces images, le Moyen Âge les a produites et regardées sans gêne pendant des siècles».

Une femme qui ouvre son sexe à deux mains

Ces images nous paraissent incongrues, inadéquates. Parfois même suggestives, excitantes. Nous imaginons que ceux qui les voyaient détournaient peut-être le regard, comme nous, ou les observaient à la dérobée. «Nos réactions témoignent d’une habitude à penser l’image en termes de transgression», dénoncent les trois chercheurs. Cette propension à voir le «mal» dans des images de nudité se mesure souvent aux délires d’interprétation qui frappent ces bas-reliefs «luxurieux» : «Qui n’a jamais entendu, lors d’une visite, l’anecdote du sculpteur qui, ne s’estimant pas assez payé par le commanditaire, aurait sculpté de «petites cochonneries» dans les recoins de la cathédrale ?». Absurde. «Ce genre d’image n’était pas forcément illicite ou suspect au Moyen Âge». Elles étaient commandées par les autorités et s’intégraient complètement à l’architecture des édifices religieux (1). Cela ne signifie pas bien sûr que ces images n’étaient pas «frappantes» : la magie d’une représentation dépend toujours du statut ambigu de ce qu’elle montre, susceptible de jeter le trouble.

«Merde», «branleur», «con»

Au Moyen-Age, les images de sexe ont la même vertu qu’une insulte : «merde», «con». Comme les insultes, elles parlent d’ordure et de sexe. Leur fonction : repousser le mal par le mal. Ainsi que le soulignent les trois chercheurs, «Ces représentations peuvent donc très bien être «négatives» […] et en même temps posséder un pouvoir positif. De la même façon, aujourd’hui encore les Napolitains portent parfois sur eux des cornes rouges de diable pour éloigner le mauvais œil. Le sexe n’est qu’un motif parmi d’autres pour dissiper le mauvais sort ou protéger une zone. Il partage cette fonction avec les saints, la Vierge, le crucifix et des figures plus ambiguës que l’on retrouve sur certaines gargouilles». Que ces images nous déconcertent aujourd’hui montre bien à quel point les sensibilités ont changé dans l’Occident chrétien. La faute à qui ?

La faute à l’église

Nous sommes devenus incapables de voir une image de pénis ou de vulve sans l’associer à l’érotisme, aux émois et à l’excitation. C’est la faute à l’église, expliquent les trois chercheurs qui citent force censeurs ou théologiens vilipendant les nudités d’églises : au tournant du XVIe siècle, les tableaux dits «indécents» sont accusés d’inciter les croyants à la débauche. Le sexe, amalgamé avec l’idée du «plaisir charnel», se voit peu à peu privé de tout pouvoir opératif. En séparant ce qui est bas de ce qui est haut, les pères de l’église amputent le sexe de toute magie, de tout pouvoir. Autrefois, il protégeait la vie des individus, les maisons, les vergers, les villages. On le portait en broche pour partir sur les chemins de Compostelle. On en faisait des ex-voto. Il était un des talismans les plus courants avec la croix. Et maintenant ? «En réduisant le sexe à son pôle sensuel et érotique, l’Église a permis la naissance de la pornographie», concluent les chercheurs. Maintenant, le sexe est sexuel. Rien d’autre que sexuel, érotique, excitant, honteux, lascif et embarrassant.

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A LIRE : Image et transgression au Moyen-Age, de Gil Bartholeyns, Pierre-Olivier Dittmar et Vincent Jolivet, éditions papiers.

POUR EN SAVOIR PLUS : «Vive la Saint Foutin» ; «La vulve, anti-dépresseur mythique» ; «La plaie du Christ serait-elle une vulve ?« ; »Tu n’as pas honte ?«

(1) «Le fait que ces représentations soient fréquentes ne signifie pas qu’elles étaient anodines, qu’elles ne suscitaient aucune réaction. C’est justement parce que ces images sont obscènes, gênantes, qu’elles fonctionnent en tant que repoussoirs. L’insulte – langue tirée ou doigt brandi – fonctionne de la même manière. C’est parce que ces gestes sont interdits, parce qu’ils évoquent quelque chose d’impudique ou de malvenu qu’ils repoussent et, par conséquent, protègent. Et c’est pour les mêmes raisons qu’ils prêtent à rire.»

ILLUSTRATIONS : Nonne cueillant des pénis : Guillaume de Lorris et Jean de Meun, Le Roman de la Rose, XIVe siècle, Paris, BnF ms. Fr. 25526, fol. 160r. / Homme montrant son anus : Psautier de Gorleston, 1310-1324, British Library, Add. ms. 49622, fol. 61r. / Homme montrant son pénis et femme écartant sa vulve : Eglise Ste Radegonde de Poitiers, XIIIe siècle, mur nord de la nef / Broche de pélerin : Journal of Archaeology in the Low Countries. Badge displaying an enormous phallus, the reverse shows a woman pushing a wheelbarrow loaded with phalli, 1375-1450, found in Vlaardingen (private collection).

Un gay hard fait rire les enfants au Japon

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Au Japon quand un ancien catcheur se reconvertit dans le comique, cela donne «Hard Gay», une parodie de pervers sexuel qui vole au secours des mères de famille. Surprise. Personne n’y voit rien à redire. Pourquoi ?

Entre 2005 et 2009 environ, un comique japonais fait un triomphe à la télévision sous le nom officiel de «Razor Ramon HG», ou encore «Hard Gay» (HG). Seulement vêtu d’un mini-short moulant et d’un haut de vinyle noir, coiffé d’une casquette à clous, il se déplace dans les rues des villes japonaises, effectuant ce qu’il appelle du «social improvement» c’est-à-dire que, tout en agitant frénétiquement son bassin sous le nez des passants héberlués, il vient au secours de SDF, incite les jeunes à témoigner plus de respect pour leurs parents, aide les vieilles dames à traverser la rue et joue au redresseur de tort. Son combat : lutter contre la perte des valeurs. Ses moyens : de frénétiques mouvements pelviens, assortis de cris «Fuuuuuuuu !!».

Le message fait mouche. Jouant sur le contraste entre son personnage de «pervers» sado-maso et sa mission d’ange urbain, Hard Gay arpente les rues de Tôkyô en quête de bonnes actions à mener, sans jamais cesser de se tortiller. Peu sensibles à son humour, certains militants gays l’accusent de donner des homos une image négative, renforçant le stigmate qui frappe leur communauté. Il est vrai que Hard Gay n’y va pas de rein mort. Il ondule tellement du bassin qu’on se demande à chaque fois, coeur serré, s’il ne va pas se recevoir un coup de poing dans la figure. Mais non. Au pire, ses interlocuteurs s’enfuient. Hard Gay ne suscite, semble-t-il, jamais la colère, ni l’indignation. Et cela même en présence d’enfants, que dis-je, même dans les jardins d’enfant, Hard Gay se fait applaudir. Les mères ne crient pas au pervers. La police ne vient pas l’arrêter.

Sur cette vidéo ci-dessous, par exemple, il cuisine avec des enfants dans le but de changer leurs goûts en matière d’alimentation. Les mères se plaignent que leurs petits refusent les légumes ? Hard Gay relève le défi. Il se fait fort de convertir un récalcitrant au natto, préparation ultra gluante de soja fermenté. Le natto ressemble à de la morve ou du sperme très épais, au choix. Peu d’enfants apprécient ce plat dont les vertus nutritives sont pourtant reconnues. En avant. Hard Gay se rend dans un parc, joue avec les enfants qui ont «la tête à hauteur de ses hanches» (dit-il, commencez la vidéo à 1:33), remue follement des fesses, multiplie les allusions sexuelles (1) et… finit par faire manger du nattoà un petit garçon sous les yeux ravis des mamans.

On pourrait voir dans cette surprenante tolérance une forme très révélatrice de ce que certains nomment «le laxisme» du Japon en matière de pédopornographie. Mais peut-on accuser des mères de famille japonaises de laisser leurs enfants sans protection face à une forme d’intrusion sexuelle violente ? Non. Il semblerait que ni les grands ni les petits ne voient pas «le mal» dans les ondulations pseudo-coïtales de Hard Gay. Exposés à cet étrange personnage, qui tend avec outrance ses parties génitales dans leur direction, les enfants rient, plutôt de bon coeur, sans se sentir agressés par le monsieur. De façon très révélatrice, les vidéos de Hard Gay se regardent avec la même surprise queles images de vulves médiévales : «Onregarde ces images en supposant une norme, on traque le passage de la limite, on raisonne en posant implicitement la question du licite et de l’illicite, du tolérable et de l’insupportable».

Nos réactions, face aux vidéos de Hard Gay, témoignent d’une habitude à penser la représentation du sexe en termes de transgression. Mais ce que ces vidéos démontrent c’est que, visiblement, le sexe de hard Gay n’est pas connoté sexuel au Japon. Il est connoté «protecteur» et «magique». Talisman vivant, Hard Gay se sert de son pénis pour chasser les petits loubards. Il éloigne, à coups de pubis, les garçons qui importunent des inconnues dans la rue. Il s’en sert aussi pour chasser les pensées tristes. On le voit ainsi consoler, à coups de pubis, un enfant qui pleure : «Allez, souris», dit-il, en remuant follement du croupion devant le môme qui finit par sourire. «Hard Gay, Okayyyyyy ! Tout va bien maintenant». L’effet est presque immédiat. Plus Hard Gay se décha^ne de l’entrejambe, plus les spectateurs rient, comme si dans cette caricaturale démesure, il prenait les mêmes proportions que ces pénis géants qui, lors des processions shintô, servent de porte-bonheur.

Hard Gay en fait trop. Ce faisant, il confine au cosmique. L’extravagance ostentatoire de ses déhanchés privent ses gesticulations de tout érotisme. Hard Gay ne joue pas à exciter les gens. Il joue à les sidérer, les subjuguer, les frapper de telle manière que son sexe ne soit plus l’expression d’un désir, mais d’un super-pouvoir : celui de mettre en déroute les influences négatives. Pour reprendre les mots de Gil Bartholeyns, Pierre-Olivier Dittmar et Vincent Jolivet, auteurs d’Image et transgression au Moyen-Age «Il serait réducteur de voir dans ces [représentations du sexe] la seule expression du mal tant les indices sont nombreux qui laissent penser qu’elles possèdent des fonctions particulières». En Occident, ce sens-là s’est pour une large part perdu. Les images du sexe comme porte-bonheur n’existent presque plus chez nous. Mais pas au Japon, où les organes génitaux font encore partie des objets cultuels. Hard Gay en fournit une preuve «éclatante».

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CET ARTICLE FAIT PARTIE D’UN DOSSIER EN DEUX PARTIES: «Hochet phallique pour bébé ?»

POUR EN SAVOIR PLUS SUR LES USAGES SYMBOLIQUES DES ORGANES GENITAUX : «Vive la Saint Foutin» ; Jettatura : que Priape m’en protège» (la corne comme porte-bonheur) ; «Hé, le cornu !» (le lien entre phallus et corne) ; «Quel est le lien entre un cocu et un cornichon ?» (pourquoi dit-on que les cocus portent des cornes) ; «La vulve, anti-dépresseur mythique» ; «La plaie du Christ serait-elle une vulve ?« ; «Tu n’as pas honte ?

POUR EN SAVOIR PLUS SUR HARD GAY : «Qu’est devenu le comique Masaki Sumitani ?», VIDEO sur Youtube sous-titrée. Hard Gay oblige des jeunes à souhaiter la fête des pères (et va jusqu’à faire porter à un papa une tenue SM offerte par sa fille)

NOTE

(1) Hard Gay a l’habitude dire «Sei sei sei sei sei», ce qui habituellement compris comme une abréviation de «urusei» : «tais-toi». Mais sei peut aussi se comprendre comme un jeu de mort sur «sexe, sexe, sexe, sexe».


Les minous vous mettent-ils en émoi ?

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Les minous vous mettent-ils en émoi ?

Beaucoup de gens hurlent à la «perversion» face au spectacle de filles qui s’embrassent ou se masturbent avec un nounours. D’autres disent que l’homosexualité ou l’attirance pour les peluches c’est «normal». Mais non, proteste Jesse Bering, personne n’est normal. La preuve par le minou.

En 1948, Alfred Kinsey, père de la sexologie, note que les sociétés humaines admettent fort mal que certains individus ne respectent pas le comportement sexuel conforme. Le problème c’est que personne n’est tout à fait «conforme». Kinsey est le premier à l’établir de façon chiffrée, objective : beaucoup de petits garçons et de petites filles utilisent des animaux pour se masturber, dit-il. Cela fait partie des expériences communes. Devenu adulte, on l’oublie. Mais parfois, on ne l’oublie pas. «Il n’est pas rare, dans certaines régions rurales, de trouver des individus qui admettent ouvertement une satisfaction érotique, due à de tels rapports». Plus les individus vivent au contact des animaux, plus le contact est rapproché, répété. A partir de quel moment cette anodine expérience de masturbation devient-elle une forme d’attirance à caractère «pervers» ? Kinsey, semble-t-il, refuse de tracer une limite entre les deux. Pour lui, quand une gamine de 9 ans se frotte le sexe avec un petit chat elle est zoophile. Même si elle ne le fait que deux ou trois fois dans sa vie. A-t-il si tort ?

Le Rapport Kinsey qu’il publie en 1953 établit que la proportion générale de «zoophiles» dans la population des Etats-Unis est de 8% pour les hommes et de 3,6% pour les femmes. D’après le même rapport, en milieu rural, 17% des garçons américains ont eu au moins une relation sexuelle avec un animal. Dans l’ouest des Etats-Unis, la fréquence augmente : 40%, soit près de la moitié des adolescents, ont eu au moins une relation sexuelle avec une chèvre, un veau ou un mouton. Les partenaires animaux des hommes sont le plus souvent des animaux de la ferme, tandis que pour les femmes il s’agit le plus souvent de chiens d’agrément ou de chats.

«Dans certains cas, le garçon peut montrer de l’affection pour l’animal particulier avec lequel il a des rapports et certains mâles ressentent une violente émotion quand les circonstances les obligent à cesser tous rapports avec un animal particulier. Si cela semble une étrange perversion de l’affection humaine, on devrait se rappeler qu’une relation affectueuse exactement semblable s’établit dans bien des maisons où il y a des animaux familiers ; et il n’est pas rare, dans notre société, que des personnes soient considérablement bouleversées par la perte d’un chien favori ou d’un chat, qui a vécu un certain temps au foyer. Les éléments en jeu dans les rapports sexuels entre les hommes et les animaux ne sont pas du tout différents de ceux qui entraînent les réactions érotiques entre des êtres humains».

S’appuyant sur le Rapport Kinsey, le scientifique américain Jesse Bering publie un livre intitulé Pervers. Nous sommes tous des déviants sexuels(sortie le 12 février aux éditions H&O). En couverture : deux agneaux à la laine douce… Jesse Bering est gay. Enfant, il a souffert d’homophobie. Adulte, il contre-attaque : la solution pour lutter contre l’homophobie, dit-il, ce n’est pas de dire que les gays et les lesbiennes sont des gens normaux. C’est de dire qu’il n’existe personne de normal. Plus précisément : que la normalité est un leurre social, historiquement fluctuant. Tout le monde essaye de faire croire à sa normalité. Mais tout le monde s’est un jour masturbé sur un animal, un scénario de viol, une image d’enfant, un rêve mouillé avec papa-maman. A quoi bon le nier ? Nous sommes tous des pervers et c’est en le reconnaissant que nous pourrions peut-être enfin cesser de juger les autres, voire de les insulter, ou les agresser, alors que les autres n’ont jamais fait de mal à personne. Dans son livre, Jesse Bering consacre notamment un long passage à l’absurdité des lois humaines qui condamnent les comportements sexuels non-conformes. Ces lois ne cessent de changer, dit-il.

