Quantcast
Channel: sexes.blogs.liberation.fr - Actualités pour la catégorie : Moeurs
Viewing all 222 articles
Browse latest View live

L'érotisme discret de la main sur le mur

$
0
0
L'érotisme discret de la main sur le mur

En 2014, une nouvelle façon de déclarer sa flamme fait son entrée dans le répertoire des clichés érotiques au Japon, sous le nom de kabedon. Il s’agit de plaquer sa bien-aimée contre le mur. Deux ans plus tard, comment ce cliché a-t-il évolué ?

Il existe dans les manga et les jeux vidéos des façons stéréotypées de déclarer sa flamme. Il s’agit, pour un garçon de retenir une fille en posant fermement la main contre le mur avant de se pencher pour lui murmurer quelque chose à l’oreille. Mur se dit kabe (壁). Don (ドン), c’est le bruit que fait la paume (ou le poing) contre le mur. Le procédé est donc baptisé kabedon (壁ドン), l’équivalent de «Pan dans le mur». «Le procédé, tiré des mangas pour jeunes filles, suscite un réel engouement», explique Le Courrier International. Ci-dessous un extrait-culte du feuilleton Kyô ha kaisha yasumimasu (きょうは会社休みます).

L’engouement est en effet tel que lors du très attendu Game show de Tôkyô, une célèbre firme de jeu-vidéo (Voltage) spécialisée dans les petits copains virtuels, propose aux fans de vivre « pour de vrai » la scène-phare du kabedon. L’Asahi shinbun raconte : « des acteurs en costard, pour la plupart des éphèbes de plus d’un mètre quatre-vingt, simulaient tour à tour la scène du kabe don avec des visiteuses en susurrant : “A partir d’aujourd’hui, tu es à moi”». Voltage affirme que 3000 japonaises se précipitent à l’attraction. Voici la vidéo.

L’engouement est également tel qu’un entrepreneur a l’idée d’ouvrir un café éphémère, Kabedon Café (壁ドンカフェ), dans lequel les clientes peuvent s’isoler en compagnie d’un mannequin-automate de 180cm fait à l’image d’un séduisant barman franco-japonais. Pourquoi un mannequin plutôt qu’un acteur ? «Parce que beaucoup de femmes se sentent trop intimidées avec un vrai garçon», explique l’auteur de l’article publié sur le site Netoraba, incitant celles qui «ne l’ont jamais fait à essayer avec un beau garçon (une poupée)», mais également les garçons à tenter cette expérience propre à «faire fondre», terme ambigu qui désigne à la fois une abondante perte de liquide et le fait d’être enchanté-ravi-ensorcellé. Les client.e.s du Kabedon café ont le choix entre 5 fantasmes. Le kabedon menu propose le personnage dit tsundere (personnage froid, sarcastique et distant capable de trahir soudainement ses véritables sentiments), kohaku (personnage qui fait sa confession), asananajimi (l’ami d’enfance qui brusquement révèle l’amour qu’il dissimulait depuis plus de dix ans) et sotsugyô (personnage qui met fin à une situation… je ne sais pas trop ce que cela implique). L’automate est configuré pour frapper le mur puis prononcer des phrases en mode aléatoire (chaque option se décline en déclarations, du style : « Ne dis pas des choses égoïstes ou je te fermerai les lèvres avec ma bouche» ou encore « Ne t’ouvre à personne d’autre qu’à moi. Je suis le seul homme à qui tu devrais parler.»). Voici la vidéo. La journaliste qui a accepté de faire l’expérience mesure 148 cm et la poupée lui dit : Donna suîtsu [sweets] yorimo kimi ga ichiban gokujô no suîtsu [sweets] da yo : «Tu es une friandise supérieure à toutes les autres friandises.»

Surfant sur l’effet de mode, une dizaine de feuilletons TV romantiques mettent en scène le moment-clé, tant attendu par les spectatrices, durant lequel un personnage masculin va brusquement avoir sa montée d’hormone, froncer les sourcils, devenir menaçant et coincer l’élue de son coeur contre – au choix – la paroi d’un ascenseur, la porte d’une rame de métro, la vitre d’un distributeur de boissons ou n’importe quelle autre surface capable de renvoyer en écho le bruit – Don ! (Pan !, Boum !) – afin de lui dire ses quatre vérités, c’est-à-dire «Tu m’appartiens, corps et âme.» La scène provoque des palpitations, voire des orgasmes tels qu’il existe sur Internet toutes sortes de top 10 des meilleures séquences kabedon, au rang desquelles on trouve les suivantes (vidéo ci-dessous). Attention, la bande-son est désagréable.

Toujours en 2014, l’enseigne Gu organise à l’occasion de ventes spéciales dans son magasin de Ginza une journée événementielle durant laquelle les clientes se voient offrir, pour l’achat d’un vêtement de leur choix, une expérience troublante : leikemen tsugi tsugi kabedon (le «kabedonà la chaine des beaux gosses»). Il s’agit de prendre la file d’attente (il y a foule) avec son achat, puis de le montrer en faisant mine de le porter devant soi (Ca me va ?) et de se faire coller contre le mur prévu à cet effet par un beau garçon : Uun, mecha niatteruyo sugoi kawaii (« Mmmm, ça te va vraiment bien, t’es super mignonne »). Si on a de la chance, le garçon exécute le « double kabedon», c’est-à-dire qu’il frappe le mur avec ses deux bras : Don ! Don ! Si on a encore plus de chance, c’est le double kabedon avec deux beaux garçons (un bras par garçon, Don ! Don !). La firme invite aussi les clients mâles à tenter l’expérience. Nous sommes au Japon.

S’il fallait classer le kabedon ce serait dans la catégorie des fantasmes de viol. Les lycéens ne s’y trompent pas qui parodient le kabedon sous la forme de mises en scène grotesques, en déclinant le stéréotype jusqu’à en épuiser la charge érotique : kabedon avec le genoux (style coup dans les parties), kabedon avec le coude (variante faussement désinvolte), kabedon avec les deux mains et les pieds (technique de l’encerclement), kabedon suivi d’une prise de menton (estampillé kabegu-i, parce que relever le menton de quelqu’un avec un doigt, dans les manga, s’accompagne de l’onomatopée gu-i), kabedon suivi de deux doigts dans le nez, auto-kabedon, reverse-kabedon, kabedon en trio, etc… Les garçons le font autant que les filles.

Tout le monde s’entraîne dans les écoles et se filme en train de faire des kabedon, au point d’inspirer par effet boule de neige des scènes de feuilleton, comme ici, dans cette séquence-culte de GTOmettant en scène deux étudiants qui s’amusent à le faire « pour rire », jusqu’au moment-clé où. Don, leur coeur fait Don.

Toujours en 2014, la firme qui produit les célèbres nouilles instantanées Cup Noodle lance une publicité décalée qui dit : «Le Japon, c’est le pays des manga. Toutes les jeunes filles lisent des manga. Le fantasme qui les fait rêver c’est le kabedon. Malheureusement, la réalité est différente. Dans ce pays, les [seules] choses chaudes sont les personnages de manga et les Cup noodle». Conclusion : on se console vite de la perte de ses illusions avec un bon bol de nouilles.

En 2015, une série comique met en scène les émois orgasmiques d’une mère de famille indigne, qui passe son temps à fantasmer sur les manga, met ses enfants à la porte et tente de retenir les deux professeurs avec qui les enfants avaient rendez-vous pour des cours à domicile. Dans ses rêves éveillés, les professeurs exécutent toute la succession des figures alternatives du kadebon, qu’elle énumère avec délices comme autant de postures sexuelles.

La plus étonnante variation érotique sur le kabedon se nomme semidon (蝉ドン), c’est-à-dire «kabedon du grillon» par allusion à la capacité de ces insectes à planter leurs pattes sur le tronc d’un arbre par exemple et à y striduler d’amour, pendant la période de reproduction, jusqu’à ce que mort s’ensuive. On retrouve les grillons morts toujours plantés dans l’arbre, en position de chant amoureux…

Le semidon a d’ailleurs lui-même donné naissance au kabezubo (壁ズボ), une déclinaison irréaliste du kabedon avec les bras et les jambes enfoncés dans le mur… et, et… de parodies en parodies, le fantasme a fini par perdre toute puissance, comme le grillon qui meurt à force de striduler : le vent froid d’automne le fige à jamais dans sa position. Il n’est plus qu’une coquille vide. Il ne suscite plus le désir.

Capture d’écran 2016-09-15 à 13.20.32.png

Capture d’écran 2016-09-15 à 13.20.44.png

POUR NE PAS FINIR SUR UNE NOTE TRISTE : concernant le semidon, cela donne, en version TV, la parodie suivante (toujours ma mère de famille indigne)…


Combat de chatouilles

$
0
0
Combat de chatouilles

La chatouille est-elle érotique ? Pour les adeptes de kusuguri (chatouille, en japonais), non seulement c’est une pratique sexuelle mais SM : la torture par le rire.

Le 17 juillet 2005, à la Sadistic Circus, les membres de la troupe Kusugurings (クスグリングス, «Le cercle des chatouilleuses») montrent qu’on peut pleurer de rire. Devant un public hilare qui, par contagion, se met à partager les mêmes gloussements, quatre filles entament un concours de chatouilles (kusuguri), proche de la déculottée. La performance se déroule dans le cadre d’une soirée qui rassemble une fois par an, à Tôkyô, un condensé de la scène sex-alternative japonaise avec, cette année, un important apport d’artistes internationaux. Artistes de la corde, «onsen geisha» (strippeuses de stations thermales), adeptes de fétichismes et de pratiques bizarres… Ils sont tous réunis autour de Tatsumi Naito, créateur d’une galerie d’art au nom trompeur et ironique – «Vanilla galery» – qui n’expose que des artistes aux antipodes du goût vanille. La soirée Sadistic Circus (qui date de 2002) se veut à l’image de cette galerie déviante.

Pour en revenir à Kusugurings, les performeuses sont déguisées. Deux ne portent qu’un cache-sexe appelé fundoshi, synonyme au Japon du combat viril. C’est en cache-sexe que les sumos s’affrontent. Le fundoshi est réservé aux hommes. Mais il arrive que des femmes en portent quand elles veulent montrer qu’elles sont prêtes à se battre. La tradition du sumo érotique – dont les origines remonteraient aux contre-rituels transgressifs – aurait jadis opposé des femmes qui luttaient demi-nues pour faire tomber la pluie… Les femmes n’ont pas le droit de poser le pied sur le ring des combats de sumo. A plus forte raison dans une tenue légère. Cette tradition sacrilège et lubrique ne tarde pas à attirer l’attention des autorités : à l’époque d’Edo, le gouvernement essaye de mettre un terme aux débordements paillards provoqués par ce que l’on appelle alors le «sumo insolite». Une condition est imposée : que les participantes – seulement vêtues d’un pagne étroit – ne soient pas d’âge, ni d’apparence, à éveiller chez les spectateurs d’autre sentiment que l’enthousiasme sportif. Cette condition n’était pas toujours respectée, comme le prouve une chronique du monde des spectacles, le Geikai-kiku-mama no ki, au chapitre «spectacles inconvenants», dont Hubert Maes fournit cette traduction éclairante dans un texte consacré aux attractions de l’époque Edo :

«Dans les années Meiwa (1764-1771), on représentait des sumos féminins. Il arrivait souvent que cette sorte de spectacle prît un caractère licencieux. Il y eut un cas particulièrement scandaleux : ce fut lorsqu’on mit aux prises des femmes et des aveugles. Les femmes étaient toutes fort jolies, mais l’une d’entre elles surtout, nommée O-Kura, était d’une perfection à attirer tous les regards. Un jour, une dizaine de débauchés, qui avaient conçu le grossier dessein de se faire montrer les charmes de ladite O-Kura, offrirent deux houblons d’or à l’impresario et 4 funs d’argent à chacun de ses acolytes, pour qu’ils accédassent à leur demande. Les acolytes, qui depuis longtemps soupiraient sans succès auprès de O-Kura, consentirent par dépit, et sous le titre : «Une fille et huit maris», ils mirent en scène O-Kura seule contre huit aveugles. Ils lui prirent les mains, ils lui prirent les pieds… L’horreur de la scène ne se peut décrire. Les autorités qui eurent aussitôt vent de l’affaire, décidèrent promptement l’interdiction du psectacle, et tous les organisateurs reçurent un châtiment sévère» (cité dans Histoire galante de Shikoden, éd. L’asiathèque).

On imagine bien que la belle O-Kura eut à subir bien autre chose qu’une séance de guilis lors de ce match méchamment truqué… D’autres textes témoignent que les femmes sumo – jusqu’au XIXe siècle – affrontent toutes sortes d’adversaires (d’autres femmes, des aveugles, des bêliers, parfois même des ours) dans le cadre de spectacles forains qui avaient souvent lieu lors des fêtes religieuses, dans l’enceinte des sanctuaires et des temples… Les arbitres de ces matchs étaient elles-mêmes des femmes et quand les combattantes s’empoignaient à bras-le-corps, ou par la ceinture du fundoshi, il arrivait que le spectacle vire au strip-tease. Les fesses agitées de contractions, les seins ballottants, des bouts d’anatomie débordant du tissu…

Sur la scène de la Sadistic Circus, le spectacle n’a guère changé, à quelques détails près : les prises traditionnelles de sumo ont été remplacées par des prises de chatouilles. Deux femmes sumo affrontent deux cosplayeuses, en uniforme de magical girl… Au bout de dix minutes, les premiers poils pubiens apparaissent. L’arbitre – qui porte autour du cou un gong de match de boxe – fait sonner les mi-temps… Il commente aussi au micro, dans un style qui mélange le discours du forain et la chronique radio, les péripéties de ce match pour rire… Réinventant la tradition des combats entre filles, la troupe Kusugurings mélange knismolagnie (goût sexuel pour la chatouille) et cat fight délirant. Elles pratiquent ce que l’on appelle «dans le métier» le Kusuguri-zeme (l’attaque à la chatouille) ou Kusuguri gomon (la torture par le guili) avec une énergie très «Femmes au bord de la crise de nerfs».

Sadistic Circus, 24 septembre 2016, au club Differ Ariake, à Tôkyô.

A LIRE : Hubert MAES : «Les voyages fictifs dans la littérature japonaise de l’époque d’Edo», dans Histoire galante de Shidôken, de Hiraga Gennai Paris, Collège de France, Bibliothèque de l’Institut des Hautes Etudes Japonaises, L’Asiathèque, 1979, p. 125-146.

Faites-vous le compte de vos orgasmes ?

$
0
0
Faites-vous le compte de vos orgasmes ?

Entre 1971 et 1974, au moment même où la pornographie envahit l’Europe, deux sociologues dénoncent ce qu’ils appellent «La rationalisation sexuelle». Dès lors qu’on mesure le plaisir en termes d’orgasmes, peut-on parler de libération ?, demandent-ils.

Dans un brûlot jubilatoire qu’ils mettent 6 ans à peaufiner, deux sociologues français – André Béjin et Michaël Pollak– proposent une autre façon de voir ce qu’on appelle alors la «révolution sexuelle». En apparence, les années post-69 c’est le pied disent-ils. «Plus grande liberté dans les contacts sexuels, moindre culpabilité attachée à la sexualité et notamment aux pratiques “marginales”, accès plus facile à divers adjuvants sexuels (moyens contraceptifs, matériel pornographique…)»… Mais que cache cet euphorique «relâchement des moeurs» ? Prolongeant avec un brin d’ironie l’analyse célèbre de Marx sur le «travailleur libre», les deux sociologues brocardent joyeusement l’émergence de ce qu’ils nomment l’homo eroticus c’est-à-dire l’humain libéré de tout souci procréatif. Ayant opéré le partage entre plaisir et procréation, l’homo eroticus est «devenu libre en tant que disposant à son gré de sa force de sexualité, «comme de sa marchandise à lui», dans un but ne se pouvant réduire à la reproduction.» Victoire ?

Au XVIIIe siècle, «orgasme » signifie transport de l’âme

Pas tout à fait. La liberté cache souvent de subtiles formes de répression. Les deux sociologues notent que la «disjonction de la production d’enfants et de la production de plaisir» s’est malheureusement accompagnée d’un autre phénomène, plus sournois : l’apparition d’«un système de mesure fiable permettant des évaluations intersubjectives». Pour le dire plus clairement : une comptabilité du plaisir. Par quel moyen ? Le calcul du nombre d’orgasmes. «Au XVIIIe siècle, pour les auteurs de l’Encyclopédie, le vocable «orgasme» pouvait désigner une irritation, une «hystérie» ou une érection», disent-ils, soulignant avec goguenardise l’extraordinaire rétrécissement du champ sémantique de ce mot, autrefois synonyme de passion, d’ébullition émotionnelle ou d’effervescence. Pour Diderot, l’orgasme – équivalent d’une ivresse spirituelle – désigne le transport de l’âme. Au XXe siècle, le mot ne désigne plus que la décharge d’un trop-plein de liquide ou d’énergie. Malaise.

Introduction du «calcul organismique»

Le plaisir qui était, jusqu’au XXe siècle, «non commensurable, est devenu l’objet d’évaluations “objectives” et “quantitatives”» La faute à qui ? La faute à Wilhem Reich, disent-ils. C’est cet élève de Freud qui, le premier, fait de l’orgasme une unité de mesure (1). Mais les deux sociologues pointent surtout du doigt l’inventeur de la sexologie : Alfred Kinsey. C’est avec lui, disent-ils que «l’orgasme dev[ient] l’inflexible étalon, l’équivalent universel de la comptabilité sexuelle et […] que s’affirme réellement la rationalisation de la sexualité. (2)» L’introduction du «calcul organismique» va d’ailleurs favoriser la dissolution du compartimentage normatif des pratiques sexuelles tel qu’il existait jusque là. Kinsey se fiche en effet complètement de la moralité, autant que de normalité. Il met sur le même plan «le coït d’un père de famille, la pollution nocturne d’un ecclésiastique, la fellation d’un homosexuel, le rapport sexuel d’une femme avec son chien, les masturbations à répétition d’une petite fille, etc.»

Le métier de sexologue : entre orgasmologie et orgasmolâtrie

Que l’on puisse «additionner ces différentes satisfactions comme le fait Kinsey dans certains de ses calculs, voilà qui est, pour le moins, “révolutionnaire”, et ceci probablement à l’insu de Kinsey lui-même. Au cloisonnement normatif absolu (normal/pervers, etc.) peut dès lors se substituer une gradation différenciée, ou encore, un classement selon “l’exutoire sexuel total”, c’est-à-dire le nombre total “agrégé” des orgasmes, quel que soit leur mode d’obtention. Les conditions sont prêtes pour que la sexologie devienne une orgasmologie, et l’idéologie justificatrice des sexologues une banale orgasmolâtrie.» André Béjin et Michaël Pollak se moquent. A leurs yeux, pour révolutionnaire qu’il soit, Kinsey ne fait jamais que substituer une forme de contrôle à une autre. Avant Kinsey, on faisait la distinction entre le plaisir licite et la pulsion maladive. Après Kinsey, on fait la distinction entre l’orgasme réussi et l’orgasme raté. L’orgasme idéal devient l’étalon. Les sexologues s’efforcent d’en répertorier les manifestations physiologiques qu’ils dissèquent et mesurent «objectivement» en termes de pulsations et contractions.

L’orgasme devient un discours d’expert

«Cet “orgasme idéal”, dont Reich, Kinsey, Masters et Johnson, et d’autres, ont successivement enrichi l’épure “scientifique”, tend à prendre, par rapport aux orgasmes comme phénomènes, toute la distance que produit un travail idéologique d’abstraction croissante, qui n’est pas innocent. Aux orgasmes vécus, il manquera toujours quelque chose». Des cliniques de l’orgasme apparaissent, dans lesquelles les «patients» se font mettre des instruments de mesure dans les orifices. Impuissance et frigidité deviennent les nouvelles maladies, moralement répréhensibles. «La jouissance se trouve ainsi prise dans les rets normatifs du voyeurisme behavioriste. L’appareil médical […] conserve ainsi la maîtrise de l’exercice de cette violence sur la sexualité», qui consiste à plaquer sur le plaisir un discours capitaliste.

Droit à l’impuissance, droit à la jouissance : même combat

Le «libéralisme de bon aloi» qui sous-tend le discours de la liberté sexuelle s’agrémente souvent d’une «formulation juridique qui n’est pas sans évoquer les préceptes de la révolution bourgeoise : “droit à l’orgasme”, “droit à la masturbation” et peut-être, demain, des droits aussi contradictoires à la visée de sa pratique mercantile que ceux de :“droit à l’impuissance”, “droit à la frigidité”… Il ne démord cependant pas d’au moins deux impératifs : impératif d’une “production” sexuelle (produire l’orgasme chez soi, chez le(s) partenaire(s) ou, faute de mieux, “produire” de la tendresse) ; impératif d’un recours préférentiel aux soins et aux marchandises doctrinales des membres de sa corporation pour le traitement des dysfonctions de cette production.» Pour les deux sociologues, la conséquence inévitable de ce système normatif nouveau, c’est l’apparition de notions aussi absurdes que celles de «compétence» sexuelle ou de «combat pour la reconnaissance des asexuels». On nage en plein marasme idéologique, disent-ils, dès lors qu’on revendique son statut en fonction de la valeur-étalon de l’orgasme.

Marché sexuel : «un espace d’échange de satisfactions sexuelles»

Sur le marché économico-sexuel, les individus peuvent tout aussi bien négocier leur pénis – dont la valeur est estimée en nombre de centimètres – que leur capacité à donner des câlins : les affects servent de cache-misère aux négociations d’orgasmes. Ceux qui se réfugient dans le don et le contre-don de bisous ne sont guère moins aliénés que ceux qui cherchent des partenaires en indiquant quelles satisfactions ils sont capables d’offrir en échange. «Femelle multi-orgasmique cherche mâle TBM endurant». Mais attention ajoutent les sociologues : le troc orgasme-contre-orgasme est rare. Sur le marché sexuel, «l’orgasme s’échange souvent contre la satisfaction d’un intérêt matériel ou symbolique.» lui-même estimé suivant des critères quantitatifs qui prennent en compte le coût, la dépense, les frais… de façon à éviter, comme quelque chose de monstrueux, tout excès. Se donner «en trop» est mal vu dans notre société. Il faut se donner avec le souci du «juste prix”. Et c’est en cela, surtout, que les normes de la liberté sexuelle sont synonymes de répression : aucun individu ne s’accorde la liberté de se donner pour rien, ni même de se rater. Dialogue de couple : -»Combien de fois as-tu joui ?” - “Trois fois”. -«Moi, deux fois. - “La prochaine fois, c’est moi qui te suce alors”.

La norme du donnant-donnant de la jouissance

Rendues mesurables, les pratiques sexuelles sont devenues monnaie d’échange. Cette monnaie-là sert essentiellement la femme, soulignent les sociologues. «A l’extorsion unilatérale d’orgasmes par l’homme (la femme devant se contenter du spectacle de la jouissance de son partenaire) a succédé le troc imposé des orgasmes (normes de l’“orgasme partagé” et même de l’“orgasme simultané”). Prodigieuse rationalisation qui satisfait, en outre, les “aspirations légitimes à l’égalité”… Mais que ne dissimule-t-elle pas, sous sa forme actuelle, de calculs mesquins...». Ces calculs de chambre à coucher sont animés par le «souci, pour garantir son autonomie, de ne rien devoir». Ils sont animés aussi par le lourd sentiment de culpabilité si on n’arrive pas à jouir alors que l’autre se met en quatre (»Dois-je aller consulter ?”). Il faut que chacun obtienne égale satisfaction, faute de quoi la thérapie de couple s’impose.