«Une mesure visant à l’extermination préventive des pédophiles obtiendrait aujourd’hui, je n’en doute pas une seconde, un appui massif de la population. Leur raisonnement serait le suivant : puisque les pédophiles sont par essence mauvais, en les éradiquant, nous agissons dans l’intérêt ou pour le bien de la société. On trouve une approche similaire face au traitement de la déviance sexuelle dans une histoire se déroulant au XVIIe siècle en Nouvelle-Angleterre. Vous avez sans doute entendu parler de la chasse aux sorcières, à Salem, mais votre culture ne s’étendra pas, je crois, à la chasse aux hommes cochons de New Haven (dans l’état du Connecticut). À l’époque, ce n’étaient pas les pédophiles qui étaient les pires monstres sexuels (l’âge légal pour le consentement au mariage était de dix ans dans les colonies), mais des suppôts de Satan fécondant des animaux de ferme.» A cette époque, les colons protestants croyaient fermement, semble-t-il, qu’un humain pouvait se reproduire avec un animal. Cette croyance s’appuyait sur l’existence d’animaux malformés, mis au monde avec deux têtes ou trois pattes : une progéniture maléfique !

Le cas le plus célèbre de procès pour «sodomie» (la sodomie recouvrant des actes pervers tels que la bestialité) se déroule dans la colonie de Plymouth (Massachusetts), en 1642 et frappe un garçon de 16 ans nommé Thomas Granger (1). «Cet adolescent très porté sur la chose avait été inculpé pour avoir pris d’indécentes libertés dans une étable remplie d’animaux, comprenant entre autres“une jument, une vache, deux chèvres, cinq moutons, deux veaux et une dinde“», explique Jesse Bering qui insiste sur «la circonspection avec laquelle cette affaire fut traitée par les autorités judiciaires». Chose admirable en effet, les juges tenaient à identifier précisément les partenaires sexuels du garçon. «Peu de doute subsistait dans les esprits de ces braves gens : il fallait envoyer ce garçon aux flammes […]. Mais l’incertitude régnait sur les bancs du jury pour savoir lesquels exactement des moutons il avait souillé, et le problème se posait donc de savoir lesquels abattre et lesquels épargner. Il était crucial de l’établir, non seulement parce que le bétail était une denrée précieuse dans cette colonie menacée, mais aussi parce que s’ils tuaient les mauvais moutons, ils risquaient l’impensable : un monstrueux et bêlant prodige à sabots risquait de mener la belle vie à Plymouth sans que l’on puisse le savoir».

Pour distinguer les animaux coupables des non-coupables, on mit Granger face au bétail suspect. «Le garçon pointa d’un doigt tremblant cinq ruminants aux yeux ambrés qui avaient apparemment été la cible de sa secrète et laineuse concupiscence. Les archives de la cour indiquent que les animaux furent ensuite“tués devant son visage, selon la loi, Lévitique 20:15. Thomas Granger fut ensuite exécuté.“ Les bougres — terme qui désignait autrefois ceux qui avaient des relations sexuelles avec des porcs, des ânes, chiens, et autres animaux — devaient en découdre avec les arbitres moraux et les procureurs zélés. À New Haven en 1642, quelques semaines après l’affaire Granger […] George Spencer, un domestique connu pour son“esprit profane, mensonger, moqueur et lubrique“ fut exécuté pour avoir fait l’amour au cochon de son maître. Il eut beau tout renier en bloc, malheureusement pour lui, la truie finit par donner naissance à un foetus malformé (“un monstre prodigieux“) ressemblant un peu trop à George au goût de la plupart des habitants.» Le petit cochon mort-né était borgne, tout comme George !

Dans le climat émotionnel de panique qui régnait alors, on condamna «le père» sans tergiverser sur la base de cette preuve sans équivoque. Peu de temps après, rebelote. En 1647, un autre habitant de New Haven au nom somme toute ironique de Thomas Hogg(2) se retrouva également mêlé à une affaire de sodomie quand une truie du voisinage mit bas un petit déformé à «la peau et au visage clairs et blancs, comme Thomas Hogg». Jesse Bering raconte comment le coupable fut confondu : «Les allégations portées contre Thomas Hogg étaient si graves que le gouverneur et le vice-gouverneur l’escortèrent eux-mêmes à la ferme vers la truie en question, et lui ordonnèrent de “caresser“ l’animal devant leurs yeux — le but étant de déterminer leur degré d’intimité.“La truie connut sur-le-champ un élan de concupiscence“, nous disent les archives, “tant et si bien qu’elle expulsa de la semence devant eux“ (3). En revanche, lorsque Hogg caressa à contrecoeur les mamelles d’une autre truie, celle-ci ne répondit pas à ses faveurs. Du moins, elle ne vida pas sa vessie quand il lui toucha les mamelles, ce qui est probablement ce qu’avait dû faire le cochon précédent. Et c’est ainsi que Hogg, comme Granger et Spencer avant lui, fut exécuté».

Jesse Bering conclut : on a facilement tendance à juger ou condamner moralement les «pervers». Mais qui sommes-nous pour traiter les autres de pute, de pédé ou de déviant ? Que celui qui ne s’est jamais masturbé sur un minou lance la première pierre.

A LIRE : Pervers. Nous sommes tous des déviants sexuelsde Jesse Bering, aux éditions H&O.

NOTES

(1) Robert F. Oaks, “‘Things Fearful to Name’: Sodomy and Buggery in Seventeenth-Century New England”, Journal of Social History 12, n° 2 (1978).

(2) Hog signifie porc en anglais (porc châtré en anglais britannique, et porc verrat en anglais américain).

(3) Op. cit., p. 276.

Faut-il interdire l’inceste ?

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Faut-il interdire l’inceste ?

Actuellement en France, l’inceste n’est pas un crime «en soi», pas tout à fait. Le 18 février 2016, le Sénat examinera une nouvelle proposition de loi sur la «protection de l’enfance» dont l’article 22 pose problème : si l’on qualifie d’inceste un acte consenti entre consanguins de 15 ans ou plus, quelles pourraient en être les conséquences ? Frères et sœurs, désormais, devront-ils se cacher bien plus profondément encore dans les ténèbres de l’ignominie à quoi ce mot les voue ?

Eliminé de la liste des «crimes» à la Révolution française, l’inceste revient dans les textes de loi, sans que l’on sache encore très bien à quoi s’en tenir. Ce terme avait été supprimé du Code pénal en 1791 : «Les révolutionnaires considéraient qu’il relevait, au même titre que le blasphème, la sodomie, et la bestialité, d’un interdit d’ordre moral non nuisible à la société et, par conséquent, relégué à la sphère familiale.» Interrogée par Le Figaro la présidente de l’association internationale des victimes (Aivi), Isabelle Aubry, se félicite que l’Etat ait maintenant la possibilité de s’immiscer dans les «affaires de famille». «Il s’agit là d’une avancée symbolique importante qui n’apporte rien au niveau judiciaire», précise-t-elle. La loi a en effet toujours puni les viols, ainsi que les relations sexuelles avec des mineurs de moins de 15 ans. Dans les faits, l’abus des enfants a toujours été sanctionné (1). Quand l’abus avait lieu au sein d’une famille, la sanction était plus lourde encore. Mais le mot «inceste» ne figurait pas dans les textes de loi.

Signe des temps, le 12 mai 2015, l’Assemblée Nationale réintroduit le mot inceste dans le code pénal… tout en affirmant qu’il ne s’agit pas en soi d’une infraction (2). Parallèlement, se pose la question de savoir si l’on peut qualifier d’inceste les «atteintes sexuelles» commises entre enfants du même lit… Le 18 février 2016, après moult relectures, le Sénat examinera une nouvelle proposition de loi sur la «protection de l’enfance». L’article 22 pose problème : si l’on qualifie d’inceste un acte consenti entre consanguins de 15 ans ou plus, quelles pourraient en être les conséquences ? Frères et sœurs, désormais, devront-ils se cacher bien plus profondément encore dans les ténèbres de l’ignominie à quoi ce mot les voue ?

Croyant venir au secours des victimes d’abus, les défenseurs de cette loi affirment qu’il faut renforcer la puissance du tabou. Mais suffit-il de durcir la loi pour faire baisser les crimes ? Pas si sûr. Dans son livre Pervers. Nous sommes tous des déviants sexuels, le scientifique Jesse Bering, spécialiste des comportements humains, note avec beaucoup de justesse que ce n’est pas en stigmatisant l’inceste qu’on empêchera des viols. En stigmatisant l’inceste, dit-il, on ne fera que renforcer le dégoût que la majorité des gens éprouvent pour certains types de relations amoureuses et sexuelles qui ne font pourtant de mal à personne. Il en veut pour preuve l’étonnante histoire d’amour (?) qui lie Milo et Elijah Peters.

«Prenez les frères Élie et Milo Peters, par exemple, deux jumeaux identiques praguois d’une vingtaine d’années jouant ensemble dans des films pornos gays où ils se pénètrent analement l’un l’autre. Non seulement les jumeaux Peters ont des relations sexuelles ensemble depuis leurs quinze ans, mais ils se considèrent également comme un couple, tout comme n’importe quel autre couple dont les gènes ne correspondent pas parfaitement. Ils se disent monogames hors caméra. «Mon frère est mon petit ami, et je suis son petit ami, dit l’un de l’autre. C’est ma force vitale et mon unique amour.» De leurs vrais noms, Michal and Radek Cuma, ces deux acteurs de X se font connaître sur le site hongrois BelAmi dans les années 2009-2010, entraînant un boom des productions estampillées twincest. Grâce à eux, la fréquentation du site BelAmi augmente de 1,5 million d’utilisateurs par mois. Au début très timides, les deux frères se contentent de co-baiser un partenaire dans les orifices duquel ils se succèdent sagement. Les mois passants, encouragés à se rapprocher toujours plus, ils finissent par s’embrasser puis se prendre par tous les orifices avant de… disparaître au terme d’une carrière éclair.

Dans un article publié sur Salon.com (intitulé «Le plus choquant des tabous gay porno»), le journaliste Thomas Rogers, décrit ainsi une de leurs plus mémorables vidéos : «Cela commence par une confession, durant laquelle les deux allongés sur un matelas parlent de l’attraction qu’ils éprouvent l’un pour l’autre.

“Rien qu’à voir mon frère se regarder dans un miroir me fait bander“. Rapidement, ils se déshabillent et se retrouvent en monokini, assis sur les genoux l’un de l’autre, puis entament un slow tout en se rappelant des souvenirs (“C’est comme cette nuit au club disco… »). Ensuite, les choses deviennent plus intenses : ils s’embrassent passionnément, se masturbent réciproquement, se sucent et finalement ont une relation sexuelle non-protégée. La scène est perturbante non seulement parce que la vision de deux hommes parfaitement identiques qui s’enlacent est déconcertante, mais parce que ces jumeaux sont soit d’excellents acteurs, soit aiment vraiment le sexe à deux.» Thomas Rogers cite à ce sujet Jack Shamama, rédacteur en chef du Gay Porn Blog : «Ce qui les rend en partie si choquants, c’est qu’ils s’investissent totalement, quand ils baisent, ils le font de tout leur coeur».

Lorsque Milo et Elijah disparaissent du circuit, emportant avec eux leur secret (étaient-ils amoureux ?), le fantasme seul suffit parfois à ressusciter le parfum de leurs sulfureuses étreintes. Les amateurs de twincest se régalent de photos «à la limite de l’érotisme transgressif». qui se contentent parfois tout juste d’évoquer le frisson d’un contact consanguin. D’autres jumeaux reprennent le flambeau. «Les Américains ont Max et Charlie Carver, les Portugais Kevin et Jonathan Sampaio, les Brésiliens ont désormais David et Daivis Fernandes», s’enthouasisme un journaliste de la revue Queerty.com face aux photos finalement très pudiques de deux frères et mannequins de mode posant côte à côte dans des tenues déshabillées. On est loin des étreintes torrides des jumeaux Peters. Mais qu’importe. En matière de twincest, c’est l’intention (parfois même le procès d’intention) qui compte.

L’inceste est à ce point bouleversant, surprenant, scandaleux qu’il suffit de faire semblant pour exciter les foules. Sur Google quand vous tapez twincest, ce sont les photos des frères du groupe allemand Tokio Hotel qui apparaissent maintenant, photos généralement retouchées, accompagnées de phrases suggestives, parfois même de fan-fictions pornographiques ou sado-masos inspirées du manga OHSHC (Ouran High School Host Club, «Le Lycée de la séduction»), dans lequel deux jumeaux – les frères Hitachiin – s’enlacent à qui mieux mieux.

L’amour fraternel a le goût délicieux de l’interdit. Vu de loin, sous des formes fantasmatiques, il fait même puissamment rêver. Mais de près ? Les réactions habituelles à l’inceste sont celles du dégoût. Nous sommes culturellement déterminés à considérer l’inceste comme une déviance horrible et répugnante.

«Considérons les éléments suivants, plaide Jesse Bering : le consentement sexuel enthousiaste et mutuel des jumeaux Peters, leur absence surprenante de honte sur le sujet et leur évident bonheur à être l’un avec l’autre.» Si l’on examine tout cela, il en ressort que ce couple incestueux n’est pas «aussi manifestement «mauvais» qu’on nous a appris à le penser. Faut-il se laisser toucher par leur apparence de félicité conjugale ? Ou rejeter avec violence toute forme d’empathie pour eux? Le point de vue de Jesse Bering est le suivant : «Nos facultés mentales sont aisément obscurcies par nos réactions émotionnelles qui ne peuvent permettre une juste détermination du préjudice, c’est ce que l’on pourrait appeler «le facteur de dégoût». Les sentiments de répulsion ont une façon de saper notre intelligence sociale qui va jusqu’à compromettre notre propre humanité. En réalité, s’il y a une seule chose que les chercheurs ont apprise sur le raisonnement moral et le sexe depuis ce XXIe siècle, c’est que le dégoût est le moteur viscéral de la haine. La bonne nouvelle, c’est qu’une fois que vous comprenez comment tout cela fonctionne, vous pouvez neutraliser ce moteur. Le meilleur espoir de résoudre ce problème si profondément enraciné de dégoût sexuel est d’en déconstruire les fonctions». Autrement dit : il faut désapprendre le dégoût qu’on nous a enseigné à avoir pour certains comportements sexuels et/ou amoureux. Parce que ce dégoût n’a… aucune raison d’exister ?

LUNDI PROCHAIN : l’inceste met-il en danger les humains ?

A LIRE : «Host Club. Le Lycée de la séduction», de Bisco Hatori, éditions Panini. Pervers. Nous sommes tous des déviants sexuelsde Jesse Bering, aux éditions H&O (sortie le 12 février 2016).

NOTES

(1) Les peines encourues étaient aggravées lorsque l’agresseur sexuel était «un ascendant ou toute autre personne ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait».

(2) Note de synthèse du Sénat : «En France, l’inceste, c’est-à-dire le rapport sexuel entre deux personnes qui sont parentes à un degré où le mariage est interdit, ne constitue pas une infraction spécifique. Si la relation est librement consentie et concerne deux personnes qui ont dépassé l’âge de la majorité sexuelle, fixé à quinze ans dans notre pays, elle ne tombe pas sous le coup du code pénal». Source : http://www.senat.fr/lc/lc102/lc1020.html

J'aime ma sœur… qui suis-je ?

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J'aime ma sœur… qui suis-je ?

Chez les animaux l’inceste ne pose, semble-t-il, aucun problème. Pourquoi, chez les humains, fait-il l’objet d’un tabou que seuls les êtres d’élite et d’exception sont autorisés à transgresser ? Les rois d’Egypte le font. Pourquoi pas moi ?

Il existe une idée reçue selon laquelle l’inceste serait universellement prohibé chez les humains pour des raisons biologiques. Faux. La consanguinité peut présenter un risque pour les individus (si les parents sont porteurs de mutations dommageables) mais l’accouplement consanguin se révèle in fine extrêmement avantageux pour l’espèce : «en favorisant l’expression des allèles délétères récessifs, et donc l’élimination des individus porteurs, elle réduit leur fréquence dans la population.» La reproduction entre proches consanguins favorise ce que la revue Science et vie appelle le «nettoyage génétique», c’est-à-dire l’élimination des mauvais allèles. Ce qui explique peut-être pourquoi certains animaux comme le cichlidé émeraude (poisson connu des aquariophiles) préfèrent trois fois sur quatre s’accoupler avec leur frère ou leur sœur. Le magazine Science et Vie va plus loin encore dans ses conclusions : il se peut fort que les conséquences funestes de l’endogamie soient imputables à la prohibition de l’inceste. Car si les humains «purgeaient» (comme les petits poissons) leur espèce des allèles délétères, nous serions tous-tes beaucoup plus sains et nous pourrions sans danger nous reproduire à l’instar des Pharaons.

Les prohibitions sont sans rapport avec la génétique

Le tabou de l’inceste n’est donc pas «naturel» mais culturel. Il n’est pas motivé par un «instinct de préservation», mais par des règles sociales absurdes… «absurdes» au sens où – comme la plupart des règles sociales – rien ne les justifie qu’un ordre symbolique. C’est l’anthropologue Françoise Héritier qui fournit sur l’inceste le travail de recherche le plus abouti, le plus passionnant. Reprenant la théorie de Lévi Strauss, pour qui l’inceste n’a d’autre fonction qu’encourager le système d’alliance entre familles, Françoise Héritier démontre en effet que si le tabou de l’inceste a souvent pour «vertu» la circulation des enfants et des biens, il serait cependant erroné de réduire ce tabou à une stratégie visant à favoriser les échanges. Elle en veut pour preuve que l’interdit ne concerne pas que les collatéraux au premier et deuxième degré. Pour le dire plus clairement : la prohibition se cantonne rarement aux relations parents-enfants ou frère-soeur. Elle touche le plus souvent des formes de parenté larges qui n’ont rien à voir avec la consanguinité. En France, par exemple, il est interdit d’épouser sa belle-mère ou sa brue (sauf, peut-être, en cas de décès). De même, il est interdit d’épouser une personne que l’on a adoptée (1), son demi-frère ou sa sœur par alliance. En Chine, il est mal-vu de s’unir à quelqu’un possédant le même nom de famille, quelle que soit la distance qui vous en sépare. Chez les indiens d’Amérique du nord, il est interdit d’épouser des personnes appartenant au clan avec lequel on a noué une alliance.

Rencontre du deuxième type

Le tabou de l’inceste n’a donc souvent rien à voir avec des liens de sang. Il s’étend le plus souvent à ces formes de parenté que Françoise Héritier baptise «du deuxième type» et qui relèvent de la filiation symbolique : les parents de lait (la nourrice), les parents spirituels ou les «sœurs/frères de sang», par exemple. Pourquoi ? Quelle logique sous-tend ce tabou ? Dans un ouvrage magistral, Les deux sœurs et leur mère, Françoise Héritier propose une réponse. Il faut «concevoir la prohibition de inceste comme un problème de circulation des fluides un corps à l’autre. Le critère fondamental de l’inceste est la mise en contact d’humeurs identiques». Kezaquo ? Pour elle, tout part d’un texte hittite du deuxième millénaire avant J.-C.. L’article 191 de ce texte de loi stipule qu’«un homme ne peut avoir de rapports avec plusieurs femmes et également avec leur mère». Bien que ni les sœurs, ni leur mère ne soit apparentées à cet homme, cela relève de l’inceste parce que – s’il passe de l’une à l’autre – il contribue à relier par le sperme des femmes qui sont reliées par le sang. Cette théorie repose sur une logique d’une simplicité lumineuse : les contraires s’attirent et les mêmes se repoussent. Il faut à tout prix éviter que les choses identiques entrent en contact, car telles des pôles identiques, elles risquent de créer l’équivalent d’un phénomène électrique de rejet, une perturbation dans l’ordre social.

Oedipe épouse-t-il vraiment sa mère biologique ?

La justesse de cette théorie apparaît de façon très spectaculaire dans le cas d’Œdipe roi (tragédie datant de 430 et 420 av. J.-C). Françoise Héritier y met brillamment en valeur un aspect peu connu du texte de Sophocle (495-406 av. J.-C.), débusquant l’inceste symbolique dans ce que la plupart des commentateurs considéraient comme un inceste réel. Lorsqu’il découvre avec effroi qu’il a tué son propre père (Laïos) et épousé sa propre mère (Jocaste), Oedipe se crève les yeux. Mais Jocaste est-elle réellement sa mère ? Non, répond Françoise Héritier. Il suffit de lire le texte : quand Jocaste dévoile toute la vérité à Oedipe «Elle ne lui dit pas qu’il couché avec sa mère, elle dit qu’il couché avec son père : “Comment les sillons paternels ont-ils pu te porter jusqu’à présent ? Laïos est mort certes mais il laissé son empreinte, sa trace, ses “sillons“ dans le corps maternel“ (2). Elle accuse donc Oedipe d’avoir commis non pas un inceste du premier type mais du deuxième type. […] Elle dit clairement à Oedipe : Comment ton père a-t-il pu supporter de cohabiter avec toi dans une matrice où il avait laissé sa trace, son identité ? De son côté Oedipe lui aussi fait référence à l’inceste du deuxième type lorsqu’il dit qu’il “été révélé père par le lieu où il été labouré“. Il est père et fils dans la même matrice. Il y a donc eu, par l’intermédiaire d’une partenaire commune, rencontre de deux consanguins de même sexe qui n’auraient pas dû être dans ce type de rapport».

Puis-je me marier avec l’épouse de mon frère ?

Interrogée en 1994 à la radio, Françoise Héritier prend un autre exemple, bien plus proche de nous dans le temps et dans la culture : jusqu’en 1914, un frère ne peut épouser la femme de son frère décédé. Une femme ne peut épouser l’époux de sa soeur morte… Pourquoi ? Parce qu’en France, jusqu’en 1914, c’est considéré comme de l’inceste. «L’inceste est, au premier chef, entendue comme relations consanguines. Mais ce que l’on applique selon la loi, comme une chose allant de soi, c’est qu’il n’est pas possible d’épouser un certain nombre de parents qui sont des parents par alliance et qui ne partagent pas de liens biologiques avec vous (3). Par exemple : il est impossible d’épouser son ex belle-mère, la femme de son père, ni la mère de son épouse. Deux hommes apparentés comme père et fils –ou comme frères– ne peuvent partager la même femme. Deux femmes apparentées comme mère et fille –ou deux soeurs– ne peuvent partager le même homme.» Dès que l’on examine les textes de loi, leur part d’ombre «irrationnelle» saute aux yeux.

L’inceste fait peur, mais cette peur n’est pas celle d’avoir des enfants malades, c’est celle de recueillir en soi des humeurs perçues comme identiques. Cette horreur de l’inceste au deuxième degré est telle qu’il y a des femmes qui se sentent souillées lorsque, ayant été la maîtresse d’un homme, elles sont approchées par le frère de celui-ci. Le parfum délétère qui se dégage de telles relations (Dead ringers, de Cronenberg, 1989) ne repose sur rien d’autre que le dégoût d’une contamination symbolique : qui sait ce qu’il pourrait se passer si, dans le corps de la femme qui recueille des fluides, la semence de deux frères entrait en contact ?

A LIRE : Les deux sœurs et leur mère, de Françoise Héritier, éditions Odile Jacob, 1994.

NOTES

(1) Aux Etats-Unis, si Woody Allen a pu se marier avec la fille adoptive de son ex-compagne, Mia Farrow, c’est parce qu’il n’avait pas épousé Mia Farrow.

(2) On préférera peut-être cette version d’Œdipe-Roi, empruntée à l’édition bilingue des œuvres de Sophocle parue aux Belles Lettres en 1965, avec la traduction de Paul Mazon : «Ainsi la chambre nuptiale a vu le fils après le père entrer au même port terrible ! Comment, comment le champ labouré par ton père a-t-il pu si longtemps, sans révolte, te supporter, ô malheureux ?» (strophe 2, vers 1204 à 1213)

(3) De la même manière, ce n’est pas forcément un inceste de premier type que dénonce le verset 8 du Lévitique : «La nudité de la femme de ton père tu ne la découvriras pas, c’est la nudité de ton père». Car «la femme de ton père» peut très bien être la femme numéro 5 d’une tribu polygame et non pas votre propre mère.

Pourquoi «faire un câlin» vous embarrasse ?

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Un essai de 170 pages vient d’être publié sur le «câlin». Ce mot méritait-il tant ? Surprise : le traité se lit en une heure… et on en redemande, surpris d’apprendre qu’à l’origine le «câlin» était tout sauf gentil.

Il y a des mots qui sont maudits. «Câlin», par exemple. Jean-Luc Benoziglio dans son roman La Voix des mauvais jours et des chagrins rentrés (2004) le conspue : «Dire baiser à la place de faire l’amour, d’accord, c’est peut-être grossier. Mais employer à la place l’expression : Faire un câlin, alors ça, je trouve ça de la plus obscène des vulgarités.» Il y a cependant pire : «calinou», «calinette»… Mélanges sournois d’hypocrisie vicelarde et de sentimentalisme mielleux, ces mots suggèrent si puissamment l’égrillarde mièvrerie qu’il est devenu presque impossible en France d’entendre l’expression «faire un câlin» sans penser à mal. On a beau se morigéner, non décidément, impossible de faire un «gros câlin» à une petite fille : trop honte. Mais pourquoi ce mot fait-il rougir ?

Qui trop câline, mal pine

C’est ici qu’il faut saluer la parution d’un [Court] traité des (gros) câlins, livre en apparence léger dont on n’entame la lecture qu’avec méfiance. On se dit d’abord, tiens, c’est drôle. «Ce livre est né du constat que sur le câlin, la documentation disponible était rare, fragmentaire […] qui irait s’encombrer d’un Manuel du câlin ? Vous n’y pensez pas sérieusement, j’espère ?». Puis l’auteur attaque : «ce traité des câlins sera court, car sur ce thème, une seule chose est à peu près établie : qui trop embrasse, mal étreint.» Lui non plus n’aime pas les câlins, ce qui fait tout l’intérêt de sa recherche : il essaye de savoir pourquoi. Il s’appelle Patrice Salsa. Il est DSI (Directeur des systèmes d’information) et diplômé de linguistique, passionné de langue française. «Câlin» l’intrigue : pourquoi ce mot est-il si détestable ?

Pourquoi ce mot est obscène. Réponse 1

Première réponse. Parce sa dimension érotique est «bien encombrante, surtout quand la situation implique des enfants», se moque Salsa, pointant du doigt les efforts désespérés que font les adultes pour parler du «câlin» en tout bien tout honneur. Le câlin, en principe, ne concerne que les parties supérieures du corps. C’est l’équivalent du hug, une accolade, joue contre joue, une parole tendre, un geste affectueux. Il faudrait vraiment être pervers pour y voir autre chose. N’est-ce pas ? «L’embêtant», souligne Patrice Salsa : «L’embêtant, avec le refoulé»… On a beau faire, il vous pollue l’esprit. C’est ce que le psychologue social Daniel Wegner appelle «l’effet de l’ours blanc» : plus on refoule, plus on est obsédé. Plus on force une personne à réprimer des pensées spécifiques, plus elles envahissent sa conscience.

L’effet de l’«ours blanc»

Quoi que vous fassiez, ne pensez pas, je répète, ne pensez pas à un ours blanc durant les trente prochaines secondes. Même chose pour «câlin». Ainsi que le souligne Salsa, ce mot est trop évocateur. Il rime trop avec «Nuits de Chine»… «Aussi ne faut-il pas avoir l’esprit si mal tourné que Ça pour entendre, dans cet argumentaire de livre pour enfant, une promesse alléchante : Câlinou Câlinette, du matin au coucher, sur la main ou le nez/ Câlinou Câlinette, les bisous, c’est la fête.» Et «que dire de la chanson enfantine de l’auteur-compositeur-interprète Pierre Chêne créée en 2006 qui contient les paroles suivantes ? Câlinou câlinette / Si tu le veux bien […] Où est ma culotte/ Elle s’est envolée». Aie, aie. Il n’y a pas d’innocence possible au paradis des «câlins». Reste à savoir si le refoulé ne vient pas de beaucoup plus loin en arrière dans notre inconscient collectif.

Pourquoi ce mot est louche. Réponse 2

C’est en allant chercher les définitions du mot dans les tout premiers dictionnaires de la langue française que Patrice Salsa fait sa découverte la plus intéressante. A l’origine, les mots «câlin» ou «câliner» n’ont rien à voir avec la tendresse. Surprise. «Ces termes font leur entrée, entre califourchon et calleville (une variété de pomme), dans la 3e édition du Dictionnaire de L’Académie française, en 1740» :«calin : Niais & indolent. «C’est un calin». «Il fait le calin». Caliner : se tenir dans l’inaction, dans l’indolence. «Il passe son temps à se caliner dans un fauteuil».» Le mot désigne clairement la sottise et la paresse. Patrice Salsa commente : «C’est bref. C’est concis. C’est surtout très éloigné des sens actuels. Il s’agit de significations qui ont complètement disparu des acceptions contemporaines».

Un gros calin : un gros gueux, un gros fainéant

Le Dictionnaire de Trévoux donne peu ou prou la même définition. «Calin, ine : Mot bas & populaire, qui signifie Paysan, fainéant, gueux. Un gros calin, une grosse caline, c’est-à-dire, un gros gueux, une grosse gueuse ; de ces fainéants qui courent le pays en demandant l’aumône ? Que fais-tu là calin ? Veux-tu travailler ? Il signifie là fainéant, vaurien.» Jusqu’au XIXe siècle, ainsi que le révèle Patrice Salsa, le mot «calin» (sans accent circonflexe) s’emploie donc principalement comme une injure, pour désigner «Celui, celle qui n’a ni activité, ni intelligence.» (Littré,édition de 1872-1877). Pourquoi ? C’est lié aux pèlerinages, semble-t-il.

Caliner : mendier, mentir et glander

A l’origine, les calins sont des mendiants. Pire encore : des gens qui «mendient sans besoin», c’est-à-dire qu’ils pourraient très bien travailler, mais qu’ils préfèrent tendre la main plutôt que retrousser leurs manches. Afin d’émouvoir les bonnes âmes, ils font semblant d’être malades. Pire : ils font semblant d’être des pèlerins, en route vers des lieux saints pour obtenir une guérison miraculeuse. A quoi les reconnait-on ? A la coquille de Saint Jacques qu’on nomme alors la «cale». «Câlin» viendrait donc de «coquille» ? C’est la théorie que Pierre Guiraud avance dans son Dictionnaire des étymologies obscures (1982) : pour lui, le sens de «calin» (sans accent) comme «gueux, mendiant», puis «niais, indolent» est peut-être issu de la parenté avec «cale» au sens de «coquille». «Sans être indiscutable, c’est une théorie recevable», commente Patrice Salsa qui cite fort à propos ce terme de jargon ancien : «coquillards» pour désigner ceux qui trichent (qui mendient).

Les coquillards : underground au temps des pèlerinages

«La Coquille était le nom d’une association de malfaiteurs du XVe siècle dont les membres, les Coquillards, avaient pris ce nom soit à partir de l’expression «vendre ses coquilles» (tromper) soit parce qu’ils se faisaient parfois passer pour des pèlerins de Saint-Jacques de Compostelle.» Voilà que tout s’éclaire. Ou presque. Car il existe une autre étymologie possible de «câlin», liée non pas à la «cale» (coquille) mais au latin populaire calere («être chaud»). Ça se complique.

Câlin : un dérivé du mot «chaleur» ?

S’il faut en croire les étymologies courantes, le mot «câlin» serait «probablement emprunté du normand caliner, «se reposer à l’ombre», dérivé de caline [ou chaline],«chaleur lourde, étouffante». En été, à midi, impossible de rester au soleil sans risquer une insolation. Les animaux et les humains «calinent», c’est-à-dire font la sieste et paressent, en attendant que la canicule passe. Cette origine du mot «câlin» ne semble, a priori, avoir rien en commun avec celle proposée par Pierre Guiraud. Qui croire, alors ? C’est là que Patrice Salsa avance sa théorie : les deux étymologies sont justes, dit-il, car elles concernent un mot qui, à l’origine, était en réalité deux mots différents.