L’égalité des sexes, c’est avoir autant d’orgasmes que l’autre

Si l’un des deux jouit de l’autre en surplus, il devient débiteur, horreur. On a si peur d’être en dette ! «La norme de l’orgasme partagé, du donnant-donnant de la jouissance, traduit autant les progrès de l’inculcation d’habitus économiques que l’amélioration de la condition de la femme. Si dans les duels stratégiques qui les opposent, les partenaires semblent dorénavant disposer d’atouts analogues, c’est que, tenant pour valides les nouvelles règles du jeu sexuel, ils se soumettent l’un et l’autre à l’impératif d’équivalence des flux donnés et reçus.» Voilà maintenant où se loge, bien dissimulée, la tare secrète de la «liberté sexuelle» : dans cette hantise de n’avoir pas reçu autant qu’on a donné, ou le contraire. Dialogue de couple : -«Tu m’as joui dans la bouche et je t’ai doigté, tu me dois un orgasme chéri”. -»Oui, mon amour. Demain, à 18h ?”.

.

LIRE : «La Rationalisation De La Sexualité», d’André Béjin et Michaël Pollak, publié dans : Cahiers Internationaux de Sociologie, Nouvelle Série, Vol. 62 (Janvier-juin 1977), p. 105-125 URL: http://www.jstor.org/stable/40689786

A LIRE EGALEMENT : un dossier en trois volets sur la «sexualité négociée» : «Etre une femme libérée, tu sais, c’est pas si facile ?», «Toutes les femmes sont des câtins», «Séduction : comben coûte un plan cul ?».

Les conséquences bonnes et mauvaises de la pilule : «La pilule, maintenant, il faut l’avaler».

Deux articles pour savoir qui est Alfred Kinsey ? «Un orgasme par minute, vingt minutes, sans s’arrêter», «A quoi reconnait-on qu’une femme simule ?»

NOTES

(1) «La fonction de l’orgasme devient ainsi l’unité de mesure du fonctionnement psychophysique, parce que c’est en elle que s’exprime la fonction de l’énergie biologique» (Source : W. Reich, La fonction de l’orgasme (1942), Pans, L Arche, 2e éd., 1970, p. 291).

(2) «L’orgasme est un phénomène distinct et particulier que l’on peut généralement reconnaître aussi facilement chez la femme que chez l’homme. Nous l’avons donc pris comme... unité de mesure...» (Source : A. Kinsey et al., Le comportement sexuel de la femme (1953), Paris, Amiot-Dumont, 1954, p. 60-61 et 117).

L’ancêtre des pornographes était docteur en droit

$
0
0
L’ancêtre des pornographes était docteur en droit

Savez-vous que le Danemark est, en 1969, le premier pays au monde à légaliser le porno ? C’est depuis ce pays qu’un juriste italien tourne des centaines de petits films appelés «loops». Rendez-vous au LUFF, à Lausanne, pour découvrir ces pépites.

Alberto Ferro se rebaptise d’un nom danois – Lasse Braun – quand il émigre au Danemark pour y réaliser des films qui, clandestinement distribués sur toute l’Europe, sont visionnés par des millions de spectateurs. Ces films en super huit font partie des archives historiques du cinéma. Mais qui les a conservés ? Presque personne. La Fondation FINALE qui, à Lausanne, s’est donné pour but de protéger le patrimoine érotique en possède quelques uns. Quand Julien Bodivit, programmateur du LUFF, découvre ces films rares dans une caisse contenant pèle-mêle VHS et DVD, il saute de joie… «Ces bobines étaient les premiers pornos accessibles dans le commerce, s’enthousiasme-t-il – bien avant l’arrivée du X sur les écrans.» Ils seront diffusés le 22 octobre au Festival du Film Underground de Lausanne (le LUFF), dans le cadre d’un hommage : «Lasse Braun, le roi du porno». L’occasion de découvrir un personnage haut en couleur.

Le destin d’Alberto Ferro semble tracé à sa naissance : son père, un diplomate italien, le destine à une carrière de juriste. Alberto grandit chez les jésuites où règne une morale sexuelle répressive. Dans un documentaire intitulé «Moi, roi du X, la vie tumultueuse de Lasse Braun» (1), un ami d’enfance – Guido Vergani – raconte : «Évidemment, on était tous des garçons élevés dans l’interdit. Il existait en Italie, particulièrement, mais je crois dans toute l’Europe encore, le mythe de la virginité féminine. Avoir un rapport sexuel était très difficile. Très, très difficile. […] Une telle répression augmentait d’autant, bien sûr, l’impression de pécher, la curiosité et le désir. Beaucoup de plaisir solitaire, beaucoup de masturbation.» En cachette, les adolescents s’échangent des revues françaises peuplées de modèles nues dont le sexe… a été gommé. Alberto trouve cette censure indigne.

Il commence à passer en contrebande du matériel pornographique de la Suisse et du Danemark vers l’Italie, «parce qu’il avait une plaque d’immatriculation diplomatique et qu’on ne l’arrêtait pas à la frontière, précise Guido. Il empruntait la voiture de son père qui n’en savait absolument rien. Il rapportait dans le coffre des revues, des films, des choses de ce genre. C’est peut-être difficile à comprendre aujourd’hui, alors qu’on trouve dans n’importe quel kiosque à journaux le matériel […] pour lequel on risquait des années de prison.» En 1969, le Danemark devient le premier pays au monde à autoriser la fabrication et la commercialisation de produits pornographiques. Des centaines de milliers de curieux affluent des quatre coins d’Europe dans les sex-shops danois. C’est le début de la carrière d’Alberto : il tourne son premier film (Tropical) en 1969 puis s’installe à Copenhague et prend pour pseudonyme un nom scandinave. Plus vendeur pour faire du X (2).

«Lasse Braun est sans doute le premier professionnel du genre, explique Julien Bodivit : il monte son propre studio dédié à la célébration du sexe sur celluloïd. Surtout, il est un acteur majeur de la légalisation de la pornographie. Juriste de formation, docteur en droit, il s’attaque directement aux textes de loi interdisant la représentation explicite du sexe. Et il gagne.» Dans le documentaire «Moi, roi du X», Salvatore Brunetti, un de ses assistants, témoigne : «Il faut dire une chose importante : la différence entre Alberto Ferro et quantité d’autres producteurs plus ou moins connus de films pornos, c’est qu’il a été le premier et le seul à se présenter en personne, à visage découvert.» A visage découvert, donc, Lasse Braun, attaque. Il répond aux interviews. Il défend sa cause. Julien admire : «Il s’est battu pendant des années. Il déclenche notamment l’ire des hautes instances politiques et religieuses de son pays en accusant la répression sexuelle imposée par l’Eglise Catholique d’être à la base d’une grande partie des maux de la société.»

Mais il existe une autre raison de trouver sa production intéressante : elle est véritablement «amateur», ainsi que l’explique Julien Bodivit : «Quand il a commencé, les actrices et acteurs pornos n’existaient tout simplement pas. Le recrutement se faisait donc ainsi : Braun abordait les filles dans un bar ou dans la rue. Les réponses pouvaient être positives ou négatives, mais personne ne s’en offusquait. Je ne sais pas si ça résume la Scandinavie dans les années 1960, mais ça fait doucement rêver, non ? Et parmi ces actrices, certaines sont devenues des stars du X comme Sylvia Bourdon et Claudine Beccarie. Plus tard, avec son long métrage «Body Love», Braun fit même tourner Catherine Ringer (Rita Mitsouko), c’était peut-être son premier X.»

Dans le documentaire qui lui est consacré, de nombreuses femmes témoignent : lorsque celui qu’elles appellent tour à tour Alberto et Lasse déménage en 1973 aux Pays-Bas, il achète un bâtiment où les tournages se succèdent à plein régime, dans une ambiance de secte à partouze. Il emploie 25 personnes – employés, créatifs, photographes et cameramen – auxquels se rajoutent quantité de jeunes femmes attirées par l’illusion de la liberté. «Les Pays-Bas, c’étaient des effluves permanents de fumette. Lui-même apparaissait toujours tel un pacha, ou un gourou», raconte Gerd Wasmund. «Il s’entourait d’une foule de gens qui constituaient une sorte de communauté érotique», nuance l’actrice Toppy Owens. Salvatore Brunetti, lui, ne mâche pas ses mots : «C’était une cour des Miracles. On y trouvait de tout. Tous les déséquilibrés d’Europe s’y donnaient rendez-vous. On fumait de tous les côtés. Ça faisait plaisir à Alberto, […] toutes ces filles faciles.»

Dans cette ambiance de lupanar, Alberto-Lasse s’exhibe toujours dans la même tenue : il est habillé en noir et porte une chaîne autour du cou. Lavelle Robie se souvient : «Il me faisait penser à Satan avec sa barbe et ses longs cheveux noirs. Il était tout en noir et portait un médaillon en or autour du coup avec la lettre «A», pour «anarchiste», comme je l’ai appris plus tard.» Toppy Owens s’amuse : «C’était certes contradictoire de le voir porter ce médaillon en or. Mais je trouvais ça amusant qu’un pornographe plutôt fortuné se qualifie d’anarchiste.» Julien Bodivit conclut : «Il faut imaginer les années 1960, la libération sexuelle. Les jeunes se mettent à poil - on a tous les images de Woodstock en tête - le tabou du cul n’existe plus, pourtant tous les textes de loi relatifs aux bonnes mœurs, à l’outrage à la pudeur, et qui touchent donc à la liberté individuelle, sont des contraintes à l’épanouissement total. Pour Lasse Braun, c’était quelque chose d’intolérable. Et pour se faire remarquer, faire tomber un maximum de barrières, ses films avaient souvent un ton provocateur. Aujourd’hui il est clair que le porno ne revendique plus rien, évidemment, à de rares exceptions près… peut-être.»

.

LUFF (Lausanne Underground Film Festival) : du 19 au 23 octobre.

Séance spéciale «Lasse Braun, le roi du porno», 22 octobre. Dans le cadre d’’une célébration des 20 ans de la Fondation FINALE.

La Fondation FINALE, à Lausanne se compose d’une galerie d’art, accolée à une librairie (Humus) spécialisée dans trois domaines : l’érotisme (vente d’objets anciens, d’affiches, de revues, de livres, de fanzines, un choix extraordinaire), le Japon et l’humour.

CONCERNANT LA SOIREE LASSE BRAUN AU LUFF

«Braun sortait ses films dans des «séries». Les séries avaient des noms assez racoleurs : «Perversion», «Shocking», «Satisfaction»…. Sur cinq films que nous passons (les films durent moins de dix minutes), quatre séries sont représentées. J’avoue que j’ignore combien il en existe, mais le choix des films s’est tout simplement fait en fonction des titres disponibles à la Fondation FINALE. Quatre films proviennent de celle-ci. Le cinquième provient de la collection de Danny Plotnick, un réalisateur américain connu pour ses films punk en Super8 qui est invité au LUFF cette année. Dans les années 1990, Plotnick avait édité une VHS appelée «Mondo Edutainment» sur laquelle on trouvait plein de films courts bizarres, comme des films de prévention anti-drogue des années 1960, des performances musicales improbables et…. un Lasse Braun. C’était le premier que je voyais, et c’est certainement celui que je préfère parmi ceux que j’ai vus. Il s’appelle «Ceremony», tiré de la série «Perversion», il mélange sexe et horreur dans une scène de cérémonie macabre durant laquelle a lieu une crucifixion… c’est un truc totalement dingue avec un côté pop ! C’est tordu, mais plein d’humour. Les autres sont très biens aussi, surtout «Funny Priest», une amusante gaudriole paillarde mettant en scène un prêtre qui brise son vœu d’abstinence. Sinon, il n’y a pas vraiment d’anecdotes connues à propos des loops de Braun, contrairement à ses tournages de longs métrages.» (Julien Bodivit, programmateur du LUFF).

UNE CHOSE IMPORTANTE A SAVOIR

«Je ne sais pas si c’est important, mais profitons de l’occasion pour rétablir une vérité : Falcon Stuart. Selon de nombreuses sources – principalement des sites Internet relayant l’information mécaniquement (imdb y compris) – il s’agirait d’un pseudo de Braun. C’est faux. Stuart était une vraie personne. Il était l’assistant de Braun» (Julien Bodivit, programmateur du LUFF).

NOTES

(1) «Moi, roi du X, la vie tumultueuse de Lasse Braun», de Thorsten Schütte.

(2) «À l’époque, tout venait de Scandinavie. Alors, ce nom scandinave faisait plus d’effet», raconte Salvatore Brunetti, un de ses assistants, dans le documentaire de Thorsten Schütte.

Embrasser Fanny un rituel singulier

$
0
0
Embrasser Fanny un rituel singulier

Ceux qui «jouent aux boules» le savent : lorsqu’une partie de pétanque est perdue sur le score infamant de 13 à 0, les vaincus doivent embrasser le postérieur d’une dame nue appelée Fanny. Farce ou messe ?

Connaissez-vous les expressions «Faire Fanny», «Baiser Fanny», «Être Fanny» ou «Se prendre une Fanny» ? Il existe à Lausanne une Fondation dédiée aux arts érotiques qui possède la plus grande collection en Europe de Fanny, c’est-à-dire de paires de fesses, vouées à être pieusement honorées par les boulistes vaincus. Il s’agit d’images ou de sculptures grivoises représentant, de dos, une accorte servante… La légende de Fanny a des origines incertaines : vient-elle de Savoie, du Dauphiné ou de la région lyonnaise ?

Un objet de cul-te, pour faire pénitence ?

Objets voués à disparaître en même temps que la paillardise et l’esprit populaire du carnaval, les Fanny n’existent plus que dans les associations de bouliste ayant su préserver leur patrimoine : «les fesses sont représentées sous la forme de tableaux, poteries, bas-reliefs, sculptures… généralement cachés dans une petite armoire, dont les battants sont ouverts, au son d’une clochette, pour la célébration de la défaite.» Dans un ouvrage de 432 pages – Eros, indéfiniment– consacré aux trésors de sa collection, la fondation FINALE reproduit certaines Fanny, mais aussi des photos montrant le baiser du vaincu. Sur les images, tout le monde rit. Pourtant, il se dégage de la scène quelque chose d’étrangement pieux. «Préservée avec dévotion, telle une relique païenne, Fanny n’était ou n’est encore dévoilée que pour une retentissante et absolue défaite de 13 à 0. Alors, le malheureux vaincu, à genoux comme s’il allait à confesse, en présence de tous, s’approchait de l’autel pour baiser l’icône. Faire passer le postérieur de Fanny à la postérité fut aussi une façon radicale de braver la morale traditionnelle chrétienne qui jetait l’opprobre sur ses fesses dénudées.»

Une cérémonie de l’envers

Le texte consacré à Fanny n’établit aucun lien entre la forme des boules (à la fois testicules, seins, fesses…) et celle, dodue, des deux monticules. «Les jeux de boules remontent à l’Antiquité (Egypte, Grèce, Rome) et ont perduré jusqu’à maintenant, que ce soient les bocce en Italie, le boulingrin dans les pays du Commonwealth et surtout la pétanque, d’origine provençale», avance prudemment Michel Froidevaux, l’auteur du texte et le créateur de la fondation FINALE. Aucun historien ne semble s’être penché sur les origines de Fanny (1). On en est donc réduit à supputer que les jeux de quille (bowling) ou peut-être aussi de croquet – métaphores de l’union sexuelle – cachent sous des formes ludiques des valeurs hautement rituelles… dont la Fanny incarne la face obscure (2). «Une ambiguïté demeure autour de ce cérémonial, raconte Michel Froidevaux. D’un côté, le mâle découvre le fessier d’une femme pour le mettre à nu, mais, par ailleurs, l’homme doit s’incliner, se prosterner devant le mystère de la beauté féminine…»

Fesses d’une femme retroussée

Marcel Pagnol, dans Le Temps des amours (roman autobiographique posthume publié en 1977) narre un cérémonial de Fanny. La scène se déroule durant le Concours de Boule du Cercle annuel : une équipe connaît la défaite sans avoir pu marquer aucun point. Humiliation : «La Fanny ! La Fanny ! […] À ces mots, deux jeunes gens entrèrent en courant dans la salle du Cercle et en rapportèrent, au milieu de l’allégresse générale, un tableau d’un mètre carré, qu’ils tenaient chacun par un bout. Les trois perdants s’avancèrent, avec des rires confus, tandis que la foule applaudissait. Je m’étais glissé jusqu’au premier rang et je vis avec stupeur que ce tableau représentait un derrière ! Rien d’autre. Ni jambes, ni dos, ni mains. Rien qu’un gros derrière anonyme, un vrai derrière pour s’asseoir, que le peintre avait cru embellir d’un rose qui me parut artificiel. Des voix dans la foule crièrent : – À genoux ! Docilement, les trois vaincus s’agenouillèrent. Deux faisaient toujours semblant de rire aux éclats, mais le troisième, tout pâle, ne disait rien et baissait la tête. Alors les deux jeunes gens approchèrent le tableau du visage du chef de l’équipe et celui-ci, modestement, déposa un timide baiser sur ces fesses rebondies.»

La «vérité consolante» d’un derrière

Pour Michel Froidevaux il y a dans cette gaudriole, en apparence machiste, quelque chose de plus profond à quoi renvoie le mystère des lombaires. Il s’appuie pour le dire sur Sainte Colline de Gabriel Chevalier qui, en 1937, écrit ce curieux témoignage :«Et la confusion et les lointaines agitations du monde sont devenues choses tellement futiles, tellement secondaires, tellement inexplicables, qu’on ne peut rêver que de paix, d’une paix éternelle, qui aurait pour emblème les formes roses et rondes de la Fanny, cette joufflue à la Rubens, dont les modelés guillerets évoquent pour le sage une des rares et des plus consolantes vérités connues. (…) Dans les bonnes maisons, il existe une sorte de tabernacle en bois, qui enferme le large et gai derrière de la Fanny. Ce derrière porte, juste au bon endroit, la marque que lui ont imprimée les lèvres des joueurs déshonorés. On ouvre le tabernacle à l’heure du triomphe, afin que les perdants baisent ce beau portrait, dont l’opulence flamande et les tons de charcuterie fraîche dérident les plus vertueux, les plus maussades. (3)»

.

A LIRE : Eros, Indéfiniment (les 20 ans de FINALE), dirigé par Michel Froidevaux, avec la participation d’une vingtaine d’écrivains, auteurs, chercheurs, artistes. 1300 images.

A VISITER : La galerie d’art de la Fondation Internationale d’Arts et de Littératures Érotiques, créée en 1996 à Lausanne, est sise à l’étage de la Librairie HumuS. Librairie HumuS (Japon, humour, érotisme) : Rue des Terreaux 18bis, Lausanne 1003, Suisse.

A VOIR : Un lecteur (merci Christian G. !) mentionne l’existence à Lyon, d’un restaurant dédié à l’histoire des boules lyonnaises et surtout à la Fanny : la terrasse Saint Clair, richement décoré d’objets anciens et de Fanny d’antiquité. Un vrai Musée, gastronomie en plus.

NOTES :

(1) La Fanny et l’imagerie populaire, d’Henri Merou et G.P. Fouskoudis (Editions Terre et Mer, Grenoble, 1982) est le seul livre consacré à la figure charnue de La Fanny, à ses rites et à ses représentations.

(2) Le père d’Ubu et de la pataphysique, Alfred Jarry, évoque une scène de boulodrome, dans La Dragonne qu’il a commencé à écrire, en 1904, pendant son séjour chez Claude Terrasse, compositeur d’opérettes, au Grand-Lemps dans l’Isère :

«Le feu de la partie cessé, une clochette tinta comme pour une cérémonie liturgique qui devait fervemment attirer les fidèles, car du pourtour de la place et des rues environnantes, voire, plus incroyable miracle, hors des cabarets, les habitants s’empressèrent.– La Fanny ! La Fanny ! Au centre du boulodrome on venait d’apporter une sorte de petit autel, peinturlé de façon criarde et rehaussé de dorures, lequel ressemblait pas mal à un guignol ou mieux à ces armoires à deux battants qui s’ouvrent, aux tirs forains, quand l’arbalète a mis dans le noir. […] Et au moyen d’une ficelle un sonneur improvisé et hilare l’agitait infatigablement. C’était le glas burlesque de l’honneur de la quadrette battue des joueurs de boules, annonçant qu’elle devait, comme amende honorable, venir faire hommage à la Fanny.»

(3) Extrait de Sainte Colline de Gabriel Chevalier (1895-1969).

POST SCRIPTUM : La Fondation F.I.N.A.L.E. possède une collection importante d’objets liés à La Fanny : cartes postales, photographies, statuettes, pin’s, porte-clé... Ce sont autant de témoignages d’un art érotique populaire incluant notamment de très belles céramiques, produites par des manufactures comme la Maison Bost Frères, à Lyon, qui «produisaient en petite séries des fessiers rebondis et avenants destinés aux clubs de boulistes.»

La pédérastie est-elle sexuelle ?

$
0
0
La pédérastie est-elle sexuelle ?

Pendant près de 15 siècles, la pédérastie domine les cités de la Grèce antique. 15 siècles, c’est long. Dans un livre passionnant «Aux origines de la pédérastie», Nicolas Cartelet essaie de comprendre l’énigme.

Ne pas confondre pédérastie et pédophilie. Dès les premières lignes, Nicolas Cartelet met les choses au point : oui, pédérastie signifie littéralement «amour de l’enfant», mais non la pédérastie n’est pas un comportement sexuel. C’est une institution sociale, au même titre que le mariage. Elle structure les relations entre hommes : ceux qui sont éduqués dans des familles riches où domine «la stricte ségrégation» des sexes. «Au sein des classes sociales supérieures, un jeune homme grandissait et passait la puberté sans jamais avoir affaire à d’autres femmes que sa mère et ses sœurs. Il passait au contraire le plus clair de son temps avec d’autres hommes, dont certains le courtisaient ouvertement. Il est logique que la plupart des adolescents dans cette situation aient vécu leurs premiers émois amoureux dans la sphère homosexuelle.» Dans les classes populaires, où les femmes travaillent, l’hétérosexualité est la norme. La pédérastie c’est l’école des élites, une école à la dure au règlement impitoyable : l’avenir des citoyens se joue dans cette arène. C’est là qu’ils forgent leur réputation. Se conduiront-ils en homme ?

Comment devenir un homme, un vrai

Tout commence par le strict respect de la hiérarchie. Il existe deux sortes d’hommes : les jeunes et les adultes. Les jeunes ont un statut inférieur. Ils sont passifs. Comme des lapins ou des cailles, ils sont «chassés» par les mâles adultes qui essayent de les conquérir, subjuguer, ravir… La relation pédérastique est profondément «inégale», insiste Nicolas Cartelet.«Le plus jeune, pas encore ou tout juste citoyen (ce qui lui donnait entre 12 et 20 ans), était appelé l’éromène, «celui qui est aimé». Le plus âgé, homme et citoyen accompli, était l’éraste, «celui qui aime».» L’éromène est considéré comme un enfant, même s’il a 17 ans. L’éraste est considéré comme adulte, même s’il a 21 ans : lui, au moins, a accompli le rituel de l’éphébie. A ce titre, il a le droit de partir en chasse après un jeune. C’est d’ailleurs à cela qu’il est tenu pour montrer qu’il est devenu un homme.