De l’importance de l’accent circonflexe

Imaginons que les mots «calin» et «câlin» n’aient, au départ, rien à voir. Il se pourrait fort bien qu’ils aient cohabité pendant un ou deux siècles dans la langue française… avant de fusionner. L’hypothèse se tient : en plus d’être homophones, «calin» et «câlin» évoquent l’idée commune de l’oisiveté. Patrice Salsa suggère : la «notion d’indolence –comment travailler par de grosses chaleurs étouffantes?– [n’aurait-elle pas] facilité la fusion» ? Son idée est séduisante. le mot «câlin» peut très bien être le résultat d’une rencontre entre les «chaleurs» de l’été normand et les mendiants montrant leur «cale» pour obtenir l’aumône… Bien sûr, tout cela ne repose sur aucune preuve. Ce qui fait du «câlin» un mot singulièrement opaque, voire louche.

Des cuddle parties réservées aux initiés ?

Les origines du mot «câlin» restent douteuses. Nul doute que le mot lui-même n’en ait gardé la trace : il flotte autour de lui un parfum coupable d’incertitude. Le fait même de serrer quelqu’un dans ses bras met mal à l’aise : cette accolade qu’on appelle hug, par exemple, quoi de plus fallacieux ? Si l’expression «faire un câlin» vous paraît d’une épouvantable vulgarité, il y a pire encore : c’est cette démonstration d’amitié avec de parfaits inconnus armés de leur pancarte «free hug». Patrice Salsa, à ce sujet, dévoile d’autres étonnantes informations. Saviez-vous qu’il existe des forums uniquement dédiés au sens des câlins qui excèdent 5 secondes ? Des soirées du style sociétés secrètes (cuddle party) aux Etats-Unis ? Et des listes des positions authentifiées pour faire des câlins ? Son [Court] Traité des (gros) câlins est une mine. Il faudra y revenir. Il faut le lire.

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A LIRE : [Court] traité des (gros) câlins, Patrice Salsa, éditions Book on Demand, 2015.

POUR EN SAVOIR PLUS : «L’influence du ciel sur nos câlins»

Concombres en danger, godes abusés

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Concombres en danger, godes abusés

Il paraît normal chez nous (en Occident) que des animaux de compagnie soient considérés comme des personnes. Mais des objets ? «Foutaises». Un concombre ne va tout de même pas porter plainte pour viol. Pas plus qu’un godemiché. Ou bien !?

Lorsque des humains engagent une relation intime avec un objet, leur mépris affiché des choses soi-disant «inertes» et «insensibles» laisse place à de troublantes rêveries. Dans cette publicité réalisée par la boutique de sextoys Sara’s Secret, par exemple, que voyez-vous ? Un concombre fuit le lit d’une femme et court se réfugier au frigidaire. Traumatisé.

«Des milliers de concombres sont maltraités chaque jour. Mettons fin aux abus sexuels de légumes», propose Sara’s Secret qui suggère une solution : un godemiché. Mais a-t-on demandé son avis au godemiché ? Après tout, les sextoys pourraient très bien porter plainte, à leur tour, pour sévices.

Vous trouvez cela risible ?

En Occident, on a tendance à se moquer des personnes qui chantent pour encourager l’éclosion des fleurs. Les adultes incapables de jeter leurs vieilles peluches sont soupçonnés d’immaturité. Les hommes qui s’attachent à une poupée ? Des pervers. Suivant un préjugé encore très courant de nos jours, seuls les enfants – et les primitifs – sont capables d’imputer une vie aux objets. Mais le vernis de ce préjugé se fissure dès qu’il est question de sexe.

Un lobby anglais pour interdire l’usage sexuel des robots

La preuve : en septembre 2015, des chercheurs en éthique, en anthropologie et en robotique, issus de la communauté scientifique britannique lancent une campagne contre les robots sexuels parce que, disent-ils, les clients pourraient entretenir avec les robots des rapports de domination et, par association d’idées, réduire les prostituées humaines «à l’état de choses (comme les robots).» Il est curieux de voir comment ces chercheurs fantasment la relation à l’objet, imaginant que les robots sexuels seraient forcément des victimes (1). Pourquoi craignent-ils tant que le robot se fasse maltraiter, exploiter ou violer ?

Peut-on parler de maltraitance pour des objets ?

Le 29 février sur RTL, dans l’émission On est fait pour s’entendre, consacrée aux robots sexuels, une auditrice intervient : «Moi, ce qui me fait peur, c’est l’idée qu’on profite d’un objet sans volonté. Si la machine accepte tout… Moi je vois le côté dérangeant d’un comportement presque de viol». Flavie répond : «Mais utiliser un sextoy, en revanche, ça ne vous gêne pas ?». L’auditrice réplique : «Le robot c’est un visage humain, c’est un corps humain». Flavie enchaîne : «Je comprends, cette idée de la maltraitance, est-ce que ça ne pourrait pas réveiller aussi chez nous des pulsions… une sorte de violence ?».

Serge Tisseron à qui elle pose la question, psychiatre et auteur d’un livre intitulé Le jour où mon robot m’aimera, répond avec philosophie : «Vous savez, le robot sera un peu comme les jeux vidéo aujourd’hui, c’est-à-dire plus ou moins faciles. Vous pourrez le programmer pour qu’il soit moins complaisant, et puis selon les conditions dans lesquelles vous le branchez, il pourra être parfois plus réticent que ce que vous souhaiteriez. Si les machines étaient complètement esclaves, nous nous en lasserions très vite».

Vous préférez Carmen ou Cosette ?

Un objet qui résiste ou qu’il faut séduire est certainement plus excitant qu’un exutoire inerte. C’est ce que montre l’exposition Persona, étrangement humain au Musée du Quai Branly. Mettant côte à côte des fétiches africains et des œuvres d’art contemporaines, l’exposition dévoile, au fil d’une splendide et troublante démonstration, à quel point nous, les «modernes» sommes sensibles aux émotions, souvent complexes, que nous projetons sur les machines. Il est tellement plus intéressant d’imaginer que l’ordinateur fait un caprice quand il bugge. Que le frigo ronronne quand vous rentrez du travail. Que la voiture réclame votre attention. Les objets qui donnent l’impression de manifester des émotions contradictoires ou qui exigent de l’amour sont les plus séduisants.

Petite expérience de psychologie

En 1944, les psychologues Fritz Heider et Marianne Simmel font une expérience pour le prouver. Cette expérience, vous pouvez à votre tour la faire au Musée du Quai Branly. Elle est très simple. Il s’agit de regarder un petit film d’animation très court, «dans lequel deux triangles et un disque bougent à l’intérieur et à l’extérieur d’un carré qui s’ouvre et se referme». Chaque fois que Heider et Simmel montrent cette séquence, le public réagit pareillement. A la question «qu’avez-vous vu ?», les spectateurs répondent qu’un des triangles était particulièrement «excité», «agressif» et que le rond était «hésitant» ou «fragile». Ce ne sont plus de simples figures géométriques, mais les héros d’une saynète romantique. Le triangle 1 est un mâle en rut qui poursuit le rond de ses assiduités. Le triangle 2 vole au secours du rond. Le carré protège les amants en fuite…

Nous, les cartésiens. Eux, les animistes ?

Tout imbus de notre pseudo-supériorité sur ceux que nous appelons négligemment des «animistes» (autant dire des sauvages), nous sommes pourtant incapables de regarder un agencement de formes symétriques pour ce qu’il est. Nous l’interprétons comme une histoire d’amour et de guerre. Notre cerveau projette du sentiment. Nous peuplons les nuages de chimères qui s’enlacent et se battent. Nous prêtons des pensées à des cellules vues au microscope. Nous regardons dans les étoiles des histoires de déesses jalouses et de maris adultères. Peu importe que les choses soient infiniment petites ou grandes, nous avons l’illusion qu’elles désirent comme nous. Faut-il avoir honte ou peur de cette tendance quasi-instinctive à entrer en empathie avec des choses qui, pourtant n’ont rien d’humain ? A cette question, l’exposition Persona apporte une réponse lumineuse.

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EXPOSITION : Persona. Etrangement humain : jusqu’au 13 novembre 2016, au Musée du Quai Branly. Exposition coorganisée par Emmanuel Grimaud, Anne-Christine Taylor-Descola, Thierry Dufrêne et Denis Vidal.

A LIRE : Le jour où mon robot m’aimera, de Serge Tisseron, Albin Michel.

Persona. Etrangement humain, codirigée par Emmanuel Grimaud, Anne-Christine Taylor-Descola, Thierry Dufrêne et Denis Vidal. Éditions Actes Sud.

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NOTE 1 : cet article ne défend pas l’idée qu’il est nécessaire de défendre les droits des robots. Il serait absurde de prendre nos fantasmes pour des réalités. D’abord parce que les robots n’existent pas encore. Nous n’en sommes qu’au stade du pantin mécanique. Ensuite parce que si jamais un jour nous étions capables de créer des robots, il est probable que nous entretiendrons avec eux des relations bien plus complexes que celles qui consistent à «abuser» d’une faible créature : notre libido est riche de scénarios bien différents et nos besoins affectifs sont immenses. Un robot passif, soumis, docile n’aurait aucun intérêt sur le plan marketing.

Plutôt que de vouloir légiférer en matière de fantasme, il est en revanche bien plus intéressant d’étudier les relations affectives que l’humain entretient avec les objets (que ces objets aient une apparence humaine ou pas), et de les étudier «sérieusement», car elles sont extrêmement révélatrices de ce qu’est l’humain. Pour le dire plus clairement : la relation aux objets est révélatrice de ce que nous sommes. Révélatrice aussi de notre besoin d’émotions. Nier aux humains ce droit, les empêcher d’utiliser des objets comme supports affectifs/sexuels, c’est empêcher l’humain de déployer ses pouvoirs. En cela, je trouve parfaitement aburde de vouloir interdire les usages sexuels des objets.

Une femme qui attaque à mains nues : jouissif?

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Une femme qui attaque à mains nues : jouissif?

On ne compte plus les séries dont des femmes violentes sont les héroïnes. Dark angel, Alias, Vip, Relic Hunters… Pourquoi ? Parce qu’en nous tous sommeille un viragophile, explique Noël Burch, auteur de L’Amour des femmes puissantes et promoteur d’un fantasme singulier : celui de l’homme terrassé-anéanti-broyé par une beauté.

Enfant, le réalisateur et essayiste Noël Burch connait son premier émoi sexuel en lisant, dans une bande dessinée, l’histoire d’un homme qui se fait «valdinguer» par une solide femelle, professeur de jiu-jitsu. «J’avais sept ans, c’était un dimanche matin dans ce modeste appartement de Berkeley.» Encore aujourd’hui, le mot jiu-jitsu lui fait l’effet d’une décharge électrique. Cinq ans plus tard, Noël Burch a son «premier orgasme un dimanche de 1944 en parcourant les pages magazine du Daily News : une série de photos montrait une jolie femme […] qui exécutait un circle throw sur un athlète.» Pour le dire plus clairement : la femme faisait une prise de judo, envoyant son «agresseur» à terre d’une pirouette, avant de se jucher triomphalement sur lui, en amazone (image ci-dessous). Noël Burch est fasciné. Depuis 1944, il ne s’intéresse plus qu’aux girlie magazines, peuplés de femmes adeptes d’arts martiaux.

Aux Etats-Unis, les viragos font un carton

Hasard ? «Aux États-Unis, la passion «honteuse» pour les femmes capables de battre physiquement les hommes était l’objet d’un florissant commerce postal de ce que l’on désignait alors sous le vocable de smut (cochonneries). Je me souviens de Peerless Sales, commercialisant les bandes dessinées de Stan (Eric Stanton) et d’autres dessinateurs plus ou moins habiles. Mais moi qui étais terriblement spécialisé, je m’intéressais peu aux catcheuses bodybuildées. Je recherchais des judokates exerçant leur art contre des mâles non initiés ou des scènes de self-défense où le jiu-jitsu pouvait paraître. Je possède encore de cette époque et de ces sources une série d’une quarantaine de photos ayant la forme d’instruction de self-défense mais qui étaient faites et vendues «sous le manteau» uniquement pour nous exciter». Nous qui ? Les viragophiles.

Les Américains aiment-ils les femelles fortes ?

Noël Burch est persuadé que la patrie des viragophiles se trouve aux Etats-Unis. C’est dans ce pays, dit-il, que l’on recense le plus grand nombre de «battantes» au cinéma. Dans un ouvrage d’érudition, abondamment documenté (L’Amour des femmes puissantes), il fait le compte : dès 1905, les femmes violentes débarquent à Hollywood sous le nom de «filles athlétiques» (The Athletic Girl and the Burglar). Dans les années 1910, elles prolifèrent dans les motions pictures. Ce sont «des petits films où une jolie femme a le rôle central et se comporte héroïquement face à toutes sortes de dangers, naturels, accidentels ou criminels. […] Emblématique ici est le film de Griffith, The Lonedale Operator (1911) où une modeste télégraphiste déjoue une tentative de vol à main armée par deux vagabonds. Ce modèle de la femme en danger, qui parvient souvent à se tirer d’affaire toute seule avant l’arrivée du mâle sauveteur est celui de toute une série de grands feuilletons américains pendant la période de la guerre et jusque dans les années 1920».

«Mettez la fille en danger»

Projetés en feuilleton, à raison d’un épisode par semaine, ces petits films d’action sont immensément populaires. Noël Burch souligne qu’ils sont créés par un réalisateur français, Louis Gasnier, mais sur le sol américain : les séries intitulées Les Périls de Pauline ou Les Exploits d’Elaine, sont en effet inaugurés (par Louis Gasnier) dans les studios de Max Linder, dont le mot d’ordre est sans appel : Put the girl in danger. La demoiselle en détresse voit le jour, ligotée aux rails du chemin de fer. Au début, c’est son amoureux qui la sauve, mais dès 1916, avec «l’immortelle Pearl White», dans la série Pearl of the army, la demoiselle prend son propre salut en main. On l’appelle «Pearl Dare» parce qu’elle «ose» faire de la boxe, lutter au corps à corps, chevaucher des locomotives, tomber d’une falaise et monter sur un beffroi par les câbles électriques… Les spectateurs en redemandent.

Des domina-karatekates en tournée mondiale

Après une petit éclipse, dans les années 1930 (2), les viragos réapparaissent, à la faveur de la Seconde Guerre Mondiale, mais dans la bande dessinée cette fois. Elles sont dotées d’une force surhumaine comme Wonder Woman ou Supergirl, rompues au jiu-jitsu comme The Black Cat ou Lady Luck et elles envahissent les comics. Puis la télévision. Puis l’univers du catch. Puis la scène SM… Maintenant, des viragos gagnent leur vie «dans le privé». Aux États-Unis, ainsi que l’indique Noël Burch, «des catcheuses amateurs proposent leurs services depuis une trentaine d’années, et l’on a vu récemment l’apparition de karatékates dominatrices. Si en France cette forme de domination rémunérée est très récente, le terrain s’est révélé propice, et de redoutables spécialistes états-uniens font aujourd’hui de lucratives tournées européennes». Les séances de «combat-domination» se déroulent sur des tapis de mousse, comme dans un dôjo. Les soumis n’ont pas forcément envie de se faire démonter les articulations, ni écraser le larynx. C’est tout l’art de ces femmes que de battre leur client sans l’envoyer aux urgences.

La virago originelle : maman

D’où vient ce fantasme ? Pour Noël Burch, il y a plusieurs réponses. La première, d’inspiration psychanalytique, touche à la figure maternelle : «La viragophilie – goût essentiellement masculin, mais qui n’est pas inconnu dans la communauté lesbienne – est assurément une sous-catégorie du masochisme au sens large (Sacher-Masoch lui-même engageait des bonnes musclées pour «lutter» avec elles) et sa genèse symbolique est essentiellement la même. Cette mère préoedipienne, toute-puissante, source invincible de nos plaisirs et déplaisirs, qui nous emportait dans ses bras comme fétu de paille, qui faisait de notre corps tout ce qu’elle voulait, c’était assurément notre virago à tous et à toutes…». La deuxième réponse, qui replace le fantasme dans un contexte historique et culturel, touche à l’idée de compensation : il y a des sociétés dans lesquelles les hommes, confrontés au pouvoir des femmes, érotisent une relation d’inégalité afin de surmonter l’obstacle. C’est le cas aux Etats-Unis, insiste Noël Burch.

Y’a-t-il du plaisir à se faire battre ?

Quand il décrit la sensation d’être «dépossédé» de lui-même par une femme, Noël Burch devient troublant. On prend un puissant plaisir à lire les nouvelles érotiques qui accompagnent son essai. Les viragophiles sont de plusieurs sortes, explique-t-il. Certains aiment les Valkyries androgynes, les culturistes ou les boxeuses, qui imposent leur supériorité à la force du biceps. Noël Burch cite à ce sujet une «impressionnante karatékate californienne qui «rosse» des clients emmitouflés dans d’épaisses protections…». D’autres viragophiles «préfèrent les femmes plus «féminines», capables de les dominer par leur seule science du combat» : celles-là luttent en talons hauts et n’ont besoin d’aucune force physique. Il leur suffit de «faire s’évanouir un homme en lui pinçant quelque tendon sous l’aisselle, comme cela s’apprend dans la discipline chinoise du qin na, ou le tuer d’une manchette au coin de l’œil selon une technique du dim mak ou «main empoisonnée»». D’une seule torsion sur le pouce, ces expertes peuvent mettre un homme à terre, le subjuguer, l’anéantir, le réduire à l’impuissance.

Les spécialités pour viragophiles

«Il existe aussi toute une série de spécialités extrêmement pointues : citons les amateurs de ballbusting(coups plus ou moins violents, portées uniquement à l’entrejambe), de prises «en ciseaux», jambes gainées de nylon qui vous étranglent, expression directe du désir de fusion exquise et mortelle avec la mère, tout comme le facesitting, où fesses et sexe étouffent la victime.» Tous ces différents goûts sont aujourd’hui «satisfaits» grâce à de nombreux sites Internet, dont Noël Burch donne sa liste des favoris : «Celui qui m’est le plus cher, c’estSkilled Girl. Ce site russe a pour particularité unique d’avoir été fondé par une femme, c’est probablement le seul sur la toile. Helen Bearsky, qui a été longtemps prof de jiu-jitsu à Saint-Pétersbourg (elle a récemment émigré en Bulgarie), a commencé par mettre en ligne de petites vidéos pédagogiques de self-défense féminine. Mais bientôt un abondant courrier lui a appris qu’il y avait un marché à conquérir parmi les viragophiles du monde entier. Alors elle a créé son site, l’alimentant de temps en temps de petits sketches où elle démontre sa très réelle maîtrise de son art».

Le best of des sites de battantes

Noël Burch cite aussi Girl Power,«créé et géré par Bruno Estagier, qui propose aujourd’hui, après plus de six années d’existence, plus de quatre cents petites histoires» dont la durée varie entre trois et quinze minutes. Bruno, ancien mécanicien automobile, est Français, mais Noël Burch insiste : 60% des visiteurs du site viennent des Etats-Unis. Son troisième site préféré, cependant, n’est pas américain mais français… «Non loin de la petite ville où Girl Power fait désormais partie du paysage (la camionnette affichant le logo de Bruno sillonne les rues de la ville!), un certainTozaniopère à partir d’une petite villa haut perchée dans les Pyrénées. Une demi-douzaine de jeunes femmes, de moins en moins nombreuses, hélas ! mais toutes sérieusement entraînées, travaillent ou ont travaillé pour lui, produisant des vidéos parmi les plus réalistes dans ce domaine, fort bien filmées et où l’humour est souvent au rendez-vous.» Noël Burch ajoute à sa liste des favoris quatre studios intitulés Kicks Movies Clips, Lethal-Girls, Girls Beat Men, et Sexy Mixed Fighting Store, dont on peut trouver les vidéos sur le site Clip4sale. Sur certains de ces sites, il est même possible de commander ce que les amateurs les plus pointus appellent des customs : des vidéos tournées spécialement pour un unique client, qui indique le scénario et les dialogues de ses rêves.

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A LIRE : L’Amour des femmes puissantes, de Noël Burch, éditions Epel, nov. 2015.

PLUS DE RENSEIGNEMENTS : «Mauvais genre», émission de France Culture, en mars 2016, sur Noël Burch. ;

NOTES

(1) La télégraphiste de la célèbre série The Hazards of Helen, qui évite (dans chacun des 119 épisodes, chiffre record pour une série) une catastrophe ferroviaire sanglante impressionne les spectateurs. Cocteau lui rend hommage dans Carmagnole (vers 1920) : «Il nous faut aujourd’hui des muses plus actives / Comme la télégraphiste de Los Angeles / Qui boxant, galopant, sautant sur un express, / Épouse d’un regard le jeune détective».

(2) «Sur 305 serials muets, produits entre 1914 et 1929, 42 tournent autour d’une héroïne, voire près de 50 si l’on se souvient de ce que The Hazards of Helencompte pour 8 séries de 15 épisodes chacun», dit Noel Burch. Les serials queens disparaissent cependant du cinéma après la crise de 1929 : l’Amérique veut du rêve et des femmes-femmes. La Seconde Guerre Mondiale redonne un coup de fouet à l’amour des battantes (les hommes partis au front, les femmes deviennent plus actives et plus indépendantes), mais pas au cinéma, en tout cas pas dans le domaine des feuilletons, ainsi que le note Noel Burch : «Sur 177 serials produits par les trois majors qui monopoliseront le genre du feuilleton (serial),à partir de l’introduction de la parole et jusqu’à sa disparition en 1956, seuls 9 offrent une héroïne centrale et active, dont 6 ont été produits pendant la guerre ou immédiatement après celle-ci». C’est la bande dessinée qui prend la relève du cinéma, puis les feuilletons TV (Buffy et les Vampires, etc.).

Pourquoi les photos des gens beaux nous attirent?

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Pourquoi les photos des gens beaux nous attirent?

Pourquoi aimons-nous regarder des photos de stars ou de mannequins ? Parce que nous voulons leur ressembler. L’image a-t-elle a le pouvoir de nous modifier ? Oui. L’artiste Arthur Gillet le prouve: il ressemble à la statue d’un dieu antique.

«Quand j’étais gamin, les Apollon, les postures néo-classiques, les muscles bandés, les fesses de marbre… ça m’excitait à mort. Et maintenant je suis cela. Mon désir m’a forgé plastiquement. Je suis devenu le miroir d’un fantasme». Arthur Gillet a 29 ans. Il vit à Paris. Il est artiste, spécialisé dans les miroirs, mais pose aussi nu, comme modèle photo. Son corps de culturiste et son épaisse barbe noire font de lui l’étalon du modèle antique. Plus jeune, pourtant, Arthur Gillet était aux antipodes de la virilité. Il ressemblait à une fille : longs cheveux de naïade, peau blanche, yeux de biche. Il portait des jupes, s’attirant le mépris des camarades qui le trouvaient «tapette» jusqu’au jour où… la mue venant sur le tard (vers 20 ans), sa voix devient rauque et ses poils poussent. «J’avais beau me raser, même trois fois par jour, mon menton bleuissait. J’avais pris des épaules. Ca se voyait que j’étais un homme. Alors, de désespoir, je suis parti en Italie, sans plus faire attention à mon apparence, cessant de me raser, ne portant plus que le même jean crasseux pendant plusieurs semaines, marchant, marchant sans m’arrêter…». Ce voyage le métamorphose en masse hirsute de muscles.

Peut-on être féminin avec un corps de boxeur

A son retour, Arthur Gillet prend brusquement conscience que sa nouvelle apparence modifie le comportement des autres à son égards. A l’école des Beaux Arts de Rennes, les garçons qui, jusqu’ici, lui faisaient la bise avec une familiarité condescendante, se mettent à lui serrer la poigne : «entre mecs». Les filles qui, autrefois, se détournaient avec dédain, lui sourient, flatteuses. Il est devenu costaud, poilu, barbu. Ce qui lui vaut le respect et l’admiration. «C’était très déprimant. J’avais l’impression de n’être pas reconnu pour moi-même, mais pour un rôle de mâle, une caricature qui trahissait mes idéaux. Ma nouvelle apparence me valait la reconnaissance… à quel prix ?». Sans renier ce qu’il est, sa bisexualité profonde, Arthur décide d’espionner ses pairs : il a lu Orlando, le roman de Virginia Wolf. C’est l’histoire d’un homme qui devient une femme et vit pendant plus de trois siècles. Arthur décide d’être Orlando à l’envers. Il sera une femme devenue homme et il aura le regard ironique d’une personne à qui les gens s’adressent avec déférence, avec soumission et avec tout le respect dû au mâle… qu’il n’est pas. Pas vraiment.

L’identité : qu’est-ce que c’est ?

«D’abord, j’ai eu très peur de rentrer dans la norme puis j’ai compris. L’identité n’est pas une chose qu’on s’approprie mais un reflet évanescent qui ne se génère que dans la relation à l’autre. Les êtres s’utilisent les uns les autres pour se définir l’un et l’autre, suivant de jeux de contraste et de similitude. Chaque nouvelle rencontre génère une nouvelle identité. Il faut bien s’en convaincre pour devenir heureux. Cela rend les choses plus plastiques. Le corps n’est plus qu’un élément changeant, versatile, dont on construit l’apparence, le ton de voix, les attitudes, sans que cela dise rien de nous, au fond. Rien d’essentiel en tout cas.» Pour Arthur Gillet, le miracle de sa métamorphose ouvre des perspectives de réflexion infinies : si on veut quelque chose, dit-il, il faut le visualiser. Puis à force de regarder cette image mentale de ce à quoi on veut ressembler, on le devient. N’importe quelle femme peut devenir un homme, si elle le veut. En tout cas, n’importe quelle femme peut imposer aux autres l’image qu’elle a d’elle-même et, sans l’aide d’aucun travestissement, se faire traiter en égal ou en chef.

En Arcadie, la mort aussi

Ce que les gens voient de nous, c’est ce que nous reflétons. L’image que nous projetons au-dehors n’est pas celle de notre corps, mais de notre aura. Voilà pourquoi Arthur Gillet, tout testostéroné qu’il soit, donne si peu l’impression de l’être. Sur les photos de lui, prises par Marc Martin, il prend des poses comme en se dédoublant. Telle une sculpture, son fantôme de chair gravit les marches de châteaux vides, traverse des jardins déserts, des parcs abandonnés, danse au milieu de péristyles en ruine, nu. Il est un reflet de beauté sur les décombres d’anciens rêves. L’exposition des photos qui le mettent en scène se double d’ailleurs d’une troublante exposition de miroirs qu’il a lui-même conçus sur le thème des vanités. «J’aime les locutations latines, dit-il. Toutes les heures blessent, la dernière tue… En Arcadie la mort aussi… J’ai inscrit ces locutions sur des plats ronds. Mais pour les lire il faut placer au milieu du plat un objet miroitant, tubulaire, comme un missile sol-sol». L’exposition s’intitule Fallos, en hommage à ces missiles sur la surface desquels les locutions latines se reflètent : Tempus fugit velut umbra (Le temps fuit comme l’ombre). Memento mori (Souviens-toi que tu mourras). Vanitas vanitatum

A force de regarder, imiter, désirer…

Vanité, tout n’est que vanité, à commencer par nos postures de séduction. Imposture la virilité empruntée aux affiches de pub. Mensonge la féminité calquée sur les photos de mode. Mais au fond qui sommes-nous sinon des reflets ? Dans cet univers d’hommes et de femmes qui jouent à faire semblant, le désir seul est tangible. Le désir seul permet aux fantasmes de prendre vie. A force de fantasmer, on devient vraiment celui ou celle dont on rêve. Charles Baudelaire le formulait ainsi : «L’homme finit par ressembler à ce qu’il voulait être» (3). Autrement dit : n’ayons pas peur de faire semblant. La réalité n’existe pas. La seule réalité, c’est celle que nous inventons. L’exposition Fallos illustre le pouvoir étonnant de nos envies et renvoie «à une croyance archaïque dans l’efficacité réelle de l’image». Ainsi que l’explique Pascal Rousseau, Professeur en histoire de l’art (Sorbonne) : si les réseaux sociaux exercent une telle fascination, de même que les portraits de stars dans la presse people, c’est parce que nous croyons encore, comme il y a plus de 13 ou 14 siècles, que regarder une image c’est devenir pareille à elle.

L’engendrement par l’image

Suivante cette théorie dite de «l’engendrement par l’image», «on conseillait par exemple aux femmes enceintes d’aller contempler les belles statues pour accoucher de beaux enfants». En 1802, Lessing, le grand théoricien du classicisme, explique lui-même dans son Laocoon : «Si une belle génération d’hommes produit de belles statues, celles-ci à leur tour agissent sur ceux-là». «C’est, à terme, l’hypothèse, magique, d’une réciprocité des effets entre l’homme réel et son image dans l’art, ajoute Pascal Rousseau. La puissance d’auto-engendrement par l’image est une manière de s’affranchir des médiations (biologiques, sociales ou culturelles) pour cultiver une invention de soi. C’est avec cette pirouette enchanteresse et malicieusement narcissique qu’Arthur Gillet souligne, au-delà de la terreur de l’eugénisme, la plasticité de son identité.» C’est avec la même malice que Marc Martin le photographie, en miroir, beau miroir.

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A LIRE : Fallos, de Marc Martin et Arthur Gillet. Ouvrage réservé aux adultes. En vente aux Mots à la bouche, au Palais de Tôkyô, sur Internet et dans toutes les bonnes librairies.

EXPOSITION : «FALLOS» (du 25 mars au 5 mai 2016),à la galerie Dencker Schneider. Adresse : Kalckreuthstrasse 14 –D-10777 Berlin-Schoeneberg. Horaires : vendredi de 16h à 20h et samedi de 14h à 20h.

UNE VIDEO non-censurée sur Fallos.

PLUS DE RENSEIGNEMENTS sur Marc Martin : article «Qu’est-ce que c’est un homme ?» ; site Internet de Marc Martin // sur Arthur Gillet : article «Qui est l’homme qui s’est mis nu à l’expo masculin/masculin à Orsay?»; article intitulé «L’anticipation» signé par Pascal Rousseau, Professeur des universités en histoire de l’art (Sorbonne Paris 1).


Feriez-vous l'amour à quelqu'un qui dort?

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Feriez-vous l'amour à quelqu'un qui dort?

La somnophilie est l’attirance pour des partenaires endormis ou inconscients. Au Japon, c’est un fantasme si courant que les fabricants de love doll proposent des modèles de jeunes femmes en silicone aux yeux fermés. Pourquoi ?

Lorsque Roméo se suicide, devant le corps de sa Juliette bien-aimée qu’il prend pour un cadavre, il meurt en vain car Juliette dort. Et quand Juliette se réveille, c’est trop tard. Alors elle se suicide à son tour. Au théâtre et à l’opéra, ce terrible quiproquo constitue le sommet de la tragédie. La plupart des spectateurs en ont le cœur serré. Mais certains réagissent autrement : en imagination, prenant la place de Roméo, ils enlacent le corps inerte de Juliette et profitent d’elle. Ce scénario masturbatoire constitue une catégorie à part entière dans la typologie des paraphilies. Il est souvent associé au sadisme. Parfois même la nécrophilie. Il est apparenté au viol. Et s’il cachait d’autres motifs ? Pour en explorer les méandres, direction le Japon.

Des bordels spécialisés dans la somnophilie

Il existe des clubs au Japon où des hommes paient pour toucher une prostituée qui feint de dormir. Ce service sexuel se nomme yobai - «la visite nocturne» - et permet aux clients de s’introduire dans le huis clos d’un fantasme presque onirique… La pièce où la jeune femme travaille – comme un décor de cinéma – reproduit fidèlement une chambre de jeune fille. Quand ils en poussent la porte, en tapinois, les clients deviennent des acteurs. La dormeuse allongée sur son lit, porte un uniforme de joshikosei (collégienne) ou un pyjama rose, et porte un masque sur les yeux. Son souffle régulier, profond, comme celui d’un sommeil simulé, encourage les clients à frôler le corps sans défense. Quand ils relèvent doucement la jupe, et que leurs caresses se font plus précises, la fille se met à gémir. Rêve-t-elle d’un amant ? Profitant de ce songe érotique, les hommes assouvissent leurs désirs.