L’éromène : trophée de chasse virile ?

L’éromène, comme une femelle, entretient son corps et se fait beau pour l’éraste qui ravira son cœur. La pin-up des cités grecques est un garçon bronzé, taillé pour la course, les cuisses musclées, les fesses larges et fermes, au cœur palpitant. «Traditionnellement, c’était au gymnase, centre culturel de la vie aristocratique grecque – car oui, la pédérastie était affaire de riches – que ces rencontres avaient lieu. Les garçons y étaient réunis, nus, huilés pour la lutte, autant dire dans les dispositions idéales pour être observés et jaugés par leurs prétendants.» Les érastes, en chasse, rôdent autour du gymnase et s’affrontent pour l’amour d’un garçon. Il y a des combats entre hommes. Le plus fort ou le plus séduisant remportera l’éromène comme un trophée de chasse (1). Mais attention : il faut que l’éromène soit en âge de donner son accord et son cœur. On ne passe pas aux actes sur un «mineur».

L’âge de la première relation

«Si la relation débutait bien par le «repérage» d’un jeune homme, parfois dès 13 ou 14 ans, il n’était pas question de la consommer aussi tôt. À l’acte en lui-même précédait une longue phase d’approche, de séduction, d’apprivoisement qui pouvait durer des années, jusqu’à ce que le garçon ait atteint son plein développement – car c’est bien la beauté de l’éphèbe bronzé, musclé, dans la fleur de l’âge que louent les textes et l’art figuratif grecs, et non pas celle du garçon encore plongé dans l’enfance. Il fallait également attendre, nous apprend Eschine dans l’un de ses discours, «l’âge de raison» du jeune homme, c’est-à-dire l’âge auquel il était en mesure de décider lui-même d’accorder ou non ses faveurs à un prétendant (inutile de préciser que les Grecs ne plaçaient pas l’âge de raison entre 6 et 8 ans, comme nous le faisons aujourd’hui, mais au moment du basculement de l’enfance vers l’âge adulte).»

A qui accorder ses faveurs ?

Pendant des mois, parfois des années l’éraste a suivi un jeune homme en lui accordant attention et présents. Vient le moment où l’éromène va s’en remettre à l’éraste du soin de l’éduquer. Officiellement, la pédérastie vise «l’échange pédagogique et la formation des jeunes citoyens», rappelle Nicolas Cartelet. Cette formation commence par le jeu du chat et de la souris qui consiste à jauger les prétendants : le garçon courtisé se doit d’abord de «refuser les avances des hommes, du moins dans un premier temps. Dans le Banquet de Platon, Pausanias conseille d’ailleurs aux adolescents de feindre l’indifférence pour éprouver la sincérité des prétendants et écarter les beaux parleurs.» Il ne retiendra parmi eux que celui qui sera son mentor, son vrai. Choix stratégique.

Prostitution interdite

Gare à la vénalité. «L’appât du gain était sévèrement condamné : le jeune garçon convaincu de prostitution (et l’on était prostitué dès lors que l’opinion publique vous jugeait vénal et non plus sincère dans vos engagements amoureux) perdait une partie de ses droits civiques, dont la liberté de s’exprimer devant l’assemblée des citoyens. Ajoutons qu’un interdit similaire pesait sur l’engagement de l’éraste : l’homme dont on soupçonnait qu’il préférât le corps de son partenaire à son esprit était «regardé de travers» (mais la législation ne prévoyait aucune sanction dans ce cas). Non, ni l’argent ni le sexe ne devaient motiver l’éromène, mais seulement la recherche de l’élévation morale. Il existait entre les amants un lien de type maître-élève, et de cet échange pédagogique devait «naître» un jeune citoyen à la vertu et aux qualités intellectuelles impeccables (2).»

Travaux d’approche

En remerciement de la vertu inculquée par son amant, le garçon «acceptait le coït», explique Nicolas Cartelet qui utilise à dessein cette expression bizarre : il importe de sauver la face dans la bonne société. L’éromène prétend qu’il se donne par devoir. Il doit d’ailleurs se montrer insensible aux caresses, comme s’il le faisait malgré lui. Sur les vases, en tout cas, la scène d’approche classique, qui précède le coït, montre un éromène au sexe mou. «On y voit l’éraste penché vers son éromène, dans la position dite «par le haut et par le bas» : d’une main l’homme attrape la nuque ou les cheveux du jeune homme, de l’autre il lui caresse le pénis ou les testicules. Cette pratique de la caresse des parties génitales semble avoir été habituelle, en tout cas Aristophane fait suivre le premier baiser d’un «petit pelotage intime», qui paraît extrêmement naturel dans sa comédie Les Oiseaux». Ce pelotage, cependant, ne doit pas faire bander l’éromène. Pas trop.

Le rituel de la première relation

«La tradition voulait que l’éraste sur le point de «conclure» offrît un présent à l’éromène en gage de son amour. Cette scène de don pédérastique est surreprésentée sur la céramique, qui nous présente toute la gamme de cadeaux envisageables. À l’époque, les goûts allaient aux petits animaux : on offrait tantôt un lapin, tantôt un coq, un lièvre, un petit chien…». Ce don scelle l’union qui, faut-il le rappeler, ne doit avoir aucun autre but, officiel, que la formation d’un jeune citoyen. Voilà pourquoi sur les vases l’éromène se tient toujours droit comme un i, dans une attitude statique et amorphe, qui regarde droit devant lui comme s’il ne ressentait aucun plaisir. Il n’a pas le droit de prendre d’initiative pendant l’acte. Il lui est interdit (officiellement) de pénétrer l’éraste ou de le sucer, ni même d’avoir aucun geste lascif.

Sauver la face, à défaut de sauver la fesse

Dans la Grèce antique, un citoyen est par définition actif. Comment fabriquer un citoyen à qui l’on fait subir des pénétrations ? «Nous touchons à la profonde ambiguïté de la relation pédérastique, explique Nicolas Cartelet : l’on interdisait à l’éromène de ressentir le plaisir sexuel, car la société grecque considérait la sodomie comme une marque de domination insupportable pour le citoyen pénétré.» Gare au garçon qui se laissait aller à la débauche de la couche ! «Celui-là était soudain suspect aux yeux de la communauté, il devenait «pervers», «prostitué»… On imagine à quel point il pouvait être difficile aux jeunes hommes, souvent sincèrement épris de leurs prétendants, de «tenir leur rôle» en toute occasion sous l’implacable regard de leurs concitoyens.» Feindre la frigidité. C’était, semble-t-il, une des conditions imposée aux garçons de la bonne société.

A LIRE : Aux origines de la pédérastie. Petites et grandes histoires homosexuelles de l’antiquité grecque, de Nicolas Cartelet, éditions La Musardine, 2016.

NOTES

(1) «Tout comme les loups aiment l’agneau, les érastes aiment l’éromène» tranche Platon à ce sujet !

(2) On sait par Plutarque que l’éraste spartiate dont l’éromène faisait preuve de couardise au combat était puni par la communauté : il payait pour n’avoir pas été un bon professeur.

«Être pédé comme un Grec» et notre fucking honte

$
0
0
«Être pédé comme un Grec» et notre fucking honte

L’homosexualité des Grecs anciens est proverbiale. Leurs mythes racontent l’amour des dieux pour de beaux et jeunes garçons. Mais pourquoi ces amours sont-elles si violentes ? Kidnapping, viol, suicide…

Historien de formation, helléniste, spécialiste de l’Antiquité grecque qu’il a étudiée jusqu’en doctorat, Nicolas Cartelet raconte dans son ouvrage Aux origines de la pédérastie ces innombrables histoires d’amour entre hommes qui font partie du corpus mythologique ancien. Innombrables mais tellement brutales, s’étonne-t-il. Pourquoi ? Et que peut-on en déduire de notre propre société si friande d’histoires de femmes séduites par de richissimes sadiques ?

Pélops et Poséidon : toute première fois avec un dieu

La toute première des légendes grecques met en scène le tendre Pélops aux prises avec Poséidon, dieu des mers et des océans. Pélops est beau. Poséidon s’en éprend. La suite est cruelle : «De force il le prit et l’emmena sur l’Olympe». La première histoire d’amour mâle est donc celle d’un rapt aggravé. Elle est rapidement suivie d’un viol (paragraphe suivant). Dans le palais de Zeus où Poséidon fait de lui son jouet sexuel en même temps que son trophée de guerre, Pélops devient l’échanson divin, «et alors inlassable Pélops servit à boire aux Immortels, ébahis devant son incomparable beauté. Mais ce travail, pourtant éternel de vocation, s’arrêta bientôt : l’on prit le jeune serviteur à dérober le nectar et l’ambroisie, boisson et nourriture des dieux. Pour punition Pélops fut renvoyé sur Terre, où il reprit le cours de sa vie mortelle». Sur Terre, Pélops reprend le cours d’une «vie normale» : à cette époque, les légendes disent que l’homosexualité n’existait pas encore parmi les humains. Pélops prend donc une femme, qui lui donne un fils : Chrysippe. Le fils est aussi beau que son père, sinon plus. Les années passent et Chrysippe devient un magnifique adolescent. Tout est prêt pour que le drame advienne.

Laïos et Chrysippe : viol inaugural chez les humains

C’est le père d’Œdipe en personne, Laïos, qui est considéré – dans de nombreuses légendes antiques – comme l’inventeur de l’homosexualité parmi les humains. Il inaugure la première relation sexuelle entre mâles… relation forcée qui finit dans le sang. «À cette époque où l’homosexualité n’existait pas encore, Laïos, futur roi de Thèbes et père d’Œdipe, fut chassé de sa cité et dut trouver refuge, curieux hasard, chez le roi Pélops, relâché depuis une vingtaine d’années par les dieux. Le brave Pélops, dont le voyage forcé sur l’Olympe n’avait rien enlevé de son innocence, confia son fils Chrysippe aux bons soins de son hôte.» Il n’aurait pas dû. C’est ici que le viol arrive, rapidement suivi d’un suicide. «Apprends-lui à conduire un char, mon cher ami», demande Pélops à Laïos. Laïos accepte, «mais dès qu’il eut aperçu le jeune prince, adolescent aux belles boucles et au visage d’or, […] il ressentit l’Eros incontrôlable. N’écoutant que son désir, se rendant par-là coupable d’une terrible hubris, il emporta le garçon sur son char et abusa de lui. La pédérastie était née. Chrysippe, honteux de voir son honneur sali à tout jamais, se pendit de dépit. Seuls les dieux peuvent enlever et abuser à leur convenance ; l’homme brutal ne répand que la mort autour de lui.»

Ganymède et Zeus : une (sale) histoire de famille ?

La victime suivante s’appelle Ganymède. Il est fils de bonne famille et pour cause : son grand-père est Zeus en personne. «Dardanos, roi mythique qui donna son nom au nord-ouest de l’actuelle Turquie, était issu de Zeus. Son fils, Trôs – fondateur de Troie –, eut avec Callirhoé, fille du dieu-fleuve Scamandre, trois enfants au nombre desquels Ganymède, le plus beau de tous les Grecs.» Le cadre est posé pour une sinistre affaire d’inceste. Un jour que Ganymède chasse, au cœur des forêts sur l’Ida, Zeus jette un œil vers la terre et – détaillant la silhouette du chasseur – en tombe éperdument amoureux. «Comment Zeus s’y prend-il pour mettre à exécution son jugement ? Envoie-t-il Hermès, messager des dieux, se saisir du jeune homme ? À moins que ce ne soient les Harpyes, ces oiseaux de malheurs, coutumières des sombres tâches… Ou encore Zeus lui-même, changé en aigle, se charge-t-il en personne de ce cruel office ?» Les légendes divergent, mais témoignent toutes d’un fait similaire : Zeus ne prend pas le temps de séduire. Il prend, il s’empare, il s’impose. «Au beau milieu de sa chasse, alors qu’il a le daim en mire, qu’il est prêt à décocher sa flèche, Ganymède voit fondre sur lui l’expression de la volonté divine». Encore un kidnapping.

Pourquoi par la force ?

Nicolas Cartelet ici s’interroge : «Pourquoi la brutalité, là où le charme d’un dieu aurait probablement suffi ? […] Zeus n’est-il pas le maître de la séduction, le dieu change-forme aux mille tours ? Lui qui s’était métamorphosé en cygne pour séduire Léda, en serpent pour approcher Perséphone, en taureau pour s’unir à Europe, n’avait-il que l’aigle prédateur et impitoyable pour emporter les faveurs du jeune Troyen ? Assurément non, et il faut chercher plus loin les causes de sa dureté.» S’inspirant de la définition du mythe par Jean-Pierre Vernant (1), Nicolas Cartelet fait des légendes grecques le miroir idéologique d’une culture à la fois pédérastique et profondément homophobe (est-ce possible !?). Oui. Il s’agit de prendre les mythes au sérieux. On aurait tort de penser que les contes et les légendes dites «de grand-mère» sont juste de distrayantes histoires. Elles expriment un Ordre. L’ordre du monde, chez les Grecs anciens, veut que les jeunes et beaux garçons soient enlevés brutalement par les dieux, parce qu’il y a un tabou puissant chez les Grecs concernant la sodomie dite «passive».

Un rite initiatique pour surmonter le tabou de l’enculage

Rappelant que «toute la culture grecque est affaire de rites et de symboles» et que «le rapt, simulé ou pas, y tient une place centrale», Nicolas Cartelet explique : «En Crète, où plus qu’ailleurs les Grecs se réclamaient des lois divines, c’est-à-dire des lois de Zeus, la relation homosexuelle était initiée par l’enlèvement de l’éromène [l’élève], supposément inspirée de la légende de Ganymède […]. L’éraste [le mentor] épris d’un jeune homme en informait la famille de l’intéressé, la prévenant par-là du rapt qui s’annonçait. Lorsqu’il se présentait au logis de l’aimé, deux attitudes pouvaient lui être opposées : soit la porte lui restait clairement fermée, et alors il s’en retournait piteusement chez lui, soit l’on défendait mollement le garçon de la maison, dans un simulacre d’indignation ; l’enlèvement avait alors lieu et voyait les amants disparaître dans la nature, en dehors de la ville, pour une période de deux mois (2). [Après quoi], l’éraste et son éromène crétois rentraient chez eux, et alors l’amant offrait solennellement et en public trois présents au garçon : une coupe en or, qui symbolisait son droit à prendre part aux repas des citoyens ; un bœuf, qui symbolisait son droit à offrir des sacrifices aux dieux ; une tunique de soldat, qui symbolisait son droit à prendre part aux combats. En somme, le jeune homme était devenu citoyen, et ce grâce à l’éraste : l’enlèvement de Ganymède par Zeus symbolisait le rite initiatique du passage à l’âge adulte

Grèce antique : une culture de l’homosexualité honteuse ?

Cette mise en scène présentait deux avantages : elle inscrivait la relation entre hommes dans un cadre mythologique (prestige) et elle permettait à l’élève de sauver la face (bonne excuse). «Soyons honnêtes, le rapt et la brutalité imposés au garçon lui évitaient d’avoir à affronter les regards accusateurs de ses proches ; il n’avait pas cédé à la tentation, non : on l’avait simplement forcé !». Dans la Grèce antique, bien que les relations pédérastiques soient institutionnelles, elles entrent en conflit avec le stigmate qui frappe l’homme «féminisé». Un homme, un vrai, un dur, ne se donne pas comme une catin lascive. Il y va de l’honneur. Ce que les mythes traduisent c’est donc la contradiction inscrite au cœur même de cette culture paradoxale qui force les jeunes mâles à se laisser sexuellement initier par leurs aînés, tout en protégeant leurs «arrières». Il est honteux d’être mis en posture «passive», c’est-à-dire enculé. L’humiliation peut conduire au suicide, ainsi qu’en témoigne le mythe de Laïos et Chrysippe. Voilà pourquoi les jeunes mâles – ceux du moins qui sont destinés à devenir des citoyens respectables– doivent absolument mimer Pélops et Ganymède. Pour succomber à l’amour d’un homme, il faut jouer les vierges kidnappées.

Et de nos jours ? Toutes les femmes sont Ganymède

On pourrait trouver cela risible, mais ce petit jeu du «Prends-moi, si t’es un homme» assorti de cris effarouchés, ça ne vous rappelle rien ? Nous vivons, nous si «modernes» et soi-disant «libérés», dans la même schizophrénie : les femmes font semblant de ne pas avoir envie (on leur a appris à se refuser…) de peur de passer pour des salopes. Elles sont comme Ganymède. Plus précisément : Ganymède a changé de nom, il s’appelle maintenant Pamela. Pamela, c’est le titre du premier roman d’amour bourgeois (Samuel Richardson, 1740) et le nom de la première «demoiselle en détresse» qui sert maintenant de modèle mythologique aux femmes dans notre société… Notre société de la sexualité hétéro-honteuse. Société où les dieux ont été remplacés par des millionnaires.

.

A LIRE : Aux origines de la pédérastie. Petites et grandes histoires homosexuelles de l’antiquité grecque, de Nicolas Cartelet, éditions La Musardine, 2016.

Pour en savoir plus sur les mythes contemporains de notre société schizophrénique : MOISSEEFF, Marika. La procréation dans les mythes contemporains : une histoire de science-fiction. Texto!, mars 2006.

NOTES :

(1) Jean-Pierre Vernant définit le mythe comme un outil «pour exprimer et transmettre, dans une forme narrative, différente des énoncés abstraits du philosophe ou du savant, un savoir concernant la réalité, une vision du monde, ce que G. Dumézil appelle une idéologie» (Mythe et société en Grèce ancienne(Mythe et société en Grèce ancienne, Paris, François Maspero, 1982, 245-246).

(2) «Cette période d’initiation en campagne n’est pas sans rappeler les deux années que passait l’éphèbe athénien du côté des frontières, au terme desquelles il devenait pleinement citoyen – ou de la kryptie spartiate, pendant laquelle les jeunes guerriers rôdaient dans la nature avant de revenir en ville, agrégés au nombre des soldats de plein droit.» (Source : : Aux origines de la pédérastie. Petites et grandes histoires homosexuelles de l’antiquité grecque, de Nicolas Cartelet, éditions La Musardine)

A l'origine : du jus de fruit

$
0
0
A l'origine : du jus de fruit

Comment définir l'orgasme ? L'étymologie renvoie à l'image d'un fruit gonflé de suc. Les liquides cherchent à sortir. Au XXe siècle, étrangement, plus personne ne s'entend sur la définition de ce mot débordant.

Le mot orgasme vient du grec orgaô («enfler», «mûrir») qui s’écrit ὀργάω et que Liddel-Scott définit ainsi : «Etre sur le point de porter [un fruit], être mûr pour quelque chose […] s’enfler de désir, être en chaleur, être sexuellement excitéBailly : «Avoir l’humeur ou le sang en mouvement, bouillonner de désirs ou d’ardeurs, […], être en rut, en chaleur, […], être gonflé de sève, être fécond, fertile, […], être possédé d’une passion violente.» Chantraine : «Etre plein de suc ou «de sève» dit d’une terre fertile, de plantes qui bourgeonnent, de fruits qui mûrissent, etc., en parlant d’hommes ou d’animaux «être rempli d’ardeur» notamment de désir amoureux

Au XVIe siècle, l’orgasme est synonyme d’«agitation intérieure» ou d’effervescence : Un écrivain, Lacurne, cité par le Littré, écrit dans un traité sur la Maladie d’amour : «Le génie de la nature commande aux pères de garder soigneusement leurs filles de la conversation des courtisans, pour autant qu’il se fait un merveilleux orgasme par tout le corps en cet âge.»

Au XIXe siècle, le terme devient médical et désigne l’étape finale de l’union sexuelle (réussie). Mais a définition de l’orgasme reste «incertaine», comme le souligne Wikipedia qui mentionne : «La revue scientifique Clinical Psychology Review recense ainsi 26 acceptions différentes, dont aucune n’est consensuelle.» Les voici. Laquelle préférez-vous ?

Ellis (1938) : Relâchement de forces nerveuses (détumescence).

Alfred Kinsey (1948, 1953) : Décharge explosive de la tension neuro-musculaire au sommet de la réponse sexuelle.

Terman (1951) : Sommet de sensation intense suivi par un sentiment de paix et de soulagement.

Campbell et Petersen : (1953) : Réaction neuro-hormonale des organes musculaires lisses et contraction des muscles éjaculateurs homologues.

Wallin (1960), Wallin et Clark (1963) : Sommet de sensation intense suivi par un sentiment de soulagement et de détente.

Masters et Johnson (1966) : Libération de la vasoconstriction et myotonie de la stimulation sexuelle.

Glenn et Kaplan (1968) : Contractions spasmodiques déclenchées au plus haut niveau de tension.

Sherfey (1972) : Décharge réflexe de vasocongestion musculaire génito-pelvique.

Singer (1973) : Libération de la tension à son point culminant.

Reich (1973) : Capacité de se laisser subjuguer par un flot d’énergie biologique ; capacité à décharger cette putain d’excitation sexuelle [sic] par le moyen de convulsions du corps involontaires et agréables.

Kaplan (1974) : Sensation réflexe – Réponse motrice incluant des contractions génito-pelviques.

Kline-Graber et Graber (1975) : Sensation réflexe – Réponse motrice à la stimulation sexuelle.

Fox (1976) : Changements au niveau de la pression sanguine, de la respiration, du rythme cardiaque, de la tension musculaire, accompagnés de contractions génitopelviques et de vocalisation.

Hite (1976, 1981) : Sensation intense, soudaine, précédant immédiatement des contractions génito-pelviques.

Bentler et Peeler (1979) : Expérience complexe constituée d’éléments émotionnels/mentaux/physique.

Mould (1980) : Contractions cloniques réflexes des groupes de muscles pelviques-abdominaux.

Davidson et Davidson (1980) : Etat altéré de la conscience.

Reubens (1982) : Action réflexe involontaire accompagnée de contractions.

Newman et al. (1982) : expression sensorielle de l’émission-éjaculation.

Raboch et Barta (1983) : Sensation subjective d’avoir atteint un sommet distinctement perceptible au cours d’une relation sexuelle.

Alzate et London (1984) : Perception subjective d’un moment d’intensité maximum dans un ensemble de sensations incroyablement agréables provoquées par la stimulation sexuelle.

Alzate (1985a) : Phénomène psychique ; sensation (décharge neuronale cérébrale) provoquée par l’effet accumulé sur certaines parties du cerveau de stimuli émis depuis les zones périphériques érogènes.

Tuckwell (1989) : Evénement agréable associé à l’éjaculation.

Bancroft (1989) : Expérience complexe de changements observés au niveau génital, au niveau du tonus des muscles du squelette et des mouvements semi-involontaires, au niveau de la respiration et du rythme cardiovasculaire, accompagné d’expérience sensorielle somatique et d’un état de conscience altéré.

Schiavi et Segraves (1995) : Acmé du plaisir sexuel accompagné de contractions rythmiques des organes périnéaux et reproducteurs et cardiovasculaires.

Illustration: La Petite Mort, photos de Santillo, textes de Dian Hanson, Taschen, 29,99 euros.