Le fantasme de l’homme sans visage

S’ils le lui signifient, la jeune femme peut faire semblant de se réveiller. Même éveillée, cependant, elle n’ôte pas son masque, car le fantasme des visiteurs c’est de rester dans le noir. Ils aiment l’idée de faire l’amour à une inconnue qui ne connaîtra jamais leur visage. Ils aiment aussi l’idée qu’elle garde le masque afin de protéger sa propre identité… Dans ces clubs qui – officiellement – autorisent toutes les pratiques sexuelles sauf la pénétration vaginale, les filles ne sont pas considérées comme des prostituées mais comme des amatrices attirées par l’idée d’un jeu à l’aveugle, à la fois très rentable et très excitant. Derrière l’impunité du sommeil (ou du masque), les filles jouent à rester dans cette sorte d’entre-deux onirique, de mirage impalpable que l’obscurité garantit. Au «réveil», elles feront semblant d’avoir eu un songe humide. «Rien n’a eu lieu. Tout ça n’était qu’un rêve».

Le fantasme de la femme sans tache

Si tout ça n’était qu’un rêve, alors tout devient possible. L’intérêt principal de la somnophilie, c’est qu’elle autorise les hommes et les femmes à faire des choses qu’ils-elles peuvent ensuite faire semblant d’ignorer. Dans le roman Cinq Amoureuses (1686), l’écrivain Ihara Saikaku décrit déjà ces étreintes étranges qui consistent à jouir d’une femme sans la réveiller. Est-ce possible ? «Après la cloche de 7ème heure (4h du matin), Moemon dénoua son pagne et, dans le secret de l’obscurité, glissa doucement son corps nu sous la couverture, enflammé de désir. D’un cœur impatient et sans aller jusqu’à échanger des paroles, il prit son plaisir. Puis […] il se retira sur la pointe des pieds.» Rencontre bizarre : la partenaire de Moemon est restée endormie pendant cet ardent coït ! Elle se réveille le lendemain comme si de rien n’était. Pure, vierge et intouchée. L’ignorance est mère de toutes les vertus.

Le sommeil c’est la liberté

A la même époque, de nombreuses estampes érotiques montrent des femmes qui font semblant de dormir dans le lit conjugal tandis qu’un amant les pénètre en catimini… Si jamais le mari se réveillait, la femme pourrait toujours plaider l’inconscience. Dans La Confession Impudique (1956), Tanizaki évoque ce fantasme d’une femme enivrée par son mari qui abuse d’elle – avec sa tacite complicité – et s’arrange pour qu’elle découvre les photos qu’il a prises de son corps inconscient… Dans Les Belles Endormies (1961), Yasunari Kawabata décrit une maison de passe dans laquelle les jeunes filles sont endormies à l’aide de somnifères si puissants que l’une d’elles ne se réveille plus… Ainsi qu’Alain Walter le souligne, dans Erotique du Japon, les histoires de somnophilie sont indissociables de coutumes anciennes qui consistent – à la Cour aussi bien qu’à la campagne – à rendre visite la nuit, dans l’obscurité, en silence, sans donner son nom, aux femmes que l’on courtise. Koi wa yami. «L’amour, ce sont les ténèbres».

La nuit tous les cœurs sont épris

Même avec une poupée, l’amour relève du jeu d’illusion. Au Japon, les firmes se font un devoir de proposer ce qu’elles appellent une sleeping beauty. Pratiquement toutes possèdent en catalogue une love doll surnommée me toji («aux yeux fermés») ou tsumuri me («aux yeux clos»). La firme 4Woods par exemple propose la star de son catalogue, Lilica, en version Lilica nemuri (Lilica qui dort). La firme Orient Industry vend une poupée nommée Yume (Rêve).

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Quand les poupées n’ont pas les yeux fermés, elles sont parfois conçues avec des paupières lourdes, qui leur donnent l’air d’être épuisées. C’est notamment le cas de Madoromi (dont le nom signifie «s’assoupir»), une jeune fille au bord de la narcose, commercialisée par la firme Level D… sur le modèle de la Pieta. Son créateur, Sugawara, affirme s’être inspiré des peintures de la Renaissance, dans lesquelles «Marie a souvent ce regard vers le bas…», dit-il. Ce regard de la Vierge en douleur l’inspire beaucoup : «Peut-être parce que cela dégage une forme de pureté. Je crois que les hommes veulent préserver l’innocence de la poupée. Elle possède quelque chose qu’il faut protéger : une histoire d’amour inavouée, un secret lourd à porter, un coeur brisé… Moi je ne décide pas, je ne crée pas d’histoire. C’est au client d’imaginer ce qui rend la poupée si mélancolique».

«L’intimité la plus complète…»

Lorsqu’elle dort, ou sombre, la poupée donne l’impression qu’elle se retire hors du réel. Eternellement étrangère à l’homme, inconsciente des actes qu’il accomplit sur son corps, la poupée reste plongée dans sa léthargie, préservée par l’ignorance d’un monde qui ne peut pas l’atteindre. Le sommeil la protège. Mais le sommeil, en même temps, la rend vulnérable. C’est ce paradoxe qui fait tout l’intérêt de la somnophilie. Parce que la personne endormie se coupe de vous tout en s’offrant à vous –totalement absente et présente à la fois–, elle devient l’objet le plus désirable au monde : celui qui se donne, tout en restant inaccessible. «L’intimité la plus complète, l’abandon de soi à l’autre ne se réalisent pas dans l’union sexuelle mais dans la vision du visage. C’est là que l’être se révèle», explique Alain Walter (1), en vibrant. Lorsqu’une personne dort, elle cesse de mentir et de jouer un rôle. Elle est elle-même (pour autant qu’on puisse être «soi-même») et se dévoile : plus nue que nue.

Eloge de la fuite

Le fait que leur love doll soit «ailleurs» autorise les propriétaires à sonder son visage, en quête du mystère qu’elle représente. Dans ce mouvement de la regarder, il y a une forme de jouissance infinie. C’est en tout cas ainsi que certains propriétaires de «belle endormie» présentent leur relation : les photos qu’ils prennent d’elle sont tantôt intitulées «La Poupée qui rêve» (Yume miru dôru) tantôt «Au pays des merveilles» (Fushigi no kuni e…) et s’accompagnent de commentaires où perce une forme de mélancolie. «La poupée, quel rêve fait-elle ? A quoi pense-t-elle. Quoi… Cette pensée absurde me traverse…». Ou bien : «Un début d’après-midi pendant les vacances d’été, lisant un livre elle s’assoupit […]. La voilà accueillie au pays des merveilles, où elle s’est en allée.» Celle qui «s’en est allée», de l’autre côté du miroir, laisse donc son propriétaire face à lui-même. Niant sa présence, éliminant toute possibilité d’une communication visuelle, la poupée aux paupières closes invite le propriétaire à lui aussi fermer les yeux et, ce faisant, à la suivre dans un monde où l’on s’absente.

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A VENIR : Un Désir d’Humain. Les love doll au Japon, d’Agnès Giard, éditions Les Belles Lettres (sortie en septembre 2016)

NOTE

(1) Erotique du Japon classique, d’Alain Walter, Paris, Gallimard, 1994, p. 180.

A LIRE : Kawabata Yasunari, Les Belles Endormies, traduction de R. Sieffert, Paris, Albin Michel, 1970 (1966).

ILLUSTRATION : Yume, love doll de la firme Orient Industry.

Doit-on militer pour le droit à la «panne» ?

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Doit-on militer pour le droit à la «panne» ?

Dans un vibrant plaidoyer en faveur des mâles pas dominants, le sexo-thérapeute Alain Héril évoque la difficulté qu’il y a pour les hommes à devoir assurer leur statut de «dur» à force d’érections. Nous vivons dans une société qui confond pénis et phallus, dit-il.

«Etre un homme, tu sais, c’est pas si facile». Pour Alain Héril, psychanalyste et sexo-thérapeute depuis 25 ans, les «mâles dominants» ont certainement la vie bien plus difficile que les femelles. Son ouvrage Dans la tête des hommes, récemment publié aux éditions Payot, est traversé par l’inquiétude : «L’homme se vit souvent comme devant être fort et puissant. Il est le sexe fort par opposition à la femme, le sexe dit faible. Cette notion de force, qui est sous-tendue par celles de domination, de victoire, de conquête, est du domaine du masculin […]. Mais la force ne fait pas que se montrer, elle doit aussi se mesurer, se confronter à l’aune de graduations qui mettent en haut du podium les mâles vainqueurs. Le combat à mener est une suite d’épreuves et l’homme, dans ce lien si singulier entre force et virilité, se voit réduit comme Hercule à des travaux sans fin où il doit montrer au monde entier combien il est capable de bravoure et de témérité».

La solitude de Don Juan

«Ce mélange si particulier d’expressions musclées et de testostérone est une marque de l’infinie tristesse masculine. Car lorsque l’homme ne place son identité qu’à l’endroit de la force il entre dans le labyrinthe qui l’oblige à se prouver à lui-même qu’il est apte à affronter des dieux imaginaires […]. Si j’associe cela à de la tristesse, c’est qu’il m’a souvent été donné d’accompagner des hommes dans ce chemin où à force de chercher leur virilité dans cette tension perpétuelle de la victoire ils s’oubliaient eux-mêmes et que l’identité trouvée était toujours une identité qui se perdait continuellement».

La posture du gagnant : c’est fatigant

Lors des groupes de parole qu’il anime, Alain Héril note l’épuisement chronique des hommes qui lui confient leurs misères : ils n’en peuvent plus. La posture de gagnant les vide. Obligation leur est faite de bander-conquérir-triompher, sans faillir : même les femmes exigent d’eux qu’ils soient forts. C’est le challenge permanent. Au travail comme en amour, l’homme doit jouer au coq. Toujours être à la hauteur. Sauf dans le groupe de parole de Héril : là, enfin, voilà les mâles autorisés non seulement à baisser les armes mais exprimer «leurdégoût d’une position masculine de continuelle agressivité et d’obligation à la compétition». Vaincre sur commande ? C’est mission impossible. Mais pourquoi tant d’hommes se croient-ils obligés de coller à l’image toute faite du winner performant ?

Attention : un homme qui pleure peut cacher un macho

Pourquoi tant d’hommes se sentent-ils obligés de rouler les mécaniques ? Pourquoi ensuite viennent-ils pleurer dans le cabinet d’un psy ? Tout compassionnel qu’il soit, Alain Héril ne manque pas de fustiger certains patients. Il arrive en effet souvent que ceux qui réclament le droit à la faiblesse entretiennent avec les femmes une relation conflictuelle, faite du même aveuglement que celui qui les pousse à jouer les James Bond. Ceux-là considèrent souvent, bêtement, les femmes comme des proies à ravir ou des salopes manipulatrices : elles n’en veulent qu’à ma voiture de luxe, disent-ils, prenant leur couteux bolide pour une forme de virilité. L’identité masculine, à leurs yeux, c’est l’affichage d’une puissance agressive associée à des marques extérieures de richesse. Ils prennent les symboles virils pour des réalités. Ils souffrent de ne pas s’y sentir à l’aise. Leur problème, ainsi qu’Alain Héril le dévoile, c’est qu’ils confondent pénis et phallus.

Quand le pénis vous fait le coup de la panne

Le pénis est l’organe. Le phallus est l’outil symbolique. Le pénis ne bande pas sur commande. Le phallus invaincu est l’emblème du pouvoir absolu. Or il y a confusion, dans notre société. «Si l’on observe la virilité telle qu’elle est envisagée dans notre civilisation on s’aperçoit que la vision du sexe masculin est celle d’un organe qui a destination à faire jouir et non à jouir de lui-même, avance le sexo-thérapeute. L’homme est donc tourné vers l’extérieur, tendu dans la vérification de sa puissance et de sa capacité à offrir cette puissance à l’autre. Tant que cela fonctionne, il n’y a pas de désordre majeur, mais il suffit d’un incident, d’une “panne” pour que l’édifice s’écroule et remette en question la capacité virile. Ainsi la construction de la virilité se fait tout au long de la vie d’un homme avec cette crainte enfouie en lui que son sexe peut lui jouer des tours.» Le pénis peut facilement devenir un «ennemi», dit Héril. Parfois, le pénis peut même devenir une fiotte, comparé au puissant phallus dont les hommes rêvent.

«La virilité est affaire de phallus, et non pas de pénis»

Pour se construire, l’homme doit apprendre à distinguer l’organe de la représentation et la chair de l’idée. «Associer la virilité au seul pénis est un contre-sens, assène Héril. La virilité est affaire de phallus.» En clair, ce que l’on a entre les jambes (la capacité érectile) est différent de ce que l’on a dans la tête (la volonté de puissance). Cela peut paraître naïf, mais il y a des messages qu’il semble bon de faire passer. La norme virile, phallique, n’a rien à voir avec la réalité, qui part toujours en débandade. Il faut faire la différence : d’un côté il y a soi et, de l’autre, il y a cette injonction sociale qui veut qu’un homme ne soit «vrai» qu’à la condition d’être un «foutre de guerre», ivre seulement de prendre et pénétrer son territoire à coups de sperme. Dure tâche, souligne Héril : «si les hommes contemporains, pour certains, cherchent à lâcher cette image trop prédatrice, force est de reconnaître qu’elle reste inscrite dans l’inconscient collectif masculin. Car même si le pénis n’est qu’un organe, le phallus, lui, demande à exister dans la force et l’affirmation».

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A LIRE : Dans la tête des hommes, de Alain Héril, éditions Payot.

ILLUSTRATION : Histoire de sexe(s), film de Ovidie et Jack Tyler, www.frenchlover.TV.

La virago est-elle une féministe ?

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La virago est-elle une féministe ?

Il existe, sous le nom de Femdom, un univers parallèle dans lequel les mâles sont réduits à l’état d’objets de plaisir par de sublimes Vénus à l’autorité écrasante. Cet univers, qu’il est maintenant possible de découvrir à la Halle Saint Pierre, à Paris, peut-il être qualifié de féministe ?

Le terme viragophilie est forgé dans les années 1970 par Louis Chauvet (1), chroniqueur de cinéma au Figaro. Au même moment, un artiste japonais – Namio Harukawa – fait une entrée fracassante sur le marché de l’imagerie Femdom avec un recueil d’images (Satoria Insel der Erotik), peuplé de Vénus aux fessiers inouïs trônant sur le visage de petits mâles qu’elles écrabouillent avec détachement. Sur ces images, les femmes – d’une beauté cyclopéenne – s’assoient toujours sur des avortons malingres, au crâne dégarni, qui s’efforcent avec la langue de satisfaire leur dominatrice. Celle-ci, généralement, jette un oeil ironique à sa proie ou tout simplement l’ignore, boit un verre de vin, lit une revue, compte la liasse de billet que sa victime vient de lui remettre et tourne son regard amusé dans la direction du spectateur : «toi aussi, je vais te plumer». On ne peut, a priori, que succomber au charme de ces mises en scène : elles renversent si joyeusement les rôles. L’univers Femdom donne aux femmes le beau rôle, celui de la créature qui, en toute plénitude, déploie son autorité sur un monde voué aux seuls plaisirs du sexe. Mais ne s’agit-il pas d’un miroir aux alouettes ?

Le Japon castré de l’après-guerre

Namio est né en 1947, année qui marque l’accès des femmes japonaises au suffrage universel. Il grandit dans le contexte d’une humiliation nationale – la défaite du Japon –, qui s’accompagne d’une forte dévalorisation du statut des hommes, jugés coupables non seulement d’avoir causé la ruine du pays (en l’entraînant dans une guerre mondiale) mais d’avoir honteusement perdu cette guerre. Les hommes avaient pour devoir de protéger l’Empereur. Ils ont échoué. L’Empereur a perdu sa part de divinité. Pire. Il a été photographié côte à côte avec le nouveau maître du pays, Mac Arthur, et tout le monde a pu constater que l’Empereur n’était qu’un homme, ou plutôt… un nain. Ce que le cliché révèle, en effet, c’est sa petite taille, comparée à celle de l’Américain, doublée d’une constitution fragile et d’un maintien guindé. La photo du «couple» formé par Mac Arthur et l’Empereur constitue en soi un outrage, irrémédiable, et créé un choc dont les ondes se réverbèrent encore de nos jours. Ce dont Namio se fait le porteur (à son corps défendant peut-être) c’est de ce traumatisme qui pousse des milliers de Japonais, comme lui, à compenser la perte d’une image positive de soi par une fantasmagorie mêlant plaisir et abjection.