Les nuits avec mon ennemi

$
0
0
Les nuits avec mon ennemi

«Depuis le XVIIe siècle, le secret diplomatique a souvent été secret d'alcôves.» Les enjeux sont parfois de taille comme en témoigne l'histoire de Marie-Louise d'Orléans, empoisonnée (?) parce que son royal époux, Charles II était non seulement dégénéré mais stérile.

Dans un ouvrage intitulé Une Histoire érotique de la diplomatie, publié chez Payot, l’historien Nicolas Mietton soulève un bout du drap pudique qui recouvre la «Grande histoire» faite, comme chacun sait, de petites : jalousie, viol et coucheries… Son livre est-il fiable ? N’étant pas versée en histoire, je laisse le lecteur libre d’en juger au travers d’un extrait choisi au hasard dans son ouvrage : celui qui concerne l’empoisonnement de Mademoiselle.

Le roi Louis XIV a un frère, appelé Monsieur. Monsieur a deux filles, «deux pions sur l’échiquier de leur royal oncle, qui les maria sans leur demander leur avis. La cadette, Anne-Marie, fut donnée au duc de Savoie, Victor-Amédée II, un nabot d’une laideur repoussante. […] Quant à l’aînée, Marie-Louise, elle connut un sort pire encore. Elle avait espéré épouser son cousin le Grand Dauphin, parce qu’ainsi elle serait restée à Versailles. Mais Louis XIV la destinait au roi d’Espagne, Charles II […]. Il convoqua sa nièce et lui dit que, puisqu’il n’avait pas eu de fille, c’était à elle que revenait l’«honneur» de régner à Madrid. […] Désespérée et en pleurs, Marie-Louise se jeta aux pieds de Louis XIV, qui se rendait à la chapelle.» Le roi ne se laissa guère émouvoir.

«Apprenez que les reines d’Espagne n’ont point de jambes»

Pourquoi Marie-Louise d’Orléans pleurait-elle si fort ? Parce que la cour d’Espagne était réputée pour sa rigueur impitoyable. Il faut lire à ce sujet La société française du XVIe siècle au XXe siècle, de Victor Du Bled (1848-1927), pour réaliser l’asphyxie que représente cette Cour espagnole : «le despotisme de l’étiquette étouffe toute initiative aimable, règle minute par minute la vie du prince dicte ses paroles, mesure ses pas, ses démarches […]. Lorsque Marguerite d’Autriche vint pour épouser Philippe III, elle s’arrêta dans une ville renommée pour ses fabriques de bas de soie. Les notables lui ayant apporté en présent de superbes échantillons, le majordome-major leur jeta la corbeille au nez avec ces mots : «Apprenez que les reines d’Espagne n’ont point de jambes.» Il voulait dire : elles sont d’un rang à ne jamais toucher terre. Mais voilà que la jeune princesse prend au mot l’apostrophe, s’écrie en pleurant qu’elle veut retourner à Vienne, que si elle avait connu le dessein que l’on avait de lui couper les jambes, elle ne se fût jamais mise en route. Et l’on eut quelque peine à la rassurer.

L’étiquette de Cour peut tuer

«Le chef-d’œuvre produit par ce rituel inexorable fut un régicide. Bassompierre raconte que Philippe III travaillait à côté d’un brasero dont la chaleur l’incommodait fort ; le marquis de Pobar, en ayant fait la remarque, avertit le duc d’Albe, gentilhomme de la Chambre; celui-ci répond que l’enlèvement du brasero ne ressort pas de sa charge, qu’il faut s’adresser au duc d’Uzeda, sommelier du corps. Le marquis de Pobar envoie chercher le duc d’Uzeda qui était absent ; il prie de nouveau le duc d’Albe d’ôter le brasero ; celui-ci persiste, de telle sorte que le roi, presque asphyxié, eut, dans la nuit même, une grosse fièvre, avec un érysipèle, et mourut bientôt après. On aime à croire que le duc d’Albe, le duc d’Uzeda, le marquis de Pobar lui-même, furent poursuivis et condamnés pour ce désastreux fétichisme d’étiquette.»

Charles II, un débile baveur

La vie de cour en Espagne est donc à mourir. Par ailleurs, Mademoiselle (ainsi qu’on nomme alors Marie-Louise d’Orléans) sait probablement à quoi ressemble son futur mari : l’homme qu’on lui destine est un taré congénital à la lippe molle. «Charles est né rachitique, maladif et débile. Il est d’une complexion si faible qu’il ne peut parler avant l’âge de quatre ans et marcher avant l’âge de huit ans.» (Wikipedia). Il ne sait ni lire, ni écrire. Ses paroles sont souvent incompréhensibles. Il est atteint de prognathisme et du syndrome de Klinefelter (dépression, stérilité), sa langue est disproportionnée (il bave presque en permanence). Il serait impuissant. Il n’a aucun poil sur le corps, il n’a pas fait sa puberté et, pour comble, se montre incapable de se concentrer sur quoi que ce soit. Il semblerait que les Habsburg se soient mélangés de façon un peu répétitive avec la lignée cousine d’Espagne, jusqu’à ce que naisse ce débile mental nommé Don Carlos (Charles II), fils aîné de Philippe IV d’Espagne et de Marie-Anne d’Autriche. Jugez-en (photos ci-jointes prises au Kunsthistoriches Museum de Vienne). Ce fruit dégénéré d’unions consanguines n’avait certes rien pour séduire… Mais Mademoiselle n’a pas le choix.

Mariée de force à un royal taré

Nicolas Mietton continue son récit : «La mort dans l’âme, elle se soumit et le mariage par procuration eut lieu à Fontainebleau le 31 août 1679. Elle partit pour sa nouvelle patrie et épousa officiellement Charles II à Burgos. C’était la Belle et la Bête : entre l’exquise brunette au nez aquilin et son mari, il n’y avait rien de commun. A dix-neuf ans, le roi d’Espagne n’avait de beau que ses cheveux blonds, qui lui venaient de sa mère, la redoutable Marie-Anne d’Autriche, à la fois nièce et seconde épouse de Philippe IV. Un pareil mariage, venant après des siècles d’unions consanguines, avait produit un dégénéré. Laid, bavant, méchant, Charles II détestait tout ce qui venait de France, mais il s’éprit étonnamment de sa nouvelle femme.» Ici, l’historien lâche : «Alors commença le calvaire de Marie-Louise d’Orléans.»

L’affaire des perroquets étranglés

Le calvaire commence par l’isolement forcé. «Séparée de sa suite française, comme le voulait l’usage, elle souffrit des brimades d’une cour étouffante, et particulièrement de sa camarera mayor, la sinistre duchesse d’Alburquerque, qui étrangla un jour sa perruche sous prétexte que ses bruits l’indisposaient.» Saint Simon, dans ses Mémoires, confirme que «la camarera mayor… est toujours une grande d’Espagne, veuve, ordinairement vieille et presque toujours de la première distinction… Elle chez [la reine] à toute heure… Elle ordonne des habits et des dépenses personnelles de la reine, qu’elle ne doit jamais quitter mais la suivre partout où elle va.» (Saint Simon, Mémoires LVIII Pléiade, p. 867). Lorsqu’on se penche cependant sur cette histoire de perruche… Nicolas Mietton a-t-il commis une erreur ? Victor Du Bled raconte dans son ouvrage que la «geôlière en titre» de Marie-Louise d’Orléans est«la duchesse de Terranova, Camarera Mayor.» Ce n’est pas la duchesse d’Albuquerque, mais celle de Terranova qui tue les oiseaux de Mademoiselle. En voici le récit (1) fait par Victor Du Bled :

L’ignoble Duchesse de Terranova

«La reine […] avait apporté de France deux perroquets que le roi avait pris à tic parce qu’ils ne prononçaient que des mots français : la Camarera, pour faire sa cour, tordit le cou à ces Vert-Vert.» Geste terrible. Mme d’Aulnoy (témoin d’époque) confirme que cette duchesse de Terranova tient véritablement du démon (1) : «Elle affecte quelque bonté, mais si ce que l’on dit est vrai, elle n’en a point dans le cœur» (Relation du voyage d’Espagne, p. 132). «C’est une femme maigre et pâle, elle a le visage long et ridé, les yeux petits et rudes, et elle est une fort dangereuse ennemie.» (Mémoire de la Cour d’Espagne, p. 83). Marie-Louise d’Orléans se trouve comme en prison. La mort de ses perruches la révolte au point qu’elle oublie ce jour-là toutes les règles. Sa vengeance est immédiate… Victor du Bled raconte ainsi l’affaire des soufflets. Nicolas Mietton n’en parle pas.

L’affaire des deux gifles

«Cependant la reine réussit à se débarrasser de la duègne détestée […]. Elle commença par lui administrer brusquement deux superbes soufflets, et, lorsque cette douairière vint, à la tête de quatre cents dames, demander justice d’un tel affront, la reine arrêta tous les reproches d’un mot : «C’est une envie de femme grosse.» Le mot eut un effet magique, car les envies de ce genre avaient force de loi en Espagne. Le roi tout joyeux approuva les deux soufflets, déclarant que, si deux ne suffisaient point, il consentait que la reine en donnât encore deux douzaines à la duchesse.» Sur ce point, Nicolas Mietton reste silencieux car il est impossible que la reine ait pu tomber enceinte. C’est du moins ce qu’il explique dans son ouvrage : Charles II était stérile. Comment comprendre que Marie-Louise soit devenue grosse ? Aurait-elle menti ?

Fuera, fuera perros frances !

Oui. S’il faut en croire Madame d’Aulnoy qui raconte toute l’affaire en détail, voici comment les choses se passèrent : «Un jour que la Reine était allée à la promenade et que la Duchesse, pour éviter de la suivre et faire son coup, avait feint une légère indisposition, elle demanda les petits perroquets à celle qui en avait le soin et sans autre façon, dès qu’elle les eut, leur tordit le col […]. Ce fut une grande affliction parmi les Françaises qui servaient la Reine : dès que [celle-ci] fut rentrée dans son appartement, elle commanda qu’on lui apportât les perroquets et les chiens. Comme elle faisait toujours pendant que le Roi n’y était pas, car il ne pouvait souffrir tous ces petits animaux, parce qu’ils venaient de France et lorsqu’il les voyait, il disait Fuera, fuera, perros frances, ce qui veut dire Dehors, dehors chiens français.

Deux soufflets à tour de bras

«Toutes les femmes de la Reine, au lieu d’aller quérir ce qu’elle demandait, s’entre-regardaient sans lui oser rien dire : mais enfin, après un long silence, une d’entre elles lui rendit compte de l’exécution que la Camarera en avait fait. Elle en eut beaucoup de chagrin, quoi qu’elle ne le témoignât point. Mais lorsque la Duchesse entra dans sa chambre et que, selon la coutume, elle vint pour lui baiser la main, la Reine sans lui dire une seule parole, lui jeta deux soufflets à tour de bras. Il n’a jamais été une surprise pareille ni une rage semblable à celle dont cette Duchesse fut agitée. Car elle était la plus glorieuse femme du monde et qui le portait le plus haut. Elle avait, comme je l’ai déjà marqué, un Royaume dans le Mexique et se voir souffleter par une jeune Reine qu’elle avait traitée jusques alors comme une enfant, cela ne lui parut pas supportable, Elle se retira, en disant toutes les impertinences que son désespoir lui suggéra. Elle assembla ses parents, ses amis et plus de 400 Dames.»

«Madame, il fait grand vent, j’ai tué six loups.»

«Avec ce nombreux cortège, elle fut dans l’appartement du roi lui demander justice de l’outrage […] Elle faisait tant de bruit et répandait tant de larmes qu’il voulut bien venir en parler à la Reine et comme il lui représentait le rang que la Camarera Mayor tenait, la Reine l’interrompit et lui fit sans s’embarrasser : Senor, esto es un antojo. Ce peu de mots changea la face des choses. Le Roi l’embrassa avec mille témoignages de joie […] C’est qu’antojo signifie en espagnol une Envie de femme grosse et comme on est convaincu par une longue expérience que si les femmes grosses, en ce pays-là, n’ont pas ce qu’elles souhaitent et ne font pas ce qu’elles veulent, elles accouchent avant terme d’un enfant mort. Le Roi qui crût que la Reine était grosse, se sentit ravi». Pour le remercier de son soutien, la Reine lui envoya une bague de diamant. A quoi le Roi répondit par un chapelet de bois précieux, dans une cassette d’or à l’intérieur de laquelle se trouvait un billet qui contenait ces mots : «Madame, il fait grand vent, j’ai tué six loups.» Il était très porté sur la chasse. Au point, semble-t-il, que la prétendue grossesse de la Reine lui soit sortie de l’esprit…

«Si tu fais un enfant, fais-le pour l’Espagne»

Marie-Louise d’Orléans ne serait donc jamais parvenu à tomber enceinte. Nicolas Mietton raconte que son royal époux s’échine pourtant «à la déflorer. On le voyait pénétrer dans ses appartements le soir en robe de chambre et bonnet de nuit, une lanterne à la main, une épée dans l’autre et une bouteille d’eau sous le bras. Mais rien n’y faisait et elle demeurait stérile. L’ambassadeur de France, le comte de Rebenac, soudoya des valets pour examiner les caleçons de Charles II. «Débilité naturelle du roi», conclut-il. L’enjeu était pourtant de taille : si Marie-Louise était stérile, c’était, selon la faction autrichienne à laquelle appartenait la reine mère, la faute du gouvernement français. Les ennemis de la jeune reine firent courir ce bruit, suscitant machiavéliquement l’indignation du peuple de Madrid, qui lui cria un jour : «Si pares, pares para España ! Si no pares, a Paris ! – Si tu fais un enfant, fais-le pour l’Espagne ! Si tu n’en as pas, retourne à Paris !»

Poudre de martyr sur corps nus

Le danger se rapprochait de la reine, raconte l’historien. «Un moine proposa à Charles II de pratiquer un exorcisme qui lui permettrait d’avoir un héritier. Il frotterait des reliques sur les corps nus des époux couchés. Bien entendu, si un charme avait été jeté sur Marie-Louise avant sa venue en Espagne, l’exorcisme ne pourrait agir. Conclusion logique de la coterie autrichienne : son mariage serait alors nul et non avenu, et il faudrait la répudier. Informé de cette manœuvre abjecte, l’ambassadeur de France la conjura de ne pas se prêter à cette mascarade. Elle résista donc, déchaînant le courroux de son mari, mais elle parvint à le convaincre de son innocence au terme d’une scène dramatique

Mademoiselle empoisonnée ?

«Se sentant menacée, elle écrivit à Versailles pour qu’on lui envoie un contrepoison. Trop tard. Le 12 février 1689, au terme d’une brève agonie, elle rendit l’âme en demandant de n’accuser personne de sa mort. Officiellement, elle avait été victime du choléra. Curieuse épidémie de choléra qui n’avait frappé qu’elle ! Annonçant cette disparition à Louis XIV, l’ambassadeur de France parla d’un poison répandu soit dans des huîtres, soit dans une tourte aux anguilles ou un verre de lait à la glace.» Ses soupçons se portaient sur toutes sortes de personnes. «On sait qu’elle passa pour avoir été empoisonnée […], raconte aussi Victor du Bled. Ce qui est certain, c’est qu’à cette époque les morts imprévues ne semblent jamais naturelles ; qu’à la Cour comme dans le peuple, on chuchote aussitôt le mot crime, que médecins et tribunaux sont trop souvent empêchés d’aller jusqu’au bout de leur devoir […].

«Ces morts mystérieuses»

«Ces Cours, chauffées à la température des sérails, produisaient des crimes orientaux. Mais, ce qui caractérise les coups de foudre qui les décimaient, c’est le peu de bruit qu’ils font en tombant, le fatalisme avec lequel les rois les accueillent, lorsqu’ils éclatent sur leurs maisons mêmes, le grand silence qui bientôt se forme et s’épaissit autour d’eux. Il semble qu’on ait peur de trouver la figure des dieux de la terre en écartant la nuée qui les couvre. On passe, on détourne la tête, on lève les bras au ciel, à peine ose-t-on échanger un nom à voix basse. C’est ainsi que notre ambassadeur eut grand-peine à voir la reine avant sa mort, et ne put parvenir à entrer dans la chambre mortuaire, à assister à l’autopsie du corps, à faire admettre des chirurgiens chargés par lui d’examiner le cadavre. La raison d’État qui présidait aux naissances, aux mariages princiers, couvrait d’un épais voile ces morts mystérieuses.» De Charles II, le dernier de sa race exsangue, Victor Hugo fit l’ombre invisible de sa pièce Ruy Blas.

.

A LIRE : Une Histoire érotique de la diplomatie, de Nicolas Mietton, Payot, 2016.

La société française du XVIe siècle au XXe siècle, de Victor Du Bled (1848-1927), livre publié en 1905, aux éditions Perrin.

Mémoires de la cour d’Espagne, de Marie Catherine Le Jumel de Barnéville Aulnoy, publié par Adrian Moetjens, 1691.

NOTE 1 : Une autre femme, Mme de Villars, ambassadrice de France, témoigne de façon plus diplomate : «Quoique Mme de Terranova ait une grande aversion pour la France, elle m’a toujours traitée fort honnêtement» (Lettre du 5 septembre 1680).

Une appli pour lutter contre les agressions sexuelles

$
0
0
Une appli pour lutter contre les agressions sexuelles

Vous êtes témoin ou victime d’une agression sexuelle ? Une application mobile – HandsAway – permet d’alerter toutes les personnes branchées aux alentours afin qu’elles puissent vous venir en aide.

Créée par Alma Guirao, une parisienne de 29 ans elle-même victime de plusieurs agressions, HandsAway permet de réagir soit en intervenant soi-même si on se trouve pas loin de l’endroit où l’alerte est lancée, soit de décrire l’agression et de prendre des enregistrements, soit de «créer un dialogue avec la victime». Empruntant son vocabulaire aux Etats-Unis, Alma Guirao se définit comme Street Angel n°1 et invite tous les utilisateurs-ices de HandsAwayà participer eux-mêmes à ce mouvement citoyen : «Une victime ou un témoin d’une agression sexiste peut 1. Géolocaliser le lieu de l’agression et 2. Prévenir instantanément les street angels à proximité. Une notification/push sera alors envoyée.»

«Dans l’application, un utilisateur peut : 1. Définir le type d’agression sexiste (verbale ou physique), 2. Indiquer le lieu de l’agression sexiste (rue ou transports en commun) 3. Préciser la gravité de l’agression sexiste (en écrivant ou en enregistrant un message).

«HandsAway a également mis en place dans l’application, une partie éducative sur le rôle du Street Angel», précise la notice d’utilisation, afin de prévenir tout risque de débordement… L’application fonctionne sur l’ensemble du territoire français. Questions à la créatrice de HandsAway.

Quel est votre parcours ?

Je suis née dans Paris intramuros et y vis toujours, une vraie TITI parisienne. Je suis issue d’une famille modeste avec des parents fonctionnaires. Mon parcours scolaire : BAC littéraire option théâtre puis des études professionnelles de photographie. J’ai eu ensuite l’idée de ma première entreprise: Dessine-moi un soulier. Le premier site internet de personnalisation de chaussures made in France. La société est toujours sur ses rails et continue de grossir, avec à la tête mon ancienne associée.

Quand avez-vous eu l’idée de créer cette application ?

J’ai eu l’idée de créer HandsAway après une agression sexiste de trop (1), il y a maintenant un an. J’ai mis 6 mois à développer l’application, en termes de développement, TEST et lancement.

Que vous est-il arrivé ?

La dernière agression sexiste que j’ai subie c’était dans le métro à Paris. Un homme a sorti son sexe pour l’exhiber. J’ai été paralysée et extrêmement choquée, je n’ai pas su quoi faire. Je ne me sentais pas légitime d’aller porter plainte ! J’ai senti un réel vide en termes d’actions et de possibilité pour lutter. Un cri de colère car c’était la goutte d’eau qui avait fait déborder le vase! Je ne vous parle pas des insultes, des commentaires sur mon physique ou encore d’un homme qui m’avait suivi… «Il fallait agir.»

Qu’est-ce qui vous a frappé?

L’inaction des gens autour de moi, alors qu’il y avait énormément de monde ! Je pense qu’il faut sensibiliser le maximum de personnes, pour que les agressions sexistes arrêtent d’être banalisées et soient vraiment considérées comme des actes graves.

Votre application repose sur le principe des «street angels»… Mais ça n’existe pas en France ?

Tous les utilisateurs de l’application HandsAway sont des StreetAngels par définition. Nous souhaitons responsabiliser tous les users HandsAway. Nous nous plaignons en permanence d’un monde de plus en plus égoïste et individualiste, donc les actions d’entraide devraient être des outils attendus. Nous allons mener et pousser ce nouvel élan solidaire, «Ensemble, plus fort que seul !».

Votre application fonctionne sur le modèle de la solidarité citoyenne ?

HandsAway fonctionne sur une communauté engagée et solidaire, avec des citoyens qui souhaitent aider son prochain. Lorsqu’une femme est victime d’une agression sexiste (1), les StreetAngels à proximité recevront l’alerte et pourront La réconforter en créant un dialogue.

Peut-être serait-il utile que la police soit également connectée à cette application ?

Absolument, nous essayons de rentrer en contact avec les autorités légales. Nous souhaitons créer une cartographie nationale des agressions sexistes, afin d’avoir des données quantitatives et qualitatives pour que les autorités légales puissent agir en conséquence.

Existe-t-il une application semblable dans d’autres pays ?

Il existe une application aux Etats-Unis ainsi qu’au Royaume Uni pour partager son trajet avec ses proches. Si la personne dévie de son chemin, les proches peuvent agir. Sur le modèle de HandsAway, aucune application n’est comparable aujourd’hui. Nous allons développer également une nouvelle fonctionnalité, le premier co-piétonnage entre citoyens pour éviter les agressions sexistes. Les femmes aujourd’hui évitent de prendre les derniers transports en commun ou emprunter de court trajet tard le soir par crainte. L’idée étant de fédérer les utilisateurs HandsAway sur un même trajet afin de se sécuriser.

Quel budget avez-vous investi dans ce projet ?

J’ai fait une levée de fonds pour pouvoir développer l’application HandsAway qui demandait quelques milliers d’euros pour être développée. L’application HandsAway est totalement gratuite. Nous générons du profit avec une partie B2B. Nous avons développé le premier co-piétonnage entre collaborateurs. L’idée étant de favoriser de la solidarité, de l’éco-mobilité en transports en commun et également de la sécurité entre collaborateurs.

HandsAway sur Facebook.

.

(1) LE SEXISME. Alma Guirao désigne de façon très maladroite les agressions sexuelles comme des «sexistes». Pour rappel : le sexisme se définit comme un préjugé basé sur le sexe. Il consiste à attribuer aux femelles un rôle passif, des prédispositions intellectuelles inférieures, une forte propension au shopping, une irritabilité naturelle (frôlant l’hystérie), un besoin d’amour lancinant et des caractéristiques psychologiques «maternelles» (tendresse, douceur). Le sexisme consiste à donner aux mâles un rôle actif, des prédispositions aux sciences dures, une puissance physique supérieure (peu importe le physique du mâle en question), des besoins sexuels irrépressibles et des caractéristiques psychologiques «de guerrier» (indélicatesse, brutalité, voire bêtise). Il ne me semble pas que l’exhibitionnisme soit sexiste, pas plus que les attouchements : celui qui se masturbe en public ou pelote une fille ne pense pas forcément que celle-ci est tout juste bonne à faire la vaisselle… En tout cas, la question n’est pas là. Il me semble donc tout à fait déplacé de désigner HandsAway comme une application contre les agressions sexistes (la belle affaire !). Mais c’est un détail… L’essentiel est que HandsAway permette de réagir si on assiste à une agression sexuelle.