Alouette, gentille alouette…

Il serait, bien sûr, extrêmement réducteur de ne voir l’œuvre de Namio qu’à travers le filtre historique d’une défaite. L’image du mâle nippon asservi et subjugué par des géantes fait écho à bien d’autres angoisses, désirs ou pulsions. Il faut aller voir les œuvres à la Halle Saint Pierre pour en sonder les méandres, lors de l’exposition L’Esprit singulier du 30 mars au 26 août : sur les murs du Musée, les dessins de Namio répètent le même schéma en labyrinthe, avec une sorte d’obstination fascinante. C’est toujours la même femme souriante, plantureuse, sûre d’elle, qui étale son fessier sur le visage de l’homme. Le fait qu’elle soit vêtue en infirmière, en hôtesse de cabaret ou en bunny girl, dans des tenues assimilées à l’imagerie misogyne, ne rend l’image que plus troublante : parodiant les rôles traditionnellement dévolus aux femmes, l’héroïne de Namio fait exploser les conventions. D’autant plus désirable qu’inaccessible, elle réduit ses victimes au statut de cunilinger (2), sextoy humain tout juste capable de mettre sa langue au service des orifices divins. Il n’est plus rien qu’un petit animal ou un outil, entre les fesses charnues qui l’étouffent, le malaxent et l’aspirent.

La gynarchie : monarchie des femmes

Il y a des visiteurs pour qui ce genre de spectacle relève d’un juste retour à l’ordre. «J’ai adoré cette exposition, «jouissive» au demeurant, toutes ces femmes sublimes, plantureuses, fantasmes de tous les désirs remettant les hommes à la place où ils sont le plus vulnérables…». Pour l’auteur de ces lignes, certainement, Namio fait figure de justicier. Il rend hommage à la puissance des femmes. Il montre qu’une femme peut légitimement exercer le pouvoir, dominer, se faire servir, se faire admirer. Devant les images de Namio, paradoxalement, on respire ! C’est comme une bouffée d’air frais. Pour autant, il serait difficile de dire que ces images sont féministes. Remplacer une inégalité par une autre ne fait certainement pas partie des objectifs du féminisme mainstream (3). Dans une introduction au livre de Noël Burch (L’Amour des femmes puissantes), l’historienne Geneviève Sellier le souligne elle-même : «ce«retournement» de la domination semble très éloigné des aspirations à l’égalité qui caractérisent les mouvements d’émancipation des femmes. Mais cette revanche fantasmatique avec ses aspects ludiques procure quelques satisfactions non négligeables, en attendant cette société égalitaire qui semble toujours reculer autant qu’elle avance…».

Guerre des sexes à l’envers

L’amour des femmes puissantes a quelque chose de profondément ambigu. Noël Burch le remarque lui-même avec acuité : étant l’envers d’un monde où ce sont les hommes qui exercent la puissance, ce fantasme n’est subversif qu’en apparence. «Il s’agit évidemment de mises en scène de la peur-haine-désir qu’inspire la nouvelle femme émancipée», dit-il. Pour le dire plus clairement : ce sur quoi nous nous masturbons, ce sont souvent les situations qui nous perturbent ou nous inquiètent et dont nous inversons le potentiel négatif en l’inscrivant dans un cadre positif, ie masturbatoire. Tout désir a deux faces. Le désir de la femme puissante reflète autant l’attirance pour elle que la frayeur de sombrer dans un monde où l’humain perd toute dignité. «Le terme de viragophilie, inventé par Louis Chauvet et dont je suis aujourd’hui sans doute le principal promoteur, recèle en lui-même ces deux faces de notre passion. Car si le sémème «philie» évoque notre affinité, notre attachement à la capacité de violence féminine, la virago est une femme qui ne possède aucune des vertus reconnues à juste titre pour féminines, c’est une femme monstrueuse qui fait peur, qui inspire la haine. L’archétype de la virago dans nos cultures européennes n’est-il pas la Catharina de Shakespeare que l’homme se doit à tout prix d’apprivoiser ?».

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EXPOSITION, du 30 mars au 26 août : L’Esprit Singulier. Halle Saint pierre: 2 rue Ronsard, 75018 Paris.

L’ESPRIT SINGULIER, présente le fonds de l’Abbaye d’Auberive. Son fondateur, le collectionneur Jean-Claude Volot, a réuni en trois décennies plus de 2500 œuvres constituant l’une des plus grandes collections d’art moderne et contemporain où dialoguent art singulier, expressionnisme figuratif et art populaire. L’exposition, présente environ 600 œuvres de 70 artistes, parmi lesquels des grands noms de la photographie (Joel-Peter Witkin…), de l’art brut (Josée Francisco Abello Vives, Philippe Dereux, Anselme Bois-Vives), de l’art singulier (Louis Pons, Fred Deux, Michel Macréau), de la figuration libre (Robert Combas, Hervé di Rosa…), de l’art contemporain (Ernest Pignon-Ernest, Myriam Mihindou, Gao Xingjian…) ou encore surréaliste (Hans Bellmer).

NOTES

(1) «Le protagoniste de son roman, publié sous pseudonyme, Fantastique Brigitte (1979) est subjugué par une belle «videuse» dont les muscles et la science lui permettent de dominer les hommes en combat singulier. Depuis lors, une floraison de sites sur l’internet a révélé l’étendue mondiale de ce goût» (Source : L’Amour des femmes puissantes, de Noël Burch).

(2) «Cunilinger», pour reprendre la belle expression de Shozo Numa, traduit par Sylvain Cardonnel, dans Yapou bétail humain (éditions Désordres, 2005).

(3) Certains courants de revendication hardcore prônent peut-être la gynarchie (le pouvoir monarchique aux femmes) mais méfiance : ce fantasme érotique s’appuie souvent sur l’idée qu’il faut «femelliser» les mâles. Autrement dit, pour certains gynarchistes, le pôle femelle reste celui qu’il faut dominer.

A LIRE : L’Amour des femmes puissantes, de Noël Burch, éditions Epel, nov. 2015.

CALLIPYGE (sept 2008), de Namio Harukawa. 32 pages en format géant (30x40 cm). Publié par Stéphane Blanquet, éditions «United Dead Artists».

Garden of domina, de Namio Harukawa, aux éditions Pot Publishing (juil 2012), anglais-Japonais, 168 pages (14,8x21 cm).

Maxi Cula, de Namio Harukawa, aux éditions United Dead Artists (sept 2012), 156 pages (17x26 cm).

Des originaux de Namio Harukawa sont en vente sur le site de Timeless.

POUR EN SAVOIR PLUS : sur Shozo Numa, les cunilingers et le mâle nippon castré «Le fantasme de la femme-tronc» ; sur Namio Harukawa, le face-sitting et les toilettes japonaises : «Une exposition du face-sitting à Paris» ; sur les viragos «Une femme aui attaque à amins nues, jouissif ?»

Que signifie "aimer" ?

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«Suis-je sûr.e de l’aimer ?». Il est difficile d’évaluer la nature des sentiments que l’on éprouve. Dans Pratique de l’amour, le sociologue Michel Bozon apporte des réponses lumineuses à la question de savoir comment définir l’amour.

Il existe sur l’amour deux discours dominants : le premier, idéaliste, fait apparaître l’amour comme le supplément d’âme d’un monde désenchanté. L’amour en Occident serait devenu le seul et dernier territoire du sacré, l’ultime rempart de l’humanité, un espace vierge de tout calcul, dédié au don de soi sans contrepartie… Le second discours, matérialiste, ne voit dans les relations amoureuses que des stratégies de captation de services (sexuels) et de biens (matériels et symboliques) : les individus cherchant à «se placer sur le marché matrimonial» de la façon la plus avantageuse utiliseraient les affects comme des appâts. L’expérience de l’amour serait d’ailleurs conditionnée par des mécanismes d’ordre biologique – hormonaux, génétiques, psycho-comportementaux – visant à assurer la survie de l’espèce.

Amour : est-ce une question de «grands sentiments» ?

Entre ces deux discours – l’utopiste et le néo-darwiniste – il ne semblait guère y avoir de place pour beaucoup de réflexion. Mais voilà qu’en 2014 le philosophe Ruwen Ogien attaque dans un essai truculent ceux qui font l’éloge de l’amour : l’amour n’a pas de valeur morale, dit-il. Cessons de véhiculer les clichés rebattus du «coeur qui s’offre pour toujours», dans un contexte d’absolu. Pour Ruwen Ogien, il faut s’intéresser à ceux qui «font» l’amour et comment ils le font, plutôt qu’aux théoriciens qui en parlent. Son livre, cependant, déconstruit plus les mythes qu’il n’apporte de réponse. Qu’est-ce que l’amour ? Après avoir lu (dévoré) Ruwen Ogien, on n’est pas tellement plus avancé. Et puis voilà qu’en mars 2016 arrive l’essai du sociologue Michel Bozon, rempli de réponses éclairantes. Dans Pratique de l’amour, publié aux éditions Payot, Michel Bozon résume treize années de cogitations d’une plume simple et tranquille.

L’amour ne se dit pas, il se «pratique»

Sa théorie est la suivante : l’amour relève de la pratique. On sait qu’on aime quand on effectue un certain nombre d’actes qui correspondent à des étapes balisées par la société dans laquelle on vit. Ces actes codifiés reposent sur un projet : celui de se faire aimer. Pour se faire aimer, il faut se remettre soi-même entre les mains de l’autre. «L’amour ne naît pas de bons et nobles sentiments – générosité, désintéressement ou bienveillance ‒ même s’il peut en produire. L’abandon de soi, ou la remise de soi, est un moment essentiel de toute relation amoureuse : on décide de se déprendre de soi et de donner prise à une autre personne. C’est une expérience de mise en jeu de ses attributs personnels face à un autre, qui crée de l’intensité dans les vies mais qui comprend toujours une part de risque et de calcul».

«Aimer est le projet de se faire aimer»

Bien qu’il utilise le mot «calcul», Michel Bozon prend cependant soin de ne pas verser dans le cynisme : «Contrairement à ce qui se passe dans le marché immobilier», où l’on choisit un appartement en fonction de son budget, le choix amoureux (et matrimonial) se fait en fonction de qui on est et non pas de ce que l’on a. L’amour dépend de l’être et non pas de l’avoir : «il est impossible pour de se porter acquéreur sans “payer de sa personne” au sens strict, ce qui ramène à l’idée de remise de soi.[…] On n’obtient un accès amoureux à l’autre qu’en étant accepté soi-même comme moyen de paiement.» Impossible d’aimer sans s’investir «personnellement», de toute son âme et de toutes ses tripes, insiste Michel Bozon : «Envisager l’amour comme pratique implique de prendre au sérieux l’idée de don de soi». Encore faut-il, d’ailleurs, que ce don soit agréé et que l’autre réponde positivement par un don similaire. Si l’un se donne et l’autre pas, l’amour se heurte à un mur. Il y a fin de non-recevoir.

Les premières manifestations de l’amour : travaux d’approche

«Les débuts amoureux sont d’abord des pratiques entre deux personnes, qui vont être interprétées par l’un et par l’autre comme ayant un sens amoureux. En d’autres termes, ce n’est pas l’existence préalable d’un sentiment amoureux qui provoquerait des manifestations d’amour ; c’est parce que des comportements relationnels sont reconnus par les intéressés, parfois avec l’aide de tiers, comme le scénario d’une relation amoureuse que l’affect se met en route.» Pour Michel Bozon, on sait que l’on aime lorsqu’on prend conscience qu’on a «engagé» avec quelqu’un des échanges d’un type très particulier : on lui confie un secret. On lui parle à voix basse (1). On lui transmet une information personnelle, parfois honteuse ou douloureuse, toujours intime. C’est l’amorce. «En se livrant, on oblige moralement l’autre à se livrer.» Si l’autre cède à cette pression et se confie en retour, le processus se met en marche.

Secret avoué n’est jamais innocent

N’écoutez jamais les secrets d’une personne dont vous ne désirez pas tomber amoureux. Ainsi que Michel Bozon l’explique : le don de soi est toujours une façon de prendre le pouvoir sur l’autre. «Lorsqu’on s’expose personnellement en livrant des territoires de soi, on espère être payé de retour. L’abandon amoureux n’est pas exempt de stratégie», dit-il, en soulignant la part de risque énorme prise par la personne qui prend l’initiative. Elle se livre. Elle se met en danger : «Adolescente, j’étais obèse», «Mon père a été victime d’inceste», «Mon fantasme, c’est le travestissement». Si jamais l’autre, à son tour, se met en danger, bingo ! «L’engagement de l’individu prend la forme d’une remise de soi, consciente ou inconsciente, produisant une emprise sur l’autre, et une action en retour de ce dernier. A ce titre, l’amour associe simultanément des expériences d’abandon de soi et de pouvoir chez chacun des acteurs ; il implique une réciprocité».

Etape numéro 2 : le don de son temps

La première chose que les amoureux font consiste à s’échanger des informations sensibles et confidentielles. L’étape numéro deux consiste à s’échanger du temps. «Ils se “voient”, ils passent du temps l’un avec l’autre. S’ils ne peuvent se voir, ils se disent ce qu’ils font de leur temps quand ils ne sont pas ensemble. Isabelle Clair (2) indique que les jeunes amoureux dans les quartiers de banlieue passent un temps infini le soir à se raconter leurs journées au téléphone». Lorsqu’ils racontent leur journée, les amoureux, d’une certaine manière, donnent à l’autre un droit de regard sur leur vie. C’est la pente fatale qui mène droit aux problèmes : jalousie, possessivité, indiscrétion. Du moment qu’on cède à ce réflexe de montrer patte blanche (l’idéal de la transparence amoureuse), non seulement on met l’autre en demeure de vous donner les gages de sa propre fidélité mais on s’autorise soi-même à envahir sa vie. Cela commence souvent pas la méchante petite question : «Tu as vu qui aujourd’hui ?».

Marquer les frontières à ne pas dépasser, tout en donnant des gages

N’écoutez jamais une personne vous raconter par le menu ce qu’elle a fait pendant la journée, même si vous en êtes amoureux. Il s’agit de mettre les choses au clair : ta vie t’appartient, je n’ai pas à m’en mêler. De même, tu n’as pas à me demander ce que j’ai fait, ni avec qui, ça ne te regarde pas. Les relations naissantes sont souvent des moments difficiles, car il faut à la fois montrer à l’autre qu’on tient à elle/lui et protéger ses arrières. Pour que l’amour dure, il importe notamment de marquer ses limites. L’équilibre est difficile à tenir. La remise de soi n’est pas toujours égale entre les partenaires. Il y a des amoureux qui, tout de suite, vous présentent leurs parents. D’autres qui refusent de raconter leurs antécédents familiaux ou amoureux. Citant une étude sur l’amour en milieu étudiant (3), Michel Bozon résume : «il y a toujours des aspects tactiques. Chacun n’a pas intérêt à tout dévoiler de lui».

Etape numéro 3 : faire son anamnèse

Imaginez quelqu’un qui ne dit jamais rien de sa vie, qui reste fermé. Impossible que l’amour se développe dans cet espace «obturé» par le silence : celui ou celle qui se tait indique par là qu’elle se refuse à vous. «Lorsque ni l’un ni l’autre ne réalise cette anamnèse [raconte ses souvenirs, son parcours de vie], cela définit un style particulier de relation inscrite dans l’instant, non destinée à durer», résume Michel Bozon, qui cite pourtant le cas de femmes capables d’être amoureuses d’hommes parfaitement mutiques. L’inégalité entre les sexes se mesure souvent à ce type de relation où, en Occident, c’est souvent la femme qui doit jouer le rôle de la personne la plus vulnérable, alors que l’homme, lui, essaye de coller à l’image idéale du mâle, qui prend, qui dispose, qui décide. La femme l’invite chez lui, en gage de confiance. Quant à lui, «il se contente de téléphoner de temps en temps, de manière imprévisible, pour passer quelques heures chez elle, et ne dit jamais rien de lui». Ces relations unilatérales sont souvent promises à l’échec.