LE SEXISME EN 4 ARTICLES :

«L’érotisme c’est du sexisme-1»,

«L’érotisme c’est du sexisme-2»,

«Soyez galant, ça rend les femmes bêtes»,

«Pourquoi les femmes veulent de la galanterie».

Des guêpes mâles folles d'une fleur

$
0
0
Des guêpes mâles folles d'une fleur

Il est courant d'offrir des fleurs coupées dont on ne garde que la tête et les feuilles. En 1882, deux ans avant sa mort, Darwin dévoile la vérité. La vérité ? La «tête» de la fleur sont ses organes sexuels. Et les feuilles, ses organes excréteurs.

La véritable tête d’une fleur se situe sous la terre : son cerveau, ce sont les racines qu’elle avance à tâtons dans l’obscurité du sol comme autant de nerfs qui lui transmettent les informations. Une plante peut «sentir» toutes les modifications de l’environnement (1) et réagir en conséquence. En quoi est-elle différente d’un animal ? Dans son ultime ouvrage, qu’il co-écrit avec son fils, Charles Darwin émet une théorie qui choque l’esprit du temps : la partie la plus importante d’une plante se trouve sous le sol. Ce qui émerge, ce sont juste ses organes reproducteurs et son anus. Comme une «prostituée», elle exhibe la marchandise.

La fleur tend vers nous ses organes reproducteurs

Dans un ouvrage de vulgarisation au style tonique, Stefano Mancuso, nous emmène à la poursuite des «hommes qui aiment les plantes». Son Histoire des savants du monde végétal remet la tête en place concernant notre vision du monde. Nous fonctionnons toujours sur la base de préjugés tels que : «Les abeilles sont uniquement attirées par le nectar des fleurs». Ce que la chercheuse Myra Hird souligne avec ironie : en 2013, dit-elle, y compris dans les hautes sphères de la recherche en biologie, l’activité sexuelle interespèces demeure sous-explorée, voire niée : “Des découvertes commencent à émerger qui suggèrent que les comportements sexuels des animaux non humains sont beaucoup plus plastiques et beaucoup plus divers que la culture humaine ne l’autorise. Lactivité sexuelle entre les fleurs et les insectes est si courante qu’elle est même rarement considérée comme une activité sexuelle transespèce” (2).

La motricité des fleurs ? Une absurdité

Les préjugés perdurent, à commencer par celui concernant la motricité des plantes. Les plantes bougent. Leur motricité se situe sous terre et, par ailleurs, les plantes collaborent avec des insectes pour s’unir avec des plantes parfois distantes de plusieurs kilomètres. Mais cela, nous avons encore du mal à le définir comme un acte sexuel… Parce que les fleurs sont pures à nos yeux. Ne dit-on pas «butiner» pour désigner les baisers ? Au XVIIIe siècle, «le médecin, botaniste et naturaliste suédois Linné (1707-1778) avait déjà démontré que les fleurs (du moins la plupart d’entre elles) possèdent à la fois des organes masculins et féminins : c’est ce trait anatomique qui constituait le fondement de sa classification.» Mais ces organes n’étaient pas considérés comme susceptibles d’interagir entre eux. Il semblait impossible que deux fleurs puissent copuler. Aucune fleur n’est en rut au printemps ?

La sexualité des fleurs ? Une obscénité

L’autopollinisation était considérée comme le mode normal de fécondation des fleurs. Cela ne convainc pas Darwin. Son grand-père – Erasmus Darwin – est un grand vulgarisateur de Linné, fondateur de la Lichfield Botanical Society et créateur d’innombrables noms de plante encore en usage dans la langue anglaise. Charles Darwin reprend le flambeau familial et suit des études botanique à Cambridge. «De ces observations sur les plantes naîtra la première théorie de l’évolution»… Darwin s’appuie en effet sur l’étude des orchidées pour établir que certaines d’entre elles attirent des insectes non pas avec de la nourriture mais avec des signaux sexuels puissants.

Une fleur : poupée gonflable pour insectes

Les insectes prennent ces fleurs pour des femelles de leur espèce et tentent de s’accoupler, sans y parvenir, frénétiquement, affolés par les effluves que dégagent la fleur et ses parures diaboliques. Prenez l’orchidée marteau, Drakaea elastica, par exemple : elle imite parfaitement une guêpe femelle. Dans la catégorie des Ophrys (surnommée «orchidées-prostituées»), on trouve aussi des fleurs camouflées tantôt en abeille, en guêpes et en bourdons : leur sépale reproduit en trompe l’oeil une partenaire du sexe «faible». Ce qui pousse des essaims de mâle à s’unir –ou tenter de s’unir– à la fleur qu’ils finissent par quitter, le corps couvert de son pollen, avant d’aller vers une autre orchidée et ainsi de suite… jusqu’à l’orchidée femelle.

Des guêpes rendues folles de frustration

Dans un documentaire étonnant de la BBC, des images en gros plan montrent les guêpes en chaleur, parfois en groupes de mâles affolés qui finissent par se frotter les uns aux autres, incapables de résister à l’attrait puissant qu’exerce sur eux la vision de cette fleur mâle travestie en guêpe femelle. Ils s’acharnent à vouloir la pénétrer.

On pourrait trouver cela risible et pathétique. On se moque ainsi volontiers des hommes qui s’achètent une love doll ou une poupée gonflable. Mais… les humains aussi tombent dans le panneau des fleurs. Nous ne cessons de les polliniser, dans le cadre d’une industrie visant à faire se multiplier ces plantes qui, autrement, disparaitraient de la surface de la terre.

Les humains aussi se font «posséder» par ces fleurs

La pollution détruit les insectes qui assurent la survie de ces fleurs… mais nous humains, magnétisés, subjugués, bouleversés par leurs couleurs aphrodisaques et leurs formes obscènes, nous sommes «responsables de milliers de combinaisons sexuelles qui auraient été littéralement impossibles sans nous». Ainsi que le souligne volontiers Michael Pollan, auteur en 2009 d’un article provocateur dans le National Geographic : «C’est horrible à dire, mais nous sommes maintenant les esclaves sexuels des orchidées, autant que les abeilles». Comment assurer sa survie quand on est en position (apparente) d’infériorité ? En trompant les individus d’autres espèces, dites «supérieures», afin qu’ils tombent amoureux de vous.

L’amour e(s)t le simulacre

L’humain n’est donc pas imperméable aux signaux sexuels des plantes (qui sont, comme les animaux, d’autant plus chatoyantes et attirantes qu’elles sont mâles, semble-t-il). L’humain a beau s’en défendre et prétendre que cela relève de l’esthétique… Il succombe au charme vénéneux de l’orchidée mâle. Une anecdote à propos de Darwin : une citation de son récit de voyage dans le Corydon d’André Gide a fait beaucoup gloser : «J’avoue que les femmes m’ont quelque peu déçu ; elles sont loin d’être aussi belles que les hommes... ; elles gagneraient beaucoup à porter quelque vêtement.»

.

A LIRE : Des hommes qui aiment les plantes. Histoires de savants du monde végétal, de Stefano Mancuso, Klincksieck, 2016.

«Animal trans», de Myra Hird. Texte publié dans un ouvrage de 694 pages (!) intitulé The Transgender Studies Reader 2, dirigée par Susan Stryker et Aren Aizura, Routledge, 2013.

NOTES

(1) «Nous savons aujourd’hui que l’extrêmité radiculaire est encore plus perfectionnée que ne l’imaginait Darwin lui même, puisqu’elle est sensible dans le milieu à quinze agents physico-chimiques différents : outre la pesanteur, la lumière, l’humidité et la pression, il y a aussi l’oxygène, le dioxyde de carbone, le monoxyde d’azote, l’éthylène, les métaux lourds, l’aluminium, de nombreux gradients chimiques, le sel, etc.» (Source : Stefano Mancuso, Des hommes qui aiment les plantes, Klincksieck, 2016).

(2) Traduction de Flo Morin (Source : Encyclopédie du genre, dirigé par Juliette Rennes, La Découverte, 2016, article «Animal»).

La magie sexuelle, c'est pas pour les nuls

$
0
0
La magie sexuelle, c'est pas pour les nuls

Les adeptes de magie sexuelle se désignent souvent comme des magickiens, par allusion au texte fondateur d’Aleister Crowley : MagicK, écrit avec un k par allusion au au ktéis (vagin) grec. Au fait, c’est quoi la «magie sexuelle » ?

La magie sexuelle, également connue sous le nom d’High MagicK Art, est une science érotico-poétique née à la fin du XIXe siècle entre l’Europe et les Etats-Unis. Elle prétend s’inspirer des rituels anciens aux «origines millénaires», mais qu’on ne s’y trompe pas : il s’agit d’un bricolage, d’invention récente, cousu d’emprunts aux écrits hermétiques. Le créateur du mot MagicK, l’Anglais Aleister Crowley – le plus célèbre des Mages sexuels – se surnommait lui-même «Frater Perdurabo» ou encore «La Bête 666». Il est né dans une famille protestante fondamentaliste. Il fait partie des principaux pères d’un mouvement qui entend «libérer» les hommes et les femmes de leur éducation puritaine et, en détruisant les tabous, ouvrir la voie d’un monde nouveau, celui des noces mystiques du corps et de l’esprit. Le programme est séduisant. Hélas… Tapez MagicK sur Internet : vous n’aurez qu’une faible idée de la somme astronomique, monumentale, de rituels ésotériques et insurmontablement complexes censés procurer cette liberté. Comment expliquer cette contradiction flagrante ?

Peut-on se libérer en explorant un des 30 Aethyr ?

La contradiction flagrante de la magie sexuelle, c’est qu’elle veut nous libérer… au moyen de rituels aliénants. Comment jouir lorsqu’il faut, tout d’abord, exécuter un complexe rituel de Bannissement mineur du Pentagramme– opération qui nécessite d’exécuter sans hésiter une chorégraphie nommée Croix du calvaire (1- Touchez le front et dites : GEH (Tu es) [prononcez Ge-ha]. 2- Toucher le sexe et dites : LONDOH (Royaume) [ prononcez Lo-nu-do-he]. 3- Touchez l’épaule droite et dites : MICAOLZ (Puissance), etc.) suivie d’une figure exécutée à l’aide d’une épée dans les 4 directions, puis d’une Invocation des forces– elle-même suivie de la récitation par cœur de l’Appel du 30ème AethyrMadariatza das perifa TEX cahisa micaolazoda saanire caosago od fifisa balzodizodarasa Iaida», etc.)? Arrivé au stade de l’Appel, les vagins sont taris et les pénis flasques depuis probablement une heure. Mais c’est là, pourtant, que les participants sont censés «vibrer» avec les mots puis entrer dans un état de grande excitation. Par quel miracle ? Sans compter qu’«au moment de l’orgasme» (hein, quoi ?), il leur faudra prononcer de nouveau l’interminable liste de mots sans queue ni tête qui composent l’«Appel du 30ème Aethyr». Pas très excitant.

Sang-de-dragon, aile de chauve-souris…

Dans un livre publié aux éditions La Musardine, sous le titre La Magie sexuelle, Pierre des Esseintes mentionne à demi-mot l’obstacle presque insurmontable que représentent les formules cryptées. Il a mis trois ans à écrire cet ouvrage et pour cause : on se perd dans la forêt des mots. «Si, dans un grimoire magique, on vous demande de faire usage de sang-de-dragon et d’aile de chauve-souris, sachez que ces expressions désignent en fait tout autre chose. Le sang de dragon désigne une résine de palmier que l’on utilise pour l’écriture magique. L’aile de chauve-souris est simplement une feuille de houx !» Philippe Pissier – traducteur officiel d’Aleister Crowley – avoue lui-même avoir mis 25 ans pour traduire MagicK : «Crowley aime égarer le lecteur. N’oublions pas qu’il codait ses textes non seulement en raison de son amour de la poésie hermétique, mais aussi parce que les mœurs de son époque étaient très strictes, et qu’il devait ruser avec la censure.»

«Crowley aime égarer le lecteur»

Il n’est pas étonnant que la MagicK soit apparue au moment même où la société occidentale prétend devenir rationnelle. En réaction à l’idéal positiviste et scientifique, toutes sortes de mouvements occultes voient le jour. Ils se développent sur la base du secret : mots de passe, poignées codées, formules cryptées… Un des premiers grands «maîtres» de la magie sexuelle, l’Américain Paschal Beverly Randolph (1825-1875) – fils illégitime d’une fille d’esclave noire et d’un bourgeois de Virginie –, est d’abord initié au sein de la Rose-Croix, un Ordre mystique proposant un «enseignement» échelonné sur 12 degrés et constitué de loges. Le deuxième grand «maître» de la magie sexuelle, Theodor Reuss (1855-1923) appartient à la Franc-maçonnerie et fonde une fraternité appelée OTO (Ordre du Temple d’Orient) organisé en un labyrinthique système d’initiation. Le troisième grand «maître», Aleister Crowley lui-même (1875-1947), est d’abord initié au grade de Néophyte dans l’Ordre Hermétique de l’Aube Dorée avant de devenir la plus illustre recrue de l’OTO. La magie sexuelle est donc indissociable des organisations souterraines qui affirment s’opposer au monde dit moderne, froid, technologique, transparent et sans âme… dont elles ne sont que le miroir inversé. Les mystères dont elles s’entourent participent d’une logique identique à celle des médecins qui entendent dédiaboliser le sexe. Une même démarche anime ces deux cultures en apparence opposées – celle du «progrès» et celle des magiciens.

Le matin des magickiens

Pour comprendre la magie sexuelle, il faut donc la replacer dans son contexte. Intéressant de voir qu’elle apparaît au moment même où les médecins inventent des mots nouveaux pour désigner des comportements dits «anormaux» : hybristophile, frotteuriste, urolagne, éphébophile, sadique, autant de néologismes incompréhensibles forgés de bric et de broc en mélangeant racines grecques et latines pour leur donner l’allure de mots savants. Les créateurs de ces sciences nouvelles que sont la psychologie, la psychiatrie et la sexologie entourent de barbelés leur domaine d’expertise : ils se réservent ainsi le monopole d’un savoir, suivant un procédé typique des sectes. Seuls les élus possèdent la maîtrise du jargon. Il faut faire partie des initiés. La même manie scientifique des typologies frappe le milieu des magiciens : êtes-vous adepte du moyen Nyasa, des condensateurs fluidiques ou de la charge des voults ? Dans son livre MagicK, Aleister Crowley prévient d’emblée les novices : ils devront, tout d’abord, passer trois mois à lire les classiques du taoïsme, de la mystique médiévale et de l’hindouisme (sans compter ses propres écrits) avant d’espérer la moindre initiation.

La magie sexuelle : ce n’est pas de la partouze

Ne devient pas magickien qui veut. Il faut être motivé (et cultivé) pour entrer dans cet univers, ainsi que le constate – non sans satisfaction – Philippe Pissier. «Contrairement à ce que l’apparence «libertine» (en fait, tantrique) de la philosophie crowleyenne pourrait faire croire, la pratique de son système magique implique une connaissance et une maîtrise préalables des techniques yogiques, et – Dieu soit loué – la rigueur et la difficulté de ces dernières éloignent vite les dilettantes et les partouzeurs en quête de piments ritualisés. On ne réalise pas généralement ce que cet entraînement psycho-physique peut apporter au contrôle des expérimentations astrales et cérémonielles.» Pour Pissier, la MagicK de Crowley se doit d’être difficile d’accès. «Oui, son oeuvre est complexe et elle désoriente : c’est voulu. Son message est initiatique, et l’initiation n’est pas un produit de consommation vite gobé et digéré. Les choses se méritent, du moins celles qui importent.» Ce discours est certainement très séduisant… pour certains en tout cas. L’élitisme attire, surtout dans ce domaine de la sexualité auquel tout le monde a accès (il suffit d’un cerveau)… N’importe qui peut n’importe quand se faire jouir. C’est facile, trop facile peut-être. Raison peut-être pour laquelle la MagicK suscite tant de curiosité ?

.

Il serait cependant injuste de réduire la magie sexuelle au salmigondis de formules obscures derrière lesquels elle se protège. S’il y a un secret à percer, ce n’est pas forcément celui que l’on croit. La suite au prochain article.

A LIRE : MagicK d’Aleister Crowley, traduit par Philippe Pissier, éditions Blokhaus.

La Magie sexuelle, de Pierre des Esseintes, La Musardine.

Trouvez-vous la chope-sein vulgaire?

$
0
0
Trouvez-vous la chope-sein vulgaire?

Il existe des tasses appelées boob mug : "tasse à nibards". Il existe aussi des coupes de champagne modelées sur des seins de top-modèles. Serait-ce le comble du snobisme que de verser dans le mauvais goût ?

Certaines coupes à vin, dans la Grèce antique, prennent la forme de seins ornés en leur extrémité d’un téton et généralement ornées de figures mythiques liées à la fertilité ou à la lactation. Les plus anciennes datent du Ve siècle avant J.-C.. «On les appelait mastos (μαστός = sein). Au XVIIIe siècle, ils auraient inspiré la création d’une porcelaine baptisée “bol-sein” dont la légende dit qu’il aurait été modelé à l’image du sein gauche de la reine Marie-Antoinette.» Johan Mattelaer, urologue à la retraite, collectionneur de phallus et auteur de nombreux livres consacrés aux organes génitaux publie sous le titre Forbidden Fruit un ouvrage consacré aux détournements des seins, des sexes et des testicules dans l’art. L’occasion de brasser une infinité d’informations richement illustrées parmi lesquelles – au hasard – il relate à titre d’anecdote que le sein de certaines femmes célèbres a parfois servi de coupe à boire.

Rien de nouveau sous le soleil !

« Nihil nove sub sole !, remarque Johan Mattelaer. Pour fêter ses 40 ans, en 2014, la mannequin Kate Moss aurait signé un contrat avec un célèbre restaurant londonien pour qu’une coupe de champagne soit créée à partir d’un moulage de son sein gauche. C’est l’artiste Jane McAdam Freud, fille du peintre Lucian Freud et petite fille de Sigmund Freud, qui se serait chargée de cette création.»

De Claudia Schiffer à Kata Moss

En 2008, une autre mannequin –Claudia Schiffer– avait déjà «prêté» la silhouette stylisée de son sein gauche à Karl Lagerfeld pour que celui-ci fasse produire une coupe de champagne en porcelaine destinée à la marque Dom Perignon (1), ce qui est très étrange car les coupes trop évasées ne permettent pas de garder le pétillant d’un alcool. Mieux vaut utiliser une flute, voire un verre-tulipe aux bords resserrés vers le haut. Mais qu’importe le flacon… pourvu qu’on ait une femme de légende sous les lèvres, et plus précisément son sein gauche, par allusion à celui de Marie-Antoinette.

La Jatte-téton de la dernière reine de France

Concernant la légende Marie-Antoinette, il y a une part de vrai : le Bol-sein, existe. On peut même l’acheter sur le site de la Manufacture de Sèvres sous l’appellation «Jatte-téton» : «il fut créé en 1787 pour une commande royale destinée à la Laiterie de Rambouillet, lieu d’agrément offert par Louis XVI à la reine Marie-Antoinette. […] La reine se servait de cet incroyable objet pour boire le lait, symbole de la fécondité.»

Vierge de Sèvres, corset et minerve

En 2011, le corsetier Hubert Barrère s’en inspire pour créer une étonnante tenue – la Vierge de Sèvres – une minerve couverte de petits seins imitant le Jatte-téton de Marie-Antoinette. La minerve se porte avec une robe largement échancrée. Elle prend pour modèle un tableau de la vierge allaitante, datant d’environ 1452, dont le modèle aurait été «la belle Agnès» –Agnès Sorel– qui prenait des bains au lait d’anesse afin d’aviver l’éclat de sa peau blanche.

laviergedesevres_1_creditestellehanania.jpg

La Dame de beauté, créatrice des décolletés

«La mode qui consistait à montrer un sein aurait commencé au XVe siècle, explique Johan Mattelaer et aurait été initiée par Agnès Sorel, maîtresse du roi Charles VII [celui qui eut le triste privilège de trahir et d’abandonner Jeanne d’Arc aux Anglais]. Les fins vêtements qu’elle portait à la Cour de France dévoilaient en effet souvent un ou deux seins. Ce dont se serait inspiré le peintre Jean Fouquet pour représenter la Vierge […]. De fait, il devint coutumier pour les femmes de l’aristocratie [et pour les courtisanes] de se faire immortaliser avec un ou deux seins nus.»

Le sein de Pauline

Pour en revenir au Bol-sein de Marie-Antoinette, il est loin d’être isolé. Joséphine de Beauharnais, épouse de Napoleon ; Diane de Poitiers, maîtresse de Henri II ; Madame de Pompadour, favorite de Louis XV ; Madame du Barry, autre favorite de Louis XV sont quelques unes des innombrables beautés à qui la légende prête d’avoir été transformées en chopine ou en coupe. La soeur de Napoléon, Pauline Borghese aurait fait faire deux coupes en bronze doré d’après moulage de ses seins par Jean-Baptiste-Claude Odiot qui en aurait vendu une paire à George IV en novembre 1815, en lui disant qu’il s’agissait des « seins de Vénus ». La Reine d’Angleterre possèderait donc ces seins dans son service de table. Odiot aurait rajouté un papillon sur leur bord, par allusion peut-être à la personnalité «volage» de Pauline.

La coupe en électrum d’Hélène de Troie

Pour remonter aux origines : la toute première des femmes à devenir (par synecdoque) un récipient s’appelle Hélène de Troie. Dans Histoire Naturelle, Pline, raconte que la cité de «Lindos, dans l’île de Rhodes, a un temple de Minerve où Hélène consacra une coupe d'électrum. L’histoire ajoute qu’elle avait été moulée sur le sein d’Hélène.» L’électrum est une matière très précieuse : c’est de l’or qui contient de l’argent, à la proportion exacte d’un cinquième. Pline ajoute : «Une propriété de l'électrum, c’est d’être aux lumières plus éclatant que l’argent. L'électrum natif a de plus la vertu de déceler les poisons : des iris semblables à l’arc-en-ciel se dessinent sur la coupe, avec un bruissement semblable à celui de la flamme.» La coupe modelée sur le sein d’Hélène était donc capable de détecter le poison, comme la corne de Licorne ? Intéressant de voir le lien entre sein et corne.

Hélène de Troie inaugure les cocktails psychotropes

Encore plus intéressant de savoir qu’Hélène tient un rôle très particulier dans l’histoires des libations antiques. Homère (s’il a jamais existé) affirme qu’elle est la première personne à proposer qu’on serve du vin avant le repas. Elle aurait de plus saoulé une troupe entière de vétérans de la guerre de Troie en leur concoctant un petit cocktail de son cru, agrémenté d’opium. L’anecdote se trouve dans le quatrième livre de L’Odyssée. Les pèlerins qui faisaient le voyage au Temple de Minerve (Athena) de Lindos devaient follement rêver de boire dans cette coupe. Qui sait si le breuvage coulant d’une telle empreinte n’était pas doté de pouvoirs magiques ?

Noël, retour de la vie et alcool

Il n’est, d’ailleurs, pas innocent que le vin de Noël soit parfois servi dans des chopes en forme de poitrine féminine, mais aussi de champignon hallucinogène (l’amanite) ou de botte de Père Noël… La botte phallique qu’on remplit de cadeaux renvoie à l’idée de la corne d’abondance. Quant à l’amanite tue-mouches, facilement identifiable à son «bonnet» rouge vif parsemé de pois blanc, il évoque aussi l’idée d’une célébration «extatique» de la vie. La théorie selon laquelle il existerait un lien entre le Père Noël et certaines traditions shamaniques, liées à la prise de drogue relève peut-être du délire, mais elle s’appuie sur un rapport d’analogie parfaitement avéré entre le sein et le pénis, qui sont tous les deux des organes producteurs de liquides blancs magiques, synonymes d’abondance, sources de vie, fontaines de jouvence.

Dégradation de la femme ?

On aurait tort, de ce point de vue, de trouver «vulgaire » les coupes ou les tasses aux formes explicites. Ce sont les résidus populaires d’une mémoire collective liée à des croyances ou des fêtes anciennes. Lait, sperme et ivresse vitale. Lorsqu’en 2014, le sein de Kate Moss sert de modèle à une coupe, des journalistes s’insurgent (l’Américaine Claire Cursillo va jusqu’à faire faire une coupe modelée sur sa poitrine pour montrer que celle de Kate est un «faux») contre la culture de la femme-objet réduite à son statut nourricier, indignement mise en scène comme simple récipient pour des machos buveurs de champagne ou de bière. Voire de café. C’est oublier un peu vite que le pénis lui aussi peut faire l’objet de détournements similaires. Le pénis est aux hommes ce que le sein est à la femme. Un symbole assez fort pour être ridiculisé.

A LIRE Forbidden Fruit: Sex, Eroticism and Art, de Johan Mattelaer, Antwerpen : Davidsfonds Uitgeverij, 2016

«Libation Titillation: Wine Goblets and Women’s Breasts», d'Adrienne Mayor, Studies in Popular Culture 16 (April 1994)

Genève se dote d’un «tombeau des secrets»

$
0
0
Genève se dote d’un «tombeau des secrets»

C’est une dalle funéraire comme les autres, mais elle n’abrite pas le cadavre d’un humain : « Ici reposent les secrets des promeneurs du cimetière des Rois». Secrets d’amour ? Secrets d’alcôves ?

Alors ques les pompes funèbres de Genève fêtent leur 150 ans, la ville accueille fin 2016 une exposition étonnante –Open End– dédiée à l’art funéraire qui invite les visiteurs du cimetière à repenser leur rapport à la mort. Elle se déroule dans un cimetière datant de 1482. Construit sur des marais salants à deux pas de l’hôpital des pestiférés, le lieu est à l’origine un très contagieux dépotoir à cadavres : on l’évite… comme la peste. Par un ironique retournement du sort, il est devenu «un cimetière des VIPs».

Open End : une fin ouverte

Le cimetière des Rois abrite en effet les tombes de célébrités : Jean-Louis Borges, Ernest Ansermet, Émile Jaques-Dalcroze, la prostituée-écrivain Grisélidis Réal, la philosophe Jeanne Hersch, Frank Martin, Jean Piaget, Rodolphe Töpfer, et bien d’autres y attirent les touristes et les curieux. De Robert Musil, il n’y a qu’un buste, ses cendres ont été dispersées au Salève. Presque invisibles parmi les monuments de ce petit panthéon de verdure, de fausses tombes se glissent en invitées surprise : une main de dieu en marbre tend son doigt vers l’invisible, un banc en point d’interrogation propose une pause-recueillement, un ectoplasme de Pieta accueille en creux le corps du Christ, un enregistrement –quelqu’un ronfle sous terre– se déclenche lorsque des promeneurs viennent devant la tombe de Jean Calvin. Il y a aussi cette statue de SDF qui semble faire la manche au milieu des défunts et cette installation funéraire que les visiteurs entretiennent sans savoir à qui les fleurs ni les bougies sont dédiées : comme par mimétisme, chacun vient ici apporter une offrande à la mémoire de… qui au juste ? La mort n’a pas forcément de visage.

Pas forcément de corps non plus

L’oeuvre la plus troublante de l’exposition Open End est d’ailleurs une dalle posée sur un monceau de feuilles qui s’accumulent sous terre. La dalle est percée d’une fente genre boîte postale. Les visiteurs peuvent y glisser ce qu’ils veulent, pourvu qu’ils désirent le garder non-dit et l’enterrer : une histoire d’adultère, un souvenir brulant, le nom d’un amour jamais déclaré, une trahison amoureuse, le récit d’une violence faite à leur corps ou leur coeur… Peu importe pourvu que cela soit marqué noir sur blanc puis confié au temps, qui efface tout. L’oeuvre s’intitule Le Tombeau des secrets. Elle est signée Sophie Calle, qui avait inauguré la première tombe de cette série dans un cimetière breton en 2014. «Quand l’exposition s’arrêtera, cette oeuvre-là restera en place et pour 20 ans, explique Elodie Hainard, co-créatrice de l’association DART qui gère l’exposition. La Ville de Genève nous a en effet offert la concession. C’est d’ailleurs la première fois que la ville offre une concession, enfin un bout d’un cimetière pour un usage autre que l’inhumation d’un corps.»

Que vos secrets reposent en paix

Jusqu’en l’an 2036, au moins, les promeneurs du cimetière des Rois pourront donc se confier à l’oubli éternel. Ils sont nombreux. La boîte qui était vide le jour du vernissage (15 septembre 2016) était à ce point pleine en décembre qu’il a fallu faire venir une grue, soulever la dalle et vider la boîte. «Le jour du vernissage, Sophie Calle notait elle-même les secrets, raconte Elodie. Les gens venaient un par un s’assoir devant elle et lui parlaient. Elle notait le secret, le glissait dans une enveloppe puis elle accompagnait la personne qui glissait l’enveloppe dans la dalle. Une cinquantaine de personnes attendaient leur tour, à distance, pour ne pas entendre ce qui se disait. Il n’y avait donc, au départ qu’environ 50 secrets. Puis, fin 2016, des centaines… qui débordaient.» La boîte correspond aux normes du Service des Pompes Funèbres (SPF) : elle mesure 50 cm sur 50 cm et accueille normalement les cendres des morts. L’association DART la fait déterrer, en présence des responsables du cimetière, puis leur contenu est brulé, afin que les secrets soient préservés à jamais. Requiescat in pace.

Les cimetières dépendent du département de la cohésion sociale

Pour Elodie Hainard, il est vital que la boîte puisse être vidée et son contenu détruit. «Au début la ville a dit que non, on ne pouvait pas faire de fente (et donc le projet était compromis), car ce cimetière est le lieu d’un trafic de drogue important : les autorités avaient peur que les dealers ne planquent leur came dans la fente/tombe). Ils voulaient dont que tout soit scellé. Mais on a eu gain de cause.» Elodie s’amuse. Le projet a mis quatre ans avant de voir le jour, quatre ans d’interminables négociations avec des interlocuteurs qui se renvoient la balle, terrorisés à l’idée que des artistes troublent la paix du cimetière : un scandale est si vite arrivé. «L’idée de faire cette exposition est partie de mon cousin germain, Vincent du Bois, un sculpteur spécialisé dans les monuments funéraires. En 2012, la Maire de Genève avait déclaré vouloir «ramener de la vie dans les cimetières». Mon cousin a d’abord contacté le SPF, qui était partant, puis le Fond Municipal d’Art Contemporain (FMAC). Puis la ville, plus particulièrement le département de la cohésion sociale et de la solidarité, dont dépendent les cimetières (ahhhh, la Suisse, tout un poème…).» Elodie monte avec lui et avec Xavier Sprungli l’association DART, pour faire avancer le projet.

L’art peut-il troubler le repos des morts ?

Après des mois de bataille, «on a cru qu’on avait le feu vert, mais ensuite ils ont voulu mettre sur place un comité d’éthique pour juger chaque oeuvre. Personne ne voulait assumer la responsabilité de cette exposition. Ils avaient été échaudés par l’épisode de la pierre tombale de Grisélidis Réal [une polémique avait secoué Genève à l’époque]. Comme la loi est très vague (il ne faut pas “troubler le repos des morts”), ils l’ont interprétée dans le sens restrictif.» Finalement, l’idée passe. Mieux : Elodie est contactée pour que des expositions similaires soient organisées dans des cimetières à Zurich, à Bruxelles… Mettre de la vie dans ces lieux ? L’idée fait son chemin. Les cimetières, désaffectés, sont en voie disparition : ils laissent place maintenant aux jardins du souvenir et aux columbarium. La majorité des européens choisissent la crémation et que leurs cendres soient répandues dans la nature. A quoi bon des tombes individuelles ? Les gens veulent se fondre dans l’anonymat d’un recyclage «propre». Devenir de la poudre cosmique, emportée par le vent. Nourrir les racines d’un arbre… Plus personne ne veut aller dans un cimetière. Les municipalités s’en inquiètent. Il faut redonner un sens à ces espaces.

Un Tombeau pour lutter contre l’Inquisition contemporaine

C’est là qu’arrive le Tombeau des Secrets, idée de génie s’il en est, toute pleine de nostalgie, porteuse d’un rêve d’hermétisme : quelque part, il existe un monde où les secrets peuvent encore exister… «Le cimetière des Rois était au départ un charnier, un lieu collectif, explique Elodie Hainard. Le Tombeau des secrets renvoie un peu à cette période où tous les humains étaient pêle-mêle. Pour aller plus loin, si on reprend l’étymologie de «pestiféré»–pestis (peste) et ferre (porter)–, on pourrait même dire que les gens qui gardent ou “portent” des secrets, sont certainement des pestiférés dans la société actuelle, dominée par la morale de la transparence, par la génération wikileaks (qui veut mettre à jour les complots étatiques et des grandes entreprises), autant que par la NSA (écoutes téléphoniques, surveillance globale).» Pour Elodie, il ne saurait y avoir de lieux plus approprié que le cimetière des Rois à Genève pour rendre un dernier hommage à ce qui ne nous survivra pas. Secrets de famille, secrets amoureux, soyez bien gardés : dissolvez-vous dans la masse, disparaissez, consumez-vous. L’association DART veille sur vous. La Suisse a perdu le secret bancaire. Elle gardera désormais le secret funéraire.

L'association DART (créée en 2015 par Vincent du Bois, Elodie Hainard et Xavier Sprungli) entend réactiver le regard sur les objets de deuil, questionner par le biais d’expositions et de colloques le rapport à la mort et au souvenir, ramener la vie dans les cimetières.

Peut-on expliquer le coup de foudre ?

$
0
0
Peut-on expliquer le coup de foudre ?

Lors d'un bal donné en 1572, une jeune fille épuisée par la danse va changer de chemise. Le duc d'Anjou, venu chercher un peu de fraîcheur, lui succède dans la garde-robe, et s'essuie le visage «avec le premier linge qu'il trouva»…

Le 18 août 1572, le futur roi Henri III s’essuie le visage avec la chemise imbibée de sueur de Marie de Clèves et… tombe éperdument amoureux d’elle lorsque, retournant danser, il la voit dans la salle de bal. Il lui écrit des lettres avec son sang. Deux ans plus tard, Marie décède (à 21 ans). Il prend un deuil spectaculaire puis épouse une femme qui n’apporte aucun avantage à la couronne de France mais présente une curieuse ressemblance avec la défunte. Comment expliquer un tel amour ? Jean-Claude Bologne s’attaque au mystère dans Histoire du coup de foudre, récemment publié chez Albin Michel.

Ouvrage foisonnant, ce pavé (320 pages) réunit au moins mille histoires émouvantes ou prodigieuses de passions qui font boum et que l’historien énumère staccato, en mélangeant toutes les époques et toutes les civilisations, faisant du «coup de foudre» une notion aussi universelle que la prohibition de l’inceste.

L’expression «coup de foudre» date du XVIIIe siècle

«La plus ancienne attestation de l’expression dans son sens actuel date de 1741, dit-il. Cela ne signifie pas qu’on ne connaissait pas le coup de foudre auparavant. On parlait alors d’«amour subit, immédiat, du premier coup d’œil»… Le latin déjà connaissait l’amour soudain, inopiné (amor subitus, repentinus). Son irruption est passée parfois par d’autres images : l’étincelle qui embrase le cœur, les flèches de Cupidon, la piqûre, la blessure, la brûlure, la pétrification, le coup, la chute… Faute de nommer le phénomène, les romanciers en ont décrit les symptômes, en particulier l’étonnement, qui convoque déjà le tonnerre.» A quoi reconnait-on un coup de foudre ? On ne sait pas d’où il vient. Il surgit de nulle part. Il échappe à la raison. C’est un mystère. En tout cas, c’est toujours ainsi que les humains présentent leur histoire d’amour quand ils veulent l’embellir, se moque Jean-Claude Bologne.

Le plus ancien coup de foudre répertorié de l’histoire

L’historien date la plus ancienne mention d’un amour «au premier regard» vers 1245 avant notre ère : en l’an 34 du règne de Ramsès II, celui-ci (qui possède déjà une dizaine de femmes) épouse une princesse hittite. Le mariage est censé apporter la paix entre les deux royaumes. Une proclamation officielle est faite à cette occasion, dont on trouve encore de nos jours l’inscription dans le temple d’Abou Simbel. La princesse hittite a 19 ans. Ramsès (59 ans) succombe dès qu’il la voit : «Aussitôt elle se trouva être parfaite dans le cœur de sa majesté», énonce textuellement la proclamation. Jean-Claude Bologne n’est pas dupe de cette formule «ampoulée». Pour lui, le coup de foudre est un récit des origines, un récit qui permet aux couples de se construire sur la base d’une transgression. La passion subite – qui s’oppose au mariage de raison – est en effet très transgressive dans la plupart des sociétés. Mais cette transgression est souvent mise au service de l’ordre, ainsi qu’en témoigne le récit du «coup de foudre» de Ramsès II. Ce qui n’était au départ qu’une alliance stratégique (donc fragile) entre deux peuples a pris les dimensions d’une épiphanie, donnant à l’union du roi l’allure d’un décret divin : ce qui échappe aux lois de la raison relève forcément de lois supérieures.

Il s’agit d’un phénomène inexplicable.

Le coup de foudre fait plus «sérieux» que l’amour progressif, parce qu’il est mystérieux. Echappant à toute logique, il s’inscrit dans la logique de la fatalité : on n’a pas choisi d’aimer. Les étoiles peut-être, en ont décidé ainsi. Ou les génies ? L’étonnement qui entoure cette combustion spontanée la légitime, explique Jean-Claude Bologne. Raison pour laquelle, les explications qui sont constamment inventées pour résoudre l’énigme n’en épuisent jamais la part d’étrangeté insondable… Dans toutes les sociétés humaines (même si cela varie dans le temps), on prétend qu’il y a une anomalie dans le fait de «tomber» brutalement amoureux et on cherche à l’expliquer. En vain, bien sûr, puisque le coup de foudre relève par essence de l’inexplicable. L’histoire du coup de foudre ne saurait donc être que l’histoire des innombrables (et dérisoires) tentatives de l’élucider. En lisant l’ouvrage de Jean-Claude Bologne, on se demande si une Histoire de Dieu n’aurait pas été rédigée sur le même modèle, comme l’histoire des innombrables (et dérisoires) tentatives de prouver l’existence de Dieu.

Dieu et le coup de foudre : deux concepts similaires ?

Impossible de dire «le coup de foudre n’existe pas» : nous sommes tous bien trop désireux d’y croire. Sans coup de foudre, la vie serait triste. Comme par malice, nous nous efforçons cependant de percer son secret. Mais le secret résiste, et pour cause. Il est tout aussi vain de vouloir prouver l’existence de Dieu qui, par définition, relève de l’inintelligible. Dans un premier chapitre, ironiquement intitulé «Expliquer», Jean-Claude Bologne énumère donc les causes (aussi peu crédibles les unes que les autres) du coup de foudre. Il en distingue trois types. Les explications surnaturelles attribuent le coup de foudre tantôt à Eros, tantôt à Satan, tantôt à la sorcellerie, tantôt à la prédestination. Les explications psychologiques essayent a contrario de rationaliser le coup de foudre mais leurs arguments psychanalytiques, culturels ou sociologiquesne sont guère plus convaincants. Restent les explications scientifiques (pathologiques, électriques, chimiques, neurobiologiques), de loin les plus pauvres de toutes, qui font du coup de foudre l’équivalent d’un désordre, d’une addiction, voire d’une pathologie.

Le mythe de Tristan est-il soluble dans la neurobiologie ?

«Bien sûr, plus on se rapproche de notre époque, plus les explications scientifiques ont tendance à […] se multiplier. Pour autant, elles sont attestées de tout temps. […] les explications médicales du coup de foudre sont aussi anciennes que le recours au petit Cupidon», explique l’historien, balayant d’un revers nos prétentions occidentales à la supériorité conférée par les sciences «dures». Il n’y a, en réalité, pas beaucoup de différence entre l’histoire de Tristan et Yseult qui raconte, au XIIe siècle, les effets inouïs d’un philtre d’amour et les toutes dernières «découvertes» des biologistes qui attribuent le coup de foudre aux effets conjugués d’une décharge de phényléthylamine (PEA) «créant une véritable dépendance de l’autre» avec une production d’adrénaline, de dopamine, d’ocytocine et de vasopressine transformées par un enzyme appelé MAO dont le taux varierait selon l’état de stress… Qu’il s’agisse de philtre ou de cocktail hormonal, la logique à l’œuvre derrière ces arguments semble à peine avoir changé : il s’agit encore et toujours d’expliquer une attraction soudaine, tout en préservant sa part d’inexplicable, à l’aide de «clés» qui n’ouvrent aucune porte. Ces décryptages contribuent finalement plus à épaissir le mystère qu’à le dissiper… comme si la manœuvre visait, justement, à créer l’ombre propice à l’émergence d’un rêve. Sans mystère, le concept même de coup de foudre perdrait toute sa puissance opératoire. La société humaine s’aveugle toujours volontairement afin de succomber au vertige d’une illusion collectivement construite, une illusion d’autant plus efficace qu’elle se cache sous le voile de l’inconcevable.

.

CITATION : «On pourrait peut-être appliquer à la pensée mythique, sans trop de distorsion, le concept de refoulement : l’homme qui vit un mythe doit refouler le fait que c’est lui qui l’a créé» (Paul Riesman, dans un article intitulé «Mariage et vol du feu. Quelques catégories de la pensée symbolique des Haoussa», publié dans la revue L’Homme, 1966, tome 6 n°4. pp. 82-103).

.

A LIRE : Histoire du coup de foudre, de Jean-Claude Bologne, Albin Michel.


Monstre de Frankenstein et féminisme : même dégâts

$
0
0
Monstre de Frankenstein et féminisme : même dégâts

Créée à partir de cadavres d’humains, le monstre inventé par Mary Shelley incarne ce qu’elle est : une tueuse. Mary a tué sa mère en naissant. Puis elle a tué son père, moralement, en tombant amoureuse d’un poète fou, adepte de l’amour libre.

Difficile de comprendre le roman Frankenstein sans savoir qui était son auteur, ni d’où elle venait. Mary Wollstonecraft-Godwin (1797-1851) n’a pas grandi dans n’importe quelle famille. Elle porte le nom des deux philosophes radicaux anglais le plus importants et le plus controversé de l’époque. Son père – William Godwin– est un penseur politique radical, anarchiste avant l’heure. Sa mère – Mary Wollstonecraft– est une pionnière du féminisme et une sympathisante révolutionnaire dont la vie amoureuse défraye la chronique : elle a d’abord une liaison avec le célèbre peintre Fussli, qui est marié. Après leur rupture, elle part pour la France en septembre 1792, soit… un mois avant que le roi Louis XVI soit guillotiné ! C’est là, dans l’atmosphère de danger et d’hystérie sanglante des années 1792-1794, qu’elle tombe amoureuse de Gilbert Imlay, un aventurier américain dont elle tombe enceinte et qui l’abandonne juste avant la naissance de leur enfant (Fanny). Elle le poursuit à Londres, mais en vain. Elle part ensuite en Scandinavie et tire de ce voyage aux confins de l’Europe un récit contemplatif, publié en 1796, dont les poètes Wordsworth et Coleridge font leur source d’inspiration. William Godwin tombe amoureux d’elle en lisant ce récit et se met à lui faire la cour. Mary trouve en lui l’âme sœur. Ils emménagent dans une résidence appelée Polygone, composée de deux maisons contiguës afin que leur vie de couple n’empiète pas sur leur indépendance respective.

William, apôtre des unions libres, épouse la mère de Mary Shelley

Bien qu’il ait écrit des textes pour l’abolition du mariage, William épouse Mary (mars 1797) quand celle-ci tombe enceinte, pour que l’enfant naisse dans la légitimité. L’enfant s’appelle Mary mais ne connaîtra jamais sa mère : celle-ci meurt 11 jours plus tard (le 10 septembre 1797), des suites de l’accouchement. William Godwin écrit à sa mort : «Je n’ai pas le moindre espoir, désormais, que je puisse jamais connaître à nouveau le bonheur.» Il se remarie néanmoins 4 ans plus tard avec une femme qui a déjà deux enfants parce que ses affaires vont si mal qu’il craint de ne pouvoir élever seul ses deux filles. Au sein d’une famille recomposée de bric et de broc, Mary Wollstonecraft-Godwin grandit donc avec sa demi-sœur, Fanny Godwin et les deux enfants rapportés : Charles et Jane Claire Clairmont. Les époux Godwin ouvrent une maison d’édition, mais elle fait faillite. Godwin doit sa survie à de généreux donateurs qui le sauvent de la prison. Bien que les créanciers le poursuivent, il se débrouille pour donner à ses filles, une éducation soignée : Mary a une gouvernante et un professeur particulier. Elle grandit en lisant les pamphlets de son père et se nourrit d’esprit dissident. C’est donc fidèle aux utopies de ses parents, sous la double influence de ces deux philosophes qui prônent l’égalité entre les sexes, qu’elle essaye de devenir une femme adulte, adulte et libre.

Quand Mary rencontre Percy

Elle a 17 ans lorsqu’elle rencontre Percy Shelley, un poète inconnu, qui admire son père et s’est même proposé de rembourser ses dettes. On l’appelle Mad Shelley, Shelley «le fou». Il a 21 ans et contrairement aux garçons aristocrates de son âge il ne suit pas d’études à l’Université : il a été expulsé d’Oxford pour une composition qui fait horreur aux directeurs : De la nécessité de l’athéisme (1811). Il a refusé de se rétracter. Sa famille le voue aux gémonies. Enfant, Percy était martyrisé par les écoliers : trop frêle, trop doux, trop rêveur. En réaction aux persécutions, il joue au sorcier, torture ses soeurs à l’électricité, joue avec des acides et, sous prétexte d’alchimie, fait exploser des combustibles au risque de se tuer. Le docteur Cabanes, dans un ouvrage consacré aux Grands névropathes, raconte qu’à la vue d’un incendie qui se propage d’une barque à une grange, Percy rayonne : «Il avait voulu «jouer à l’enfer», et il éprouvait comme une joie satanique à contempler cet incendie dont il était l’auteur. Peut-être y avait-il dans cet amour précoce du feu […] l’un des présages de sa carrière poétique.»