Etape numéro 4 : échanges (d’objets, de goût, d’odeurs, de sons, de mots, de peau…)

Comme on le voit, l’amour n’est pas une affaire de «sentiments» mais bien plutôt de dons et de contre-dons. Si l’un envoie une lettre ou un texto (soyons moderne), l’autre doit répondre. Si l’un offre un T-shirt «odorant», l’autre doit le porter. Au XIXe siècle, on s’échangeait des rubans et des mouchoirs. Au XXIe siècle, on s’échange des MP3 (écoute mes morceaux préférés), les livres que l’on aime (apprends à me connaître), des photos (regarde à quoi je ressemble quand je me branle en pensant à toi), des parfums (mets-le pour me plaire), des petits plats (mange ce que j’ai préparé avec amour), des fonds d’écran (travaille en pensant à moi) et parfois-même, des parties de son corps : «le tatouage amoureux contemporain est toujours une façon d’abandonner une part de son corps à l’autre. Chacun peut compléter la liste à sa façon…».

Un désir non pas de justice mais de justesse

Si les échanges sont trop inégaux, l’amour court droit à l’échec. Mais qu’on ne s’y trompe pas : «Le principe d’équivalence dans la communication entre partenaires n’est pas une attente de justice et d’égalité (comme dans le partage des dépenses ou des charges), mais comme un principe de justesse dans le fonctionnement de l’orchestre amoureux». Michel Bozon parle d’harmonie : l’amour est musique. Les premiers moments de la relation naissante ont pour but de trouver l’harmonie. Une fois qu’elle est installée, le couple se met en place. La pratique de l’amour, alors, se modifie totalement. Beaucoup de gens croient que l’amour disparaît parce qu’ils ne ressentent plus, une fois qu’ils sont «rangés», les émois intenses du début. Faux, répond Michel Bozon.

L’amour dure trois ans ?

Il ne faut pas confondre le sentiment de peur et le sentiment d’amour. Au début, c’est la peur et l’inquiétude qui dominent, avec leur part de plaisir inhérente. «Le plaisir ressenti dans les amours naissantes naît […] de l’excitation liée à une circulation de pouvoir (une emprise) et à l’exposition de soi (au sens de prise de risque). Mais l’inquiétude […] n’est jamais loin. Et surtout cette excitation et cette intensité de circulation ne peuvent guère se maintenir dans la durée. […] Il serait sans doute insupportable de vivre de manière permanente de tels niveaux d’emprise. Cela explique pourquoi la place et le contenu de l’amour dans ce qui devient relation conjugale ou relation stable sont amenés à se redéfinir radicalement». Les questions qui se posent alors : à quoi ressemble l’amour, une fois passées le suspens des débuts ? Trois, quatre ou huit ans plus tard, peut-on encore parler d’amour ? Comment sauver l’amour lorsque le sentiment et l’envie s’érodent ? Les réponses se trouvent dans le livre de Michel Bozon.

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A LIRE : Pratique de l’amour, Michel Bozon, éditions Payot, 2016, 18 euros.

NOTES

(1) «Selon Barthes,“toute curiosité intense pour un être rencontré vaut en somme pour de l’amour”. Dans un groupe ou dans une réunion sociale, on reconnaît deux amoureux – que leur relation soit notoire ou non ‒ au fait qu’ils parlent plus bas». Source : Pratique de l’amour, Michel Bozon, Payot, 2016.

(2) Isabelle Clair, Les Jeunes et l’Amour dans les cités, Paris, Armand Colin, 2008.

(3) Christophe Giraud, Les Chemins du couple. Une sociologie de la vie personnelle des jeunes en milieu étudiant. Université Paris-Descartes, habilitation à diriger des recherches, 2014.

La «petite maison» dans la pondibuderie

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La «petite maison» dans la pondibuderie

Au XVIIIe siècle, les auteurs libertins décrivent des lieux de débauche, sous la forme de pavillons situés en banlieue, à l’abri de tous les regards, voués aux parties fines et aux adultères. On les appelle «petites maisons» et… ce seraient les ancêtres des résidences secondaires.

Entourée d’un parfum de scandale, la «petite maison» apparaît dans la littérature libertine comme le lieu de toutes les perditions. «Le mythe est bien connu : le XVIIIe siècle aurait vu naître des lieux édifiés pour le plaisir d’une classe sociale fortunée et bien souvent oisive […]. Cette légende de la «petite maison», qui mêle aventures romanesques et anecdotes véritables, repose toutefois sur une réalité tangible : ces édifices apparus au début du XVIIIe siècle se dénombrèrent bientôt par dizaines aux alentours de la capitale». Dans son ouvrage Petites Maisons, illustré de documents rares ou inédits, l’historienne Claire Ollagnier enquête : ont-elles réellement existé pour satisfaire les passions ou les vices d’une élite aux moeurs dissolues ?

Une «réputation pas entièrement usurpée»

Dépouillant les documents d’époque, Claire Ollagnier énumère tout d’abord les descriptions de ces très mystérieuses villas, qui apparaissent dès 1741, dans des ouvrages licencieux, contribuant à créer la légende de ces lieux de stupre. «Nombreux sont les écrits qui contribuent à établir cette réputation […] pas entièrement usurpée. Ainsi, dans Les Confessions du comte de ***, Charles Pinot Duclos note-t-il :“Le premier usage de ces maisons particulières appelées communément petites maisons s’introduisit à Paris par des amants qui étaient obligés de garder des mesures, et d’observer le mystère pour se voir, et par ceux qui voulaient avoir un asile pour faire des parties de débauche qu’ils auraient craint de faire dans des maisons publiques et dangereuses, et qu’ils auraient rougi de faire chez eux”».

Les liaisons mystérieuses

Dans Le Sopha, Crébillon fils confirme cette idée que la «petite maison» sert d’asile aux amants et d’abri aux femmes infidèles. A la question «qu’est-ce que c’est qu’une petite maison ?», l’un des protagonistes répond : «une maison écartée, où sans suite, et sans témoins, on va…». Michel Delon, qui signe une préface à l’ouvrage, explique : «On connaît les grisons ou domestiques sans livrées, les voitures sans armoiries et les maisonnettes, cachées derrière des bosquets, qui assurent la discrétion à des amours clandestines»… Leur caractéristique c’est qu’elles sont construites à l’écart des villes, dans des endroits «où l’on reçoit et où l’on est reçu incognito», ainsi que le formule laconiquement Claire Ollagnier. Les attelages qui y conduisent n’affichent pas la qualité de la personne qui s’y dissimule, cachée derrière l’équivalent de lunettes noires et de vitres sans tain.

Des maisons pour amants consentants

En 1748, Denis Diderot publie sous anonymat un roman, Les Bijoux indiscrets, dans lequel il est aussi question des «petites maisons». C’est l’histoire d’unanneau magique qui possède le pouvoir de faire parler les vagins («bijoux»). Le héros du livre raconte : «On avait alors la fureur des petites maisons. J’en louais une dans le faubourg […] et j’y plaçais successivement quelques-unes de ces filles qu’on voit, qu’on ne voit plus ; à qui l’on parle, à qui l’on ne dit mot, et que l’on renvoie quand on est lassé. J’y rassemblais des amis et des actrices de l’Opéra : on y faisait de petits soupers…». «La petite maison s’accorde mieux au libertinage qu’à l’amour honnête !», souligne l’historienne qui cite encore bien d’autres textes parlant d’échangisme et de rendez-vous galants, basés sur le seul principe du plaisir pris et donné. Pas de sentiments. Pas d’amour. «L’arrangement qu’entraîne un rendez-vous dans une petite maison» se résume en deux mots : jouissance réciproque.

Ce que la police en dit

Les rapports de police et les chroniques scandaleuses regorgent également d’anecdotes touchant ces garçonnières. «Jean-François Barbier relate ainsi, en mars 1758, la vie de débauche que mène le magistrat Évrard Titon du Tillet à Montmartre : “il vit dans une petite maison sur le rempart dans une débauche publique avec des filles qui sont tous les jours à sa table, ce qui ne convient pas à un magistrat.” Le duc de Lauzun mentionne quant à lui la petite maison du duc de Gramont dans laquelle celui-ci “passait sa vie […] avec des musiciens et des filles publiques les moins recherchées”. Le baron de Besenval témoigne de celle de M. de Luxembourg, rue Cadet, où“tout ce que la bonne chère peut avoir de plus recherché se joi[nt] à la licence la plus forte”. À propos de celle du duc de Chartres à Neuilly, Mlle Bertin assure que l’“on [y] condui[t] de jeunes filles isolées […] qu’on [a] pu séduire” et que“là se commettent de grandes débauches”».

«Débauche outrée», «impiété horrible»

L’usage licencieux de la «petite maison» atteint son paroxysme avec le marquis de Sade. A peine quelques semaines après son mariage (avec Renée de Montreuil) en mai 1763, Sade en loue une à Paris où il fait venir des prostituées. Scandale. Le 29 octobre 1763, il est arrêté dans sa garçonnière rue Mouffetard pour la «débauche outrée qu’on y allait faire froidement, tout seul, impiété horrible dont les filles ont cru être obligées de faire leur déposition» (1). C’est le comte de Sade (son propre père) qui écrit cela dans une lettre à l’abbé de Sade, datée 16 novembre 1763… Donatien-Alphonse est enfermé au donjon de Vincennes sur ordre du roi à la suite d’une plainte déposée par une prostituée occasionnelle, Jeanne Testard, qui n’a pas apprécié les petits jeux blasphématoires du marquis. Le voilà sous les barreaux puis assigné à résidence jusqu’en septembre 1764. Ce qui ne l’empêche guère de récidiver. Très vite, il défraye la chronique en violentant une jeune femme dans sa «petite maison» de Gentilly.

L’affaire de la mendiante et du sadique

Faut-il y accorder du crédit ou pas ? L’affaire est ainsi racontée dans la correspondance de Mme du Deffand, où elle relate à son fidèle ami Horace Walpole les sévices subis par une mendiante : «Un certain comte de Sade […] rencontra, le mardi de Pâques, une femme grande et bien faite, âgée de trente ans, qui lui demanda l’aumône ; il lui fit beaucoup de questions, lui marqua de l’intérêt, lui proposa de la tirer de sa misère, et de la faire concierge d’une petite maison qu’il a auprès de Paris. Cette femme l’accepta ; il lui dit de venir le lendemain matin l’y retrouver ; elle y fut ; il la conduisit d’abord dans toutes les chambres de la maison, dans tous les coins et recoins, et puis il la mena dans le grenier, arrivés là, il s’enferma avec elle, lui ordonna de se mettre toute nue.»

Il «lui déchiqueta tout le corps»

Ici, le récit de la célèbre salonnière adopte volontiers le registre du roman bourgeois (méfiance) : «elle résista à cette proposition, se jeta à ses pieds, lui dit qu’elle était une honnête femme ; il lui montra un pistolet qu’il tira de sa poche, et lui dit d’obéir, ce qu’elle fit sur-le-champ ; alors, il lui lia les mains, et la fustigea cruellement. Quand elle fut tout en sang, il tira un pot d’onguent de sa poche, en pansa ses plaies, et la laissa […]. [Le lendemain matin] il examina ses plaies, et vit que l’onguent avait fait l’effet qu’il en attendait ; alors, il prit un canif, et lui déchiqueta tout le corps : il prit ensuite le même onguent, en couvrit toutes les blessures, et s’en alla […]. Le village où est sa petite maison, c’est Arcueil».

Bougies de messe utilisées comme plug anal

On sent bien, à la lecture de cette lettre, la Révolution à venir et ses obsessions vertueuses. «Les crimes contre les mœurs –union charnelle illégitime, débauche, prostitution, libertinage, adultère, concubinage ou proxénétisme– font, au XVIIIe siècle, l’objet de répression», explique Claire Ollagnier qui ajoute à quel point les «petites maisons» pâtissent de ce parfum de soufre entourant les mœurs jugées dépravées des aristocrates, surtout quand ces aristocrates se conduisent en impies, sacrilèges et hérétiques. Le grand tort de Donatien-Alphonse fut certainement plus de s’être servi de bougies de messe comme plug anal que d’avoir fait saigner des roturières… Mais voilà. Le mal est fait. «Relayant parfois d’improbables rumeurs, satisfaisant ainsi […] le goût du scandale et de l’indécence», d’innombrables écrivains créent le mythe de la petite maison comme enfer de la luxure.

De la clandestinité à l’ostentation

«La volonté de ternir l’image des grandes personnalités du siècle apparaît derrière de nombreux témoignages» concernant les «petites maisons», résume l’historienne, qui ajoute à quel point ces demeures auraient mérité mieux. Le discours sulfureux dont elles font l’objet apparaît en effet au moment même où les usages de ces maisons changent. Quand elles apparaissent (vers 1700), les «petites maisons» sont certainement dédiées aux amours secrètes. Mais quand pour la première fois elles sont nommées dans des livres ou des correspondances (vers 1740), ces maisons ne sont plus destinées à rester secrètes. Au contraire, elles sont conçues pour être vues de tous, admirées, dans une débauche non plus de discrétion mais de faste exhibitionniste. Adieu plaisirs illicites. Ainsi que Michel Delon le remarque : «Les fortunes dilapidées pour les installer transformèrent la clandestinité en ostentation».

Des maisons pour faire croire qu’on est un libertin ?

Intuition confirmée par Les Confessions du comte de *** de Duclos : «On les eut d’abord pour dérober ses affaires au public ; mais bientôt plusieurs ne les prirent que pour faire croire celles qu’ils n’avaient pas. On ne les passait même qu’à des gens d’un rang supérieur : cela fit encore que plusieurs en prirent par air. Elles sont enfin devenues si communes et si publiques qu’il y a des extrémités de faubourg qui y sont absolument consacrées. On sait tous ceux qui les ont occupées ; les maîtres en sont connus, et ils y mettront bientôt leur marbre. Il est vrai que depuis qu’elles ont cessé d’être secrètes, elles ont cessé d’être indécentes, mais aussi elles ont cessé d’être nécessaires. Une petite maison n’est aujourd’hui pour bien des gens qu’un faux air, et un lieu, où pour paraître chercher le plaisir, ils vont s’ennuyer secrètement un peu plus qu’ils ne feraient en restant tout uniment chez eux».

De la «petite maison» au pavillon de banlieue : du rêve pour tous

Du moment que les «petites maisons» deviennent des lieux pour «paraître» et simuler, elles font l’objet de dépenses somptuaires et deviennent l’«écrin luxueux qui définit la qualité du maître qui l’occupe, selon le principe de convenance et de bienséance». C’est alors, véritablement, qu’elles deviennent intéressantes car les propriétaires de ces pavillons de banlieue veulent en mettre plein les yeux. Claire Ollagnier insiste : lorsque la «petite maison «commence à répondre à un véritable programme architectural, dans lequel les attendus libertins ne sont plus les seuls enjeux», elle devient le lieu d’un projet novateur, étonnant, basé sur l’idée de la merveille. On se perd dans les petites maisons comme dans un labyrinthe où les pièces d’eau reflètent le ciel et où les chambres ouvrent sur des jardins dont on ne sait plus s’ils sont vrais ou faux. Les petites maisons deviennent des espaces brouillant les frontières entre intérieur et extérieur, entre rêve et réalité. Or – ainsi que l’historienne le prouve dans cet ouvrage magistral–, nous sommes (presque) tous les dépositaires de ce projet. Nos maisons secondaires dérivent de ces «folies» architecturales. «Et le comble de l’élitisme aristocratique se démocratise en modeste pavillon pour tous», conclut Michel Delon.

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À LIRE : Petites Maisons, de Claire Ollagnier, éditions Mardaga, avril 2016, 39 euros.

NOTE (1) Extrait d’une lettre du comte de Sade à l’abbé de Sade, 16 novembre 1763 ; cité dans Sarane Alexandrian, Les libérateurs de l’amour, Paris, Seuil, coll. Points, 1977, p. 79.

ILLUSTRATION : Natalie Shau, graphiste lituanienne, dont la galerie Le Cabinet des curieux présente les travaux sur la France.

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