Parfum de scandale

Percy est donc «fou», ainsi qu’il se plaît à le dire, c’est-à-dire athée, révolté, libertaire, végétarien et adepte d’amour libre. Quand son père lui coupe les vivres, Percy tombe amoureux d’une fillette de seize ans (il en a alors 19), Harriet Westbrook, fille d’un riche hôtelier, et l’épouse après un romanesque enlèvement. Peu après, il se lie avec Godwin, se jette tête baissée dans la politique, écrit des textes intitulés La marche du diable (1812) ou Réfutation du déisme (1814) qui attirent l’attention du gouvernement. Ça sent le fagot ! Le docteur Cabanes raconte que «pour se soustraire à des poursuites imminentes, il erre d’un bout de l’Angleterre à l’autre». Son ménage s’en ressent. Il se brouille avec Harriet (alors mère d’une petite fille) et tombe amoureux de Mary Shelley. William Godwin abjure Percy de renoncer à cette passion illicite et d’épargner la réputation sans tâche de sa fille… Percy menace de se suicider, brandit un revolver et une bouteille de laudanum puis s’enfuit avec Mary, qu’il emmène dans un tour frénétique de l’Europe à travers la France, la Suisse, l’Allemagne et les Pays-Bas. A son retour en Angleterre, il apprend qu’Harriet est de nouveau enceinte de lui. Mary aussi est tombée enceinte. Impossible d’abandonner son épouse… pas plus que sa maîtresse : le voilà bigame. Il s’installe (entre l’été 1815 et l’été 1816) près de la forêt de Windsor, entouré de ses deux femmes, bientôt rejointes par la sœur de Mary – Jane Claire Clairmont– qui, elle aussi, joue les filles insoumises : Claire a eu une liaison avec le poète Byron, qui est marié.

L’été 1816 et le projet Frankenstein

Harriet accouche d’un fils (Charles) en novembre 1814, mais elle a conscience que Percy ne l’aime plus. Mary à son tour accouche d’une fille, qui décède presque immédiatement, puis retombe enceinte, et accouche d’un garçon (William). La situation devient intenable. Ne supportant plus son épouse, ni la réprobation universelle dont il fait l’objet, Percy s’enfuit encore une fois avec Mary… Claire se joint volontiers au duo. En Suisse, Claire retrouve celui qu’elle aime – Byron – et dont elle est alors enceinte sans le savoir encore. Byron lui-même est en exil, suite à une sombre histoire d’inceste : il a eu une liaison avec sa demi-sœur et doit fuir l’Angleterre, le temps de se faire oublier. C’est dans ce contexte pour le moins trouble et tendu que ces adeptes d’amour libre décident de passer l’été ensemble, un été qui – cette année-là – prend les allures d’une fin du monde. Il pleut. Il pleut même si violemment que Percy et Byron manquent périr sur le lac Léman, un jour d’orage au cours duquel les arbres sont déracinés par le vent.

Comme une sinistre malédiction

Leséléments s’acharnent sur eux. C’est comme si leur conduite impie et leurs liaisons fatales les poursuivaient jusque dans les villas où ils ont trouvé refuge. Hélas, la ville natale de Jean-Jacques Rousseau (leur idole), n’est pas la cité riante dont ils rêvaient. Elle est frappée par une série de désastres funestes : ténèbres en plein joue, tempêtes dévastatrices, crue, inondations… Chaque jour, il pleut et il fait froid. Pas de lumière : pour Mary, c’est le signe d’une damnation. Sa vie est celle d’une femme qui a tué sa mère en naissant et qui, bientôt, va provoquer d’autres morts : lorsqu’ils rentrent à Londres, Fanny se suicide au laudanum et Harriet (enceinte d’un autre homme que Percy) se jette dans la Tamise. Deux mois après la mort de sa femme, Percy épouse Mary. Mary achève l’écriture de Frankenstein, un roman traversé par le sentiment de l’absolue solitude : celle d’une femme réprouvée, coupable malgré elle-même. La créature de Frankenstein, c’est elle, qui doit à la fois assumer sa liberté et la souffrance qu’elle inflige aux autres du seul fait d’avoir voulu librement aimer.

Frankenstein : un roman familial ?

Dans Frankenstein créé des ténèbres, le chercheur Simon Swift (Université de Genève) écrit : «Pour Mary, la famille représentait un lieu où les individus se blessent involontairement les uns les autres. […] Frankenstein est un livre consacré à l’investigation des forces étranges et ambiguës qui hantent les familles. De même que ce roman lugubre raconte […] l’incapacité d’une famille aimante à se protéger de l’horreur, le cercle familial de Mary était voué à se restreindre. Sa sœur Fanny se suicida et Mary qui avait déjà donné naissance à deux enfants (dont une petite prématurée), perdra encore deux de ses quatre enfants, ainsi que son mari qui se noya en 1922.» Quand il se noya, Percy avait à peine 29 ans. Son corps ne fut retrouvé que 10 jours après sa disparition, sur le rivage de Viareggio. Le docteur Cabanes raconte : «la figure, les mains, toutes les parties qui n’étaient pas protégées par les vêtements, n’avaient plus de chair.» Lorsque Byron vit la masse informe des os, il voulut récupérer le crâne, «mais comme on se souvint qu’il avait transformé en verre à boire un crâne qui lui avait été confié on ne voulut pas exposer celui de Shelley à cette profanation sacrilège.» La loi toscane imposait de brûler les corps. Les restes de Shelley furent donc posés «sur un bûcher, élevé le long du rivage, comme celui de Patrocle, et, tandis que la flamme faisait son office, Byron pontifiait en récitant des vers de l’Iliade.» Ainsi mourut celui pour qui Mary avait tout sacrifié.

L’enfer, c’est là qu’il voulait aller

Quand il est mort, Percy, depuis quelques semaines, souffrait de cauchemars affreux. Il avait demandé un poison pour mettre fin à ses jours, «au cas où». A peine six ans auparavant, lorsqu’il était en Suisse, Percy avait noté sur le registre de l’hôtel son nom en toutes lettres accompagné – dans la case «Commentaires» – des mots, en grec ancien : «humaniste, démocrate et athée». Pour les protéger, il n’écrit qu’en initiales les noms des deux jeunes femmes qui l’accompagnaient : MWG (Mary Wollstonecraft-Godwin) et J.-C. (Jane Clairmont). Dans la case «Destination», il avait marqué : «L’Enfer». La page du registre est reproduite dans l’ouvrage Frankenstein, créé des ténèbres. Curieusement, le nom de Jane Clairmont a été biffé peu de temps après leur passage à l’hôtel. Se peut-il que Byron soit allé à Chamonix barrer le nom de celle dont il venait d’apprendre qu’elle était enceinte ? Voulait-il ainsi la soustraire au scandale ou l’éliminer de sa vie ? Impossible de savoir. La vie de Claire est de toute manière définitivement gâchée, comme celle de Mary. Elle a commis un acte impardonnable au regard de l’époque. Byron ne veut pas d’elle. Elle attérit avec son enfant à la charge de Percy et quand celui-ci meurt en 1922, sans le sou, elle s’exile en Russie où elle devient préceptrice puis revient, devenue vieille, s’établir en Italie. Henry James s’inspire d’elle pour écrire son roman Les papiers d’Aspern. Quant à Mary, elle survit pauvrement d’une rente chichement allouée par son beau-père puis meurt à 57 ans d’une tumeur cérébrale.

.

A LIRE : Frankenstein, créé des ténèbres, dirigé par Nicolas Ducimetière et David Spurr, Coédition Gallimard / Fondation Martin Bodmer.

A VOIR : Le Retour des ténèbres– Musée Rath, Genève – Jusqu’au 19 mars 2017.

L'érotisme discret de la main sur le mur

$
0
0
L'érotisme discret de la main sur le mur

En 2014, une nouvelle façon de déclarer sa flamme fait son entrée dans le répertoire des clichés érotiques au Japon, sous le nom de kabedon. Il s’agit de plaquer sa bien-aimée contre le mur. Deux ans plus tard, comment ce cliché a-t-il évolué ?

Il existe dans les manga et les jeux vidéos des façons stéréotypées de déclarer sa flamme. Il s’agit, pour un garçon de retenir une fille en posant fermement la main contre le mur avant de se pencher pour lui murmurer quelque chose à l’oreille. Mur se dit kabe (壁). Don (ドン), c’est le bruit que fait la paume (ou le poing) contre le mur. Le procédé est donc baptisé kabedon (壁ドン), l’équivalent de «Pan dans le mur». «Le procédé, tiré des mangas pour jeunes filles, suscite un réel engouement», explique Le Courrier International. Ci-dessous un extrait-culte du feuilleton Kyô ha kaisha yasumimasu (きょうは会社休みます).

L’engouement est en effet tel que lors du très attendu Game show de Tôkyô, une célèbre firme de jeu-vidéo (Voltage) spécialisée dans les petits copains virtuels, propose aux fans de vivre « pour de vrai » la scène-phare du kabedon. L’Asahi shinbun raconte : « des acteurs en costard, pour la plupart des éphèbes de plus d’un mètre quatre-vingt, simulaient tour à tour la scène du kabe don avec des visiteuses en susurrant : “A partir d’aujourd’hui, tu es à moi”». Voltage affirme que 3000 japonaises se précipitent à l’attraction. Voici la vidéo.

L’engouement est également tel qu’un entrepreneur a l’idée d’ouvrir un café éphémère, Kabedon Café (壁ドンカフェ), dans lequel les clientes peuvent s’isoler en compagnie d’un mannequin-automate de 180cm fait à l’image d’un séduisant barman franco-japonais. Pourquoi un mannequin plutôt qu’un acteur ? «Parce que beaucoup de femmes se sentent trop intimidées avec un vrai garçon», explique l’auteur de l’article publié sur le site Netoraba, incitant celles qui «ne l’ont jamais fait à essayer avec un beau garçon (une poupée)», mais également les garçons à tenter cette expérience propre à «faire fondre», terme ambigu qui désigne à la fois une abondante perte de liquide et le fait d’être enchanté-ravi-ensorcellé. Les client.e.s du Kabedon café ont le choix entre 5 fantasmes. Le kabedon menu propose le personnage dit tsundere (personnage froid, sarcastique et distant capable de trahir soudainement ses véritables sentiments), kohaku (personnage qui fait sa confession), asananajimi (l’ami d’enfance qui brusquement révèle l’amour qu’il dissimulait depuis plus de dix ans) et sotsugyô (personnage qui met fin à une situation… je ne sais pas trop ce que cela implique). L’automate est configuré pour frapper le mur puis prononcer des phrases en mode aléatoire (chaque option se décline en déclarations, du style : « Ne dis pas des choses égoïstes ou je te fermerai les lèvres avec ma bouche» ou encore « Ne t’ouvre à personne d’autre qu’à moi. Je suis le seul homme à qui tu devrais parler.»). Voici la vidéo. La journaliste qui a accepté de faire l’expérience mesure 148 cm et la poupée lui dit : Donna suîtsu [sweets] yorimo kimi ga ichiban gokujô no suîtsu [sweets] da yo : «Tu es une friandise supérieure à toutes les autres friandises.»

Surfant sur l’effet de mode, une dizaine de feuilletons TV romantiques mettent en scène le moment-clé, tant attendu par les spectatrices, durant lequel un personnage masculin va brusquement avoir sa montée d’hormone, froncer les sourcils, devenir menaçant et coincer l’élue de son coeur contre – au choix – la paroi d’un ascenseur, la porte d’une rame de métro, la vitre d’un distributeur de boissons ou n’importe quelle autre surface capable de renvoyer en écho le bruit – Don ! (Pan !, Boum !) – afin de lui dire ses quatre vérités, c’est-à-dire «Tu m’appartiens, corps et âme.» La scène provoque des palpitations, voire des orgasmes tels qu’il existe sur Internet toutes sortes de top 10 des meilleures séquences kabedon, au rang desquelles on trouve les suivantes (vidéo ci-dessous). Attention, la bande-son est désagréable.

Toujours en 2014, l’enseigne Gu organise à l’occasion de ventes spéciales dans son magasin de Ginza une journée événementielle durant laquelle les clientes se voient offrir, pour l’achat d’un vêtement de leur choix, une expérience troublante : leikemen tsugi tsugi kabedon (le «kabedonà la chaine des beaux gosses»). Il s’agit de prendre la file d’attente (il y a foule) avec son achat, puis de le montrer en faisant mine de le porter devant soi (Ca me va ?) et de se faire coller contre le mur prévu à cet effet par un beau garçon : Uun, mecha niatteruyo sugoi kawaii (« Mmmm, ça te va vraiment bien, t’es super mignonne »). Si on a de la chance, le garçon exécute le « double kabedon», c’est-à-dire qu’il frappe le mur avec ses deux bras : Don ! Don ! Si on a encore plus de chance, c’est le double kabedon avec deux beaux garçons (un bras par garçon, Don ! Don !). La firme invite aussi les clients mâles à tenter l’expérience. Nous sommes au Japon.

S’il fallait classer le kabedon ce serait dans la catégorie des fantasmes de viol. Les lycéens ne s’y trompent pas qui parodient le kabedon sous la forme de mises en scène grotesques, en déclinant le stéréotype jusqu’à en épuiser la charge érotique : kabedon avec le genoux (style coup dans les parties), kabedon avec le coude (variante faussement désinvolte), kabedon avec les deux mains et les pieds (technique de l’encerclement), kabedon suivi d’une prise de menton (estampillé kabegu-i, parce que relever le menton de quelqu’un avec un doigt, dans les manga, s’accompagne de l’onomatopée gu-i), kabedon suivi de deux doigts dans le nez, auto-kabedon, reverse-kabedon, kabedon en trio, etc… Les garçons le font autant que les filles.

Tout le monde s’entraîne dans les écoles et se filme en train de faire des kabedon, au point d’inspirer par effet boule de neige des scènes de feuilleton, comme ici, dans cette séquence-culte de GTOmettant en scène deux étudiants qui s’amusent à le faire « pour rire », jusqu’au moment-clé où. Don, leur coeur fait Don.

Toujours en 2014, la firme qui produit les célèbres nouilles instantanées Cup Noodle lance une publicité décalée qui dit : «Le Japon, c’est le pays des manga. Toutes les jeunes filles lisent des manga. Le fantasme qui les fait rêver c’est le kabedon. Malheureusement, la réalité est différente. Dans ce pays, les [seules] choses chaudes sont les personnages de manga et les Cup noodle». Conclusion : on se console vite de la perte de ses illusions avec un bon bol de nouilles.

En 2015, une série comique met en scène les émois orgasmiques d’une mère de famille indigne, qui passe son temps à fantasmer sur les manga, met ses enfants à la porte et tente de retenir les deux professeurs avec qui les enfants avaient rendez-vous pour des cours à domicile. Dans ses rêves éveillés, les professeurs exécutent toute la succession des figures alternatives du kadebon, qu’elle énumère avec délices comme autant de postures sexuelles.

La plus étonnante variation érotique sur le kabedon se nomme semidon (蝉ドン), c’est-à-dire «kabedon du grillon» par allusion à la capacité de ces insectes à planter leurs pattes sur le tronc d’un arbre par exemple et à y striduler d’amour, pendant la période de reproduction, jusqu’à ce que mort s’ensuive. On retrouve les grillons morts toujours plantés dans l’arbre, en position de chant amoureux…

Le semidon a d’ailleurs lui-même donné naissance au kabezubo (壁ズボ), une déclinaison irréaliste du kabedon avec les bras et les jambes enfoncés dans le mur… et, et… de parodies en parodies, le fantasme a fini par perdre toute puissance, comme le grillon qui meurt à force de striduler : le vent froid d’automne le fige à jamais dans sa position. Il n’est plus qu’une coquille vide. Il ne suscite plus le désir.

Capture d’écran 2016-09-15 à 13.20.32.png

Capture d’écran 2016-09-15 à 13.20.44.png

POUR NE PAS FINIR SUR UNE NOTE TRISTE : concernant le semidon, cela donne, en version TV, la parodie suivante (toujours ma mère de famille indigne)…

Monstre de Frankenstein et féminisme : même dégâts

$
0
0
Monstre de Frankenstein et féminisme : même dégâts

Créée à partir de cadavres d’humains, le monstre inventé par Mary Shelley incarne ce qu’elle est : une tueuse. Mary a tué sa mère en naissant. Puis elle a tué son père, moralement, en tombant amoureuse d’un poète fou, adepte de l’amour libre.

Difficile de comprendre le roman Frankenstein sans savoir qui était son auteur, ni d’où elle venait. Mary Wollstonecraft-Godwin (1797-1851) n’a pas grandi dans n’importe quelle famille. Elle porte le nom des deux philosophes radicaux anglais le plus importants et le plus controversé de l’époque. Son père – William Godwin– est un penseur politique radical, anarchiste avant l’heure. Sa mère – Mary Wollstonecraft– est une pionnière du féminisme et une sympathisante révolutionnaire dont la vie amoureuse défraye la chronique : elle a d’abord une liaison avec le célèbre peintre Fussli, qui est marié. Après leur rupture, elle part pour la France en septembre 1792 et s’installe à Paris… un mois avant que le roi Louis XVI soit guillotiné (janvier 1793) ! C’est là, dans l’atmosphère de danger et d’hystérie sanglante des années 1792-1794, qu’elle tombe amoureuse de Gilbert Imlay, un aventurier américain dont elle tombe enceinte et qui l’abandonne juste avant la naissance de leur enfant (Fanny). Elle le poursuit à Londres, mais en vain. Elle part ensuite en Scandinavie et tire de ce voyage aux confins de l’Europe un récit contemplatif, publié en 1796, dont les poètes Wordsworth et Coleridge font leur source d’inspiration. William Godwin tombe amoureux d’elle en lisant ce récit et se met à lui faire la cour. Mary trouve en lui l’âme sœur. Ils emménagent dans une résidence appelée Polygone, composée de deux maisons contiguës afin que leur vie de couple n’empiète pas sur leur indépendance respective.

William, apôtre des unions libres, épouse la mère de Mary Shelley

Bien qu’il ait écrit des textes pour l’abolition du mariage, William épouse Mary (mars 1797) quand celle-ci tombe enceinte, pour que l’enfant naisse dans la légitimité. L’enfant s’appelle Mary mais ne connaîtra jamais sa mère : celle-ci meurt 11 jours plus tard (le 10 septembre 1797), des suites de l’accouchement. William Godwin écrit à sa mort : «Je n’ai pas le moindre espoir, désormais, que je puisse jamais connaître à nouveau le bonheur.» Il se remarie néanmoins 4 ans plus tard avec une femme qui a déjà deux enfants parce que ses affaires vont si mal qu’il craint de ne pouvoir élever seul ses deux filles. Au sein d’une famille recomposée de bric et de broc, Mary Wollstonecraft-Godwin grandit donc avec sa demi-sœur, Fanny Godwin et les deux enfants rapportés : Charles et Jane Claire Clairmont. Les époux Godwin ouvrent une maison d’édition, mais elle fait faillite. Godwin doit sa survie à de généreux donateurs qui le sauvent de la prison. Bien que les créanciers le poursuivent, il se débrouille pour donner à ses filles, une éducation soignée : Mary a une gouvernante et un professeur particulier. Elle grandit en lisant les pamphlets de son père et se nourrit d’esprit dissident. C’est donc fidèle aux utopies de ses parents, sous la double influence de ces deux philosophes qui prônent l’égalité entre les sexes, qu’elle essaye de devenir une femme adulte, adulte et libre.

Quand Mary rencontre Percy

Elle a 17 ans lorsqu’elle rencontre Percy Shelley, un poète inconnu, qui admire son père et s’est même proposé de rembourser ses dettes. On l’appelle Mad Shelley, Shelley «le fou». Il a 21 ans et contrairement aux garçons aristocrates de son âge il ne suit pas d’études à l’Université : il a été expulsé d’Oxford pour une composition qui fait horreur aux directeurs : De la nécessité de l’athéisme (1811). Il a refusé de se rétracter. Sa famille le voue aux gémonies. Enfant, Percy était martyrisé par les écoliers : trop frêle, trop doux, trop rêveur. En réaction aux persécutions, il joue au sorcier, torture ses soeurs à l’électricité, joue avec des acides et, sous prétexte d’alchimie, fait exploser des combustibles au risque de se tuer. Le docteur Cabanes, dans un ouvrage consacré aux Grands névropathes, raconte qu’à la vue d’un incendie qui se propage d’une barque à une grange, Percy rayonne : «Il avait voulu «jouer à l’enfer», et il éprouvait comme une joie satanique à contempler cet incendie dont il était l’auteur. Peut-être y avait-il dans cet amour précoce du feu […] l’un des présages de sa carrière poétique.»

Parfum de scandale

Percy est donc «fou», ainsi qu’il se plaît à le dire, c’est-à-dire athée, révolté, libertaire, végétarien et adepte d’amour libre. Quand son père lui coupe les vivres, Percy tombe amoureux d’une fillette de seize ans (il en a alors 19), Harriet Westbrook, fille d’un riche hôtelier, et l’épouse après un romanesque enlèvement. Peu après, il se lie avec Godwin, se jette tête baissée dans la politique, écrit des textes intitulés La marche du diable (1812) ou Réfutation du déisme (1814) qui attirent l’attention du gouvernement. Ça sent le fagot ! Le docteur Cabanes raconte que «pour se soustraire à des poursuites imminentes, il erre d’un bout de l’Angleterre à l’autre». Son ménage s’en ressent. Il se brouille avec Harriet (alors mère d’une petite fille) et tombe amoureux de Mary Shelley. William Godwin abjure Percy de renoncer à cette passion illicite et d’épargner la réputation sans tâche de sa fille… Percy menace de se suicider, brandit un revolver et une bouteille de laudanum puis s’enfuit avec Mary, qu’il emmène dans un tour frénétique de l’Europe à travers la France, la Suisse, l’Allemagne et les Pays-Bas. A son retour en Angleterre, il apprend qu’Harriet est de nouveau enceinte de lui. Mary aussi est tombée enceinte. Impossible d’abandonner son épouse… pas plus que sa maîtresse : le voilà bigame. Il s’installe (entre l’été 1815 et l’été 1816) près de la forêt de Windsor, entouré de ses deux femmes, bientôt rejointes par la sœur de Mary – Jane Claire Clairmont– qui, elle aussi, joue les filles insoumises : Claire a eu une liaison avec le poète Byron, qui est marié.

L’été 1816 et le projet Frankenstein

Harriet accouche d’un fils (Charles) en novembre 1814, mais elle a conscience que Percy ne l’aime plus. Mary à son tour accouche d’une fille, qui décède presque immédiatement, puis retombe enceinte, et accouche d’un garçon (William). La situation devient intenable. Ne supportant plus son épouse, ni la réprobation universelle dont il fait l’objet, Percy s’enfuit encore une fois avec Mary… Claire se joint volontiers au duo. En Suisse, Claire retrouve celui qu’elle aime – Byron – et dont elle est alors enceinte sans le savoir encore. Byron lui-même est en exil, suite à une sombre histoire d’inceste : il a eu une liaison avec sa demi-sœur et doit fuir l’Angleterre, le temps de se faire oublier. C’est dans ce contexte pour le moins trouble et tendu que ces adeptes d’amour libre décident de passer l’été ensemble, un été qui – cette année-là – prend les allures d’une fin du monde. Il pleut. Il pleut même si violemment que Percy et Byron manquent périr sur le lac Léman, un jour d’orage au cours duquel les arbres sont déracinés par le vent.

Comme une sinistre malédiction

Leséléments s’acharnent sur eux. C’est comme si leur conduite impie et leurs liaisons fatales les poursuivaient jusque dans les villas où ils ont trouvé refuge. Hélas, la ville natale de Jean-Jacques Rousseau (leur idole), n’est pas la cité riante dont ils rêvaient. Elle est frappée par une série de désastres funestes : ténèbres en plein jour, tempêtes dévastatrices, crue, inondations… Il pleut sans cesse et il fait froid. Il n’y pas de lumière : pour Mary, c’est le signe d’une damnation. Sa vie est celle d’une femme qui a tué sa mère en naissant et qui, bientôt, va provoquer d’autres morts : lorsqu’ils rentrent à Londres, Fanny se suicide au laudanum et Harriet (enceinte d’un autre homme que Percy) se jette dans la Tamise. Deux mois après la mort de sa femme, Percy épouse Mary. Mary achève l’écriture de Frankenstein, un roman traversé par le sentiment de l’absolue solitude : celle d’une femme réprouvée, coupable malgré elle-même. La créature de Frankenstein, c’est elle, qui doit à la fois assumer sa liberté et la souffrance qu’elle inflige aux autres du seul fait d’avoir voulu librement aimer.

Frankenstein : un roman familial ?

Dans Frankenstein créé des ténèbres, le chercheur Simon Swift (Université de Genève) écrit : «Pour Mary, la famille représentait un lieu où les individus se blessent involontairement les uns les autres. […] Frankenstein est un livre consacré à l’investigation des forces étranges et ambiguës qui hantent les familles. De même que ce roman lugubre raconte […] l’incapacité d’une famille aimante à se protéger de l’horreur, le cercle familial de Mary était voué à se restreindre. Sa sœur Fanny se suicida et Mary qui avait déjà donné naissance à deux enfants (dont une petite prématurée), perdra encore deux de ses quatre enfants, ainsi que son mari qui se noya en 1822.» Quand il se noya, Percy avait à peine 29 ans. Son corps ne fut retrouvé que 10 jours après sa disparition, sur le rivage de Viareggio. Le docteur Cabanes raconte : «la figure, les mains, toutes les parties qui n’étaient pas protégées par les vêtements, n’avaient plus de chair.» Lorsque Byron vit la masse informe des os, il voulut récupérer le crâne, «mais comme on se souvint qu’il avait transformé en verre à boire un crâne qui lui avait été confié on ne voulut pas exposer celui de Shelley à cette profanation sacrilège.» La loi toscane imposait de brûler les corps. Les restes de Shelley furent donc posés «sur un bûcher, élevé le long du rivage, comme celui de Patrocle, et, tandis que la flamme faisait son office, Byron pontifiait en récitant des vers de l’Iliade.» Ainsi mourut celui pour qui Mary avait tout sacrifié.

L’enfer, c’est là qu’il voulait aller

Quand il est mort, Percy, depuis quelques semaines, souffrait de cauchemars affreux. Il avait demandé un poison pour mettre fin à ses jours, «au cas où». A peine six ans auparavant, lorsqu’il était en Suisse, Percy avait noté sur le registre de l’hôtel son nom en toutes lettres accompagné – dans la case «Commentaires» – des mots, en grec ancien : «humaniste, démocrate et athée». Pour les protéger, il n’écrit qu’en initiales les noms des deux jeunes femmes qui l’accompagnaient : MWG (Mary Wollstonecraft-Godwin) et J.-C. (Jane Clairmont). Dans la case «Destination», il avait marqué : «L’Enfer». La page du registre est reproduite dans l’ouvrage Frankenstein, créé des ténèbres. Curieusement, le nom de Jane Clairmont a été biffé peu de temps après leur passage à l’hôtel. Se peut-il que Byron soit allé à Chamonix barrer le nom de celle dont il venait d’apprendre qu’elle était enceinte ? Voulait-il ainsi la soustraire au scandale ou l’éliminer de sa vie ? Impossible de savoir. La vie de Claire est de toute manière définitivement gâchée, comme celle de Mary. Elle a commis un acte impardonnable au regard de l’époque. Byron ne veut pas d’elle. Elle attérit avec son enfant à la charge de Percy et quand celui-ci meurt en 1822, sans le sou, elle s’exile en Russie où elle devient préceptrice puis revient, devenue vieille, s’établir en Italie. Henry James s’inspire d’elle pour écrire son roman Les papiers d’Aspern. Quant à Mary, elle survit pauvrement d’une rente chichement allouée par son beau-père puis meurt à 57 ans d’une tumeur cérébrale.

Reste la question : vaut-il mieux se conformer aux normes, pour épargner ceux qu’on aime ? ou prendre le risque d’attirer sur soi et sur les siens la réprobation générale, au nom d’un idéal ?

.

A LIRE : Frankenstein, créé des ténèbres, dirigé par Nicolas Ducimetière et David Spurr, Coédition Gallimard / Fondation Martin Bodmer.

A VOIR : Le Retour des ténèbres– Musée Rath, Genève – Jusqu’au 19 mars 2017.

NOTE : Merci à mes lecteurs pour les corrections concernant les dates.

Je suis pucelle que vous croyez

$
0
0
Je suis pucelle que vous croyez

Il est courant de croire que «la première fois», le pénis passe à travers une membrane qu’il déchire… d’où le sang. S’il n’y a pas de sang, c’est que la femme n’était pas vierge ? Faux. Dans “Une rose épineuse”, l’historienne Pauline Mortas remonte aux origines du mythe, pas si lointain.

Agée d’à peine 23 ans, la chercheuse Pauline Mortas, de l’Ecole Normale Supérieure, publie un livre foisonnant sur la défloration au XIXe siècle – Une rose épineuse (aux Presses Universitaires de Rennes) –, l’occasion d’apprendre la définition véritable du mot «stupre» («viol d’une vierge») et les 13 noms des membranes médicalement incorrectes («godronnée», «carénée», «charnue», «scléreuse», «vasculaire», etc). Sa recherche, surtout, apporte un éclairage saisissant sur «l’invention de l’hymen». Car l’hymen n’est rien d’autre, explique l’historienne, qu’une formidable mystification. Les médecins anatomistes créent de toutes pièces cet organe, en s’appuyant sur les mesures chiffrées du corps féminin qu’ils dissèquent et transforment en pièce à conviction.

L’hymen existe-t-il ?

Jusqu’au XVIIIe siècle environ, la majorité des savants nient l’existence de l’hymen, contre l’avis des sage-femmes (1). «Joubert, Du Laurens ou Ambroise Paré considèrent l’existence de l’hymen comme une“pure rêverie”, une“fiction poétique”, voire un amas de“niaiseries”». Au XIXe siècle, brusquement, les savants la reconnaissent. Mieux, ils s’en adjugent la découverte. «Comment expliquer ce revirement catégorique ?» demande Pauline Mortas. Elle avance deux explications : technique et idéologique. Tout d’abord «l’invention de nouveaux outils médicaux aboutit à une anatomie plus précise et détaillée», c’est-à-dire que les médecins s’aperçoivent qu’il existe, chez de nombreuses femmes, un tissu vestigial qui forme comme un léger «repli» de la muqueuse vaginale… ou serait-ce de la muqueuse vulvaire ? En étudiant la manière dont «les savants, par leur langage, objectivent le corps et tracent des lignes de démarcations entre ses différentes parties», Pauline Mortas met au jour l’aspect artificiel de ce discours médical qui prétend apporter la vérité.

Oui, mais pas en tant que «paroi» étanche…

La vérité, c’est que le tissu résiduel situé à l’entrée du vagin prend selon les femmes des formes si totalement différentes qu’il est presque impossible d’en parler comme d’une «paroi», ni même d’une «cloison» ou d’une «pellicule». Chez certaines femmes, il n’existe pas. Chez d’autres, il prend l’aspect de filaments disjoints, d’une échancrure flasque, d’un bout de chewing gum qui pend, d’une languette molle ou d’un ourlet spongieux. Parfois le pli est double. Parfois c’est un diaphragme élastique qui se dilate sans jamais se déchirer, même lors de l’accouchement. Plus on vieillit, plus il se distend et se disloque. Il arrive d’ailleurs bien souvent qu’à la faveur de jeux sportifs ou de masturbations (à l’aide d’objets), les jeunes filles le réduisent en lambeaux sans même s’en apercevoir. Bien qu’il ne s’agisse pas d’un élément anatomique spécifique mais d’une sorte de frange ayant fortement tendance à s’effilocher, les savants du XIXe siècle l’isolent arbitrairement du corps et l’érigent en organe à part entière.

Un bon vagin est un vagin à perforer

De façon tout aussi arbitraire, ils en dressent des typologies distinguant le normal du pathologique. Certains hymens sont jugés conformes, d’autres pas. L’absence d’hymen, par exemple, relève de la difformité. En vertu de quels critères ? «Lorsque le discours scientifique s’en saisit – et en particulier au XIXe siècle, où les théories médicales se basent sur la multiplication des observations et des statistiques –, le fréquent devient le normal», note Pauline Mortas qui dénonce la confusion entre la moyenne et la normalité d’une part, le rare et l’anomalie d’autre part. Gare aux femmes qui sortent du lot. Les voilà estampillées handicapées, même si la forme de leur hymen ne présente en soi aucun risque pour la santé et ne gêne ni les rapports sexuels, ni la grossesse. De façon très révélatrice, parmi les hymens classés «anormaux» certains savants classent ceux qui peuvent laisser croire à des déchirures ou des viols : ce sont les hymens dits frangés ou infundibuliformes, dont l’aspect par trop douteux ne correspond pas à l’hymen idéal des médecins : celui qui indique clairement si une femme est vierge. Car c’est bien de cela qu’il est question lorsque les savants inventent l’hymen : ils inventent l’idée selon laquelle un bout de chair servirait de «preuve» tangible de la virginité.

L’hymen : un certificat de virginité ?

Tout au long du XIXe siècle, les débats scientifiques font rage bien sûr, déplaçant – au fil de chaque nouvelle recherche – la ligne de partage entre l’hymen normal et l’anormal. Mais le critère de normalité reste toujours du côté de l’«honnête» : le bon hymen, c’est celui qui se laissera facilement déchiffrer comme «intact» puis facilement déchirer lors de la nuit de noces. Par opposition, l’hymen anormal c’est celui qui résistera, qui sera trop élastique et trop mou pour rompre ou, pire, celui qui présentera, avant l’heure, l’aspect d’un hymen déchiré… Pour les médecins, l’hymen est l’enjeu d’une expertise cruciale : il s’agit d’en faire le signe aisément déchiffrable de la pureté féminine. Tout en reconnaissant que cette soi-disant «membrane» n’est jamais qu’une petite saillie du vagin, les médecins anatomistes «continuent de donner un nom à cette partie du vagin», explique Pauline Mortas, parce qu’il importe d’en faire le signe matériel, physiologique et si possible indiscutable de la virginité. Le problème, ainsi que les savants l’avouent eux-mêmes, c’est que leurs théories ne tiennent pas face aux cas particuliers.

Les apparences sont trompeuses

Le signes de la défloration ne sont pas si fiables et les médecins, tout en affirmant que l’hymen est «le signe physique de la virginité», sont les premiers à mettre un bémol : il ne faut pas confondre premier coït et défloration, disent-ils, en invoquant le cas de la jeune fille adepte d’équitation (une fleur est vite perdue à cheval), de l’épouse «née sans hymen» ou de celle dont la membrane, trop flexible, s’ajuste sur mesure aux pénétrations… «La présence de l’hymen ne prouve ni la pureté, ni même absolument la virginité de la personne qui la possède ; pas plus que son absence ne prouve absolument le désordre de sa conduite», déclare Fauconney en 1903. Il n’empêche. Les médecins ont beau mettre en garde le grand public, ils n’en contribuent pas moins à diffuser l’idée que l’hymen distingue la femme «pure» de la dépravée. Leurs mises en garde ne trahissent guère, au fond, que «l’inquiétude masculine […] devant l’impossibilité avérée de lire dans le corps féminin son histoire sexuelle, et donc de contrôler la sexualité féminine» souligne Pauline Mortas, invitant ses lecteurs-ices à se demander pourquoi nous accordons, encore de nos jours, tant d’importance au dépucelage.

.

A LIRE : Une rose épineuse de Pauline Mortas, aux Presses Universitaires de Rennes, 2017.

PLUS D’INFORMATIONS SUR L’HYMEN : «Première fois : va-t-il me trouer ou me perdre ?», «La virginité : une question d’hymen ?», «Pourquoi les filles tiennent à leur viriginité ?», «Vierge : un sale rêve de pureté», «Le destin de la femme est-il celui du sang ?», «Des hymens unisexes de rechange».

Pseudo-lesbienne : une posture ?

$
0
0
Pseudo-lesbienne : une posture ?

Quand Madonna embrasse Britney et qu’Aguilera affirme être bisexuelle… c’est excitant ? Oui, mais pas que. Dans le livre d’art intitulé Lesbiennes pour hommes, Dian Hanson décrypte l’origine de ces «postures» lesbian-friendly qui font maintenant tendance.

Dans les clubs échangistes en France, toutes les femmes sont bisexuelles. C’est «si moderne et tellement cool», se moque Dian Hanson, éditrice de la collection sexy aux éditions Taschen. C’est si moderne que beaucoup d’hétérosexuelles se font un devoir de mimer l’extase quand leur mari ou petit copain les pousse dans les bras d’une autre : «Vas-y chérie, lèche-là». Faisant mine d’apprécier ces minauderies les voilà qui se lutinent pour le plaisir de leurs mâles respectifs, trop fiers de pouvoir dire : «Ma nana, elle est pas coincée.» Dans ces clubs soi-disant «libertins», les femmes broutent pour montrer qu’elles sont libérées. Les hommes en cercle regardent… «et tant pis si la porte de ces mêmes clubs reste fermée aux hommes bisexuels.» Dans un ouvrage ironiquement intitulé Lesbians for men, Dian Hanson pose la question : «Qu’y a-t-il dans le spectacle de deux femmes s’embrassant, se caressant et s’enlaçant qui stimule l’imagination ?» On pourrait croire que Dian Hanson se contenterait de dénoncer le machisme de ces mises en scène faites pour plaire aux mâles. Mais non. Plus subtilement, elle accuse aussi les femmes, responsables du mythe selon lequel il est tout naturel d’aimer les minous quand on est l’heureuse propriétaire d’une chatte.

«My girlfriend’s girlfriend, she’s my girl 2»

Si les femmes jouent aux lesbiennes, elles le font souvent pour de faux, en écho au fantasme, si séduisant (pour leur conjoint) du plan à trois. Voire du plan à quatre, cinq etc. «Une femme : bien. Deux femmes : mieux. Plus de femmes : super génial». C’est l’image du harem, bien sûr, qui fait rêver certains hommes, avides d’imaginer que leur épouse soit la porte d’entrée d’un royaume uniquement peuplé de filles, toutes disponibles, et sans aucun rival à l’horizon. Dian Hanson rappelle utilement que le mot «lesbienne» est inventé au XIXe siècle par allusion à «l’amour saphique de Lesbos, même si la légendaire préférence de Sappho pour les femmes est aussi une construction moderne. Dans la culture grecque classique, elle était décrite comme une prédatrice sexuelle des hommes, avec un goût particulier pour la fellation. Le mot “lesbienne” désignait alors une femme qui aimait la pipe et, par extension, aimait tant le sexe qu’elle tournait sa bouche vers les femmes quand tous les marins étaient en mer.» Aux origines du lesbianisme, il y a donc un fantasme masculin qui invalide la préférence que certaines femmes ont pour le même sexe : si les femmes le font entre elles, c’est toujours un peu par défaut ou en guise de préliminaires. La plupart des mises en scène dites «lesbiennes» («lez», en argot) ont la valeur de simples «mise en bouche», déléguant le cuni au rang de pratique accessoire, situé bien en-dessous de la pénétration dans la hiérarchie des plaisirs. Voilà pourquoi les modèles ont si souvent l’air en demande quand elles s’agacent réciproquement : il s’agit de mettre en scène deux frustrées qui attendent l’Homme, bien plus que deux amantes qui se repaissent l’une de l’autre.

Femmes entre elles : l’érotisme des faux-semblants

Explorant l’imagerie de l’érotisme pseudo-lesbien (dont son livre fournit un très riche et beau corpus), Dian Hanson dresse un panorama historique des «taquineries» entre filles, avec un sens aigu de la mise en perspective. Dès les premières lignes de son introduction, elle attaque : «les femmes couchent avec d’autres femmes pour le plaisir des hommes depuis une bonne centaine d’année.» En photo, tout du moins, c’est un fait avéré : la plus ancienne image de deux femmes qui «fricotent» (un baiser) remonte à 1865. C’est en tout cas le plus vieux cliché du genre que Dian soit parvenue à retrouver, parmi une énorme production de clichés anciens et osés dont Lesbians for men fournit un bel aperçu : «La première carte postale photographique date du 6 mai 1889, avec la Tour Eiffel comme sujet. La première carte postale de nu parut également à Paris aux alentours du 7 mai de la même année», immédiatement suivie d’une intense production de «femmes en train de s’embrasser, de se caresser ou de se livrer à des cunilingus». Dans l’atmosphère moralement relâchée des années 20, cette production monte en flèche tandis que l’Allemagne, l’Autriche et la Tchécoslovaquie entrent dans le jeu. Les studios se multiplient jusqu’à la reprise en main moralisatrice, déclenchée d’abord par la grande dépression puis par la montée des fascismes. Le porno est «antipatriotique», souligne Dian Hanson et à l’aube de la seconde guerre mondiale, les photographes mettent la clé sous la porte… puis reviennent ensuite bien vite à la faveur de la «révolution sexuelle» : les duos d’aventurières sexy envahissent les pulps vers la fin des années 1960. Après quoi, les choses se compliquent… car viennent «1970 et le mouvement féministe».

Quand le lesbianisme devient une forme d’action politique

Ainsi que Dian Hanson le souligne avec lucidité, le fantasme de la lesbienne n’enflamme pas que les hommes : les femmes aussi y succombent. Tout commence en 1974, dit-elle : «L’artiste Betty Dodson écrivit Liberating Masturbation (1974) et réunit des cercles féminins dans son appartement new-yorkais pour apprendre aux femmes à situer, puis à stimuler leur clitoris, et à embrasser la sonorité sexuelle. La même année, Jill Johnston publia Lesbian Nation, qui postule le sexe entre femmes comme impératif féministe ; de Berkeley à Barnard, des jeunes filles consciencieuses répondirent à son appel, convaincues, comme l’affirmait le magazine séparatiste lesbienne Furies que “[les lesbianisme] n’est pas une affaire de préférence sexuelle, mais plutôt un choix politique que toute femme doit faire si elle veut être identifiée comme une femme à part entière et par là même mettre fin à la suprématie masculine”. Pour les filles hétéros des années 1970, l’expérience bisexuelle représentait le pouvoir et l’aventure, un pied de nez à l’homme et à ceux qui désapprouvaient.» Pour toute une frange de féministes radicales, aux Etats-Unis, la sexualité se choisit et relève du militantisme. Dans le but d’éliminer les mâles, elles affirment donc préférer les femelles et vouent aux gémonies l’usage du gode (phallique), qui ne colle pas avec leur doctrine. Ces extrémistes imposent l’idée que jouir peut émanciper, mais attention, pas n’importe comment.

Pour combattre les «porcs sexistes», les femmes la jouent «lez»

En 1971, Dian Hanson avait 19 ans. Elle se rappelle que son mari lui-même était captivé par «toute cette histoire de lesbiennes si captivante». Pour lui plaire et surtout pour coller à l’esprit du temps, Dian Hanson s’était coupé les cheveux. Il fallait avoir l’air bi. «Autour de moi, des quantités de femme ont été poussées et incitées à se tourner vers la chatte, d’abord par le féminisme, puis par leurs maris et petits amis, l’industrie émergente du porno, et même la communauté scientifique qui se mit à considérer la bisexualité comme l’état naturel de la femme.» A l’époque, il n’était plus question que de naturel, se rappelle-t-elle : la femme se devait d’avoir «une nature innée» (sic) fortement aimantée par les choses douces comme les fleurs, la laine, les tricots en angora, les musiques douces, les boissons au miel et les réunions entre «soeurs» pour célébrer la beauté de l’utérus… Problème : durant les années 1980, les actrices devinrent des «porn-stars», mimant volontiers le sexe lesbien, réintroduisant du patriarcal dans ce que les militantes avaient tenté de s’approprier. «Les féministes mirent fin à leurs séances de masturbation collective et commencèrent à protester contre l’industrie du X». Aux Etats-Unis, bien que le lesbianisme ait cessé d’être assimilé à un choix d’ordre politique, l’image des guerrières bisexuelles est restée, avec pour conséquence : une propagation de bises-bi et de buzz. «Au cours des dix dernières années, Cristina Aguilera, Azealia Banks, Drew Barrymore, Cara Delvingne, Cameron Diaz, Fergie, Megan Fox, Lady Gaga, Amber Heard, Angelina Jolie, Miranda Kerr, Kesha, Bai Ling, Lindsay Johan, Madonna, Demi Moore, Ana Paquin, Michelle Rodriguez, Amber Rose et même Snooki et JWoww ont fièrement annoncé leur bisexualité

A quand les hommes libérés, offrant leur anus par conformisme ?

Dian Hanson ne les accuse pas de mentir bien sûr. Elle souligne juste que, bizarrement, cette explosion de coming out survient au bon moment. La série The L World, entre 2004 et 2009, raconte les aventures d’un groupe de copines exceptionnellement séduisantes. En 2010, apparaît la série canadienne Lost Girl (Baiser fatal) sur une ado succube bi. La chaîne anglaise Channel 4 lance Bi-curious Me, en 2013 et les séries à succès actuellement diffusées aux USA – The good wife, House of lies et Orange is the new black– suivent toutes les aventures d’héroïnes bisexuelles fortes, belles et ambitieuses. Toujours magnifiques, ces créatures. Toujours environnées d’un subtil parfum de transgression… C’est si beau à voir une femme libre. Mais la femme en question aime-t-elle réellement ça ? Ou s’improvise-t-elle bi par conformisme ? Dans les faits, il semblerait que le nombre de bisexuel(le)s soit très faible, insiste Dian Hanson. «Mais gardez espoir : on ne sait pas jusqu’où cette histoire peut nous mener, avec les encouragements des mass media. Considérez simplement le parcours de cette ultime construction médiatique qu’est Miley Cirus : photographiée à 14 ans en train d’embrasser une fille pour de faux, puis d’y mettre la langue dans Britain’s got talent à 17 ans, pour ensuite révéler sa bisexualité à son petit ami à 21 ans (ce qu’il trouva“super excitant”) et l’annoncer au monde entier à 22 ans.» En 2015, Miley déclara au magazine Out qu’elle voulait rester «“libre d’être tout”, indiquant que son identité sexuelle était fluide, ce qui est totalement dans la tendance». Parions que Miley posera bientôt en couverture de GQ avec son copain et le petit copain de son copain.

.

A LIRE : Lesbians for men, de Dian Hanson, éditions Taschen.

Viewing all 222 articles
Browse latest View